Test ADN pour les nouveau-nés : le rêve de l’efficacité totale

Le procureur général d’Anvers, Yves Liégeois, est un personnage remuant, paradoxal et controversé. Sa dernière idée ? Imposer un test ADN à tous les nouveau-nés et aux étrangers arrivant en Belgique. Le but: aider à la répression de la criminalité.

On aurait tort, sur la base de sa seule apparence, de prendre le bon Liégeois pour un crypto-fasciste, même si sa proposition peut être qualifiée, au minimum, de totalitaire. Ce magistrat, dont le mandat arrive à terme en avril 2014, est d’étiquette CD&V. Il a des goûts raffinés, pratique l’orgue en artiste, est reconnu intelligent, travailleur et prenant ses responsabilités, de façon souvent impériale. Mais, au moins, avec ce style « assertif », parvient-il, ce qui devient rare pour un magistrat, à retenir l’attention du monde politique. On se souvient de sa mercuriale sur l’immigration de septembre 2011. Il détaillait, chiffres à l’appui, comment notre sécurité sociale, et partant, la démocratie, était mise en péril par les abus constatés dans le domaine de l’immigration et de l’asile.

Convoqué dare-dare au Parlement, tancé par le ministre de la Justice Stefaan De Clerck (CD&V), il n’avait pas été véritablement contredit sur le fond. Mieux : le gouvernement s’est attelé au problème des abus des faux C4 et autres carrousels à la TVA via John Crombez (secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale, SP-A), et Maggie De Block (secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Open VLD). Yves Liégeois n’a aucune raison de regretter son coup de gueule. Son étoile a cependant pâli suite aux démêlés qu’il a eus avec un substitut du parquet d’Anvers, acharné à poursuivre les auteurs présumés de gigantesques fraudes fiscales dans le domaine diamantaire. Dans les affaires Omega Diamonds et HSBC, Yves Liégeois plaidait pour la transaction pénale (le paiement d’une amende qui éteint les poursuites judiciaires). Il l’a emporté avec des arguments techniques. Le secrétaire d’Etat Crombez a qualifié le deal de « moins mauvaise solution ». Mais, piquée par les critiques émises par Yves Desmet, éditorialiste du Morgen, la femme d’Yves Liégeois, également magistrate, a obtenu la condamnation de ce dernier par un tribunal. Une opinion censurée a posteriori, du jamais vu.

Yves Liégeois ne laisse personne indifférent. Mais son « pont trop loin » risque bien d’être cette petite phrase glissée dans une interview-bilan donnée au Standaard et dans laquelle il plaide pour le fichage génétique généralisé. Actuellement, la loi autorise le prélèvement et la conservation des empreintes ADN de personnes condamnées pour des faits graves, meurtres ou viols. Il est question actuellement d’étendre ce fichage aux auteurs de cambriolage avec violence. Si Yves Liégeois « sort » sur ce terrain, c’est peut-être en vue, pragmatiquement, d’obtenir aussi le fichage des « simples » cambrioleurs qui pourrissent la vie des gens. Lui seul pourrait le dire. Néanmoins, il a franchi une limite inacceptable en banalisant le fait de ficher tout le monde de la naissance à la mort, en ce compris, bien sûr, les étrangers. Voilà qui ressemble au Big Brother de George Orwell. C’est une idée éminemment moderne. Nicolas Sarkozy n’avait-il pas plaidé pour le repérage précoce, chez les bambins, des graines de délinquants ? Quantité d’honnêtes gens se disent pourtant qu’on peut les ficher, les suivre électroniquement, les filmer en permanence, « puisqu’ils n’ont rien à se reprocher ».

Mais la proposition du magistrat anversois touche une autre fibre : c’est l’espoir qu’Yves Liégeois abolit. Chaque nouveau-né serait désigné comme potentiellement porteur du péché originel et la société prête à lui tomber dessus au moindre manquement. L’homme qui a fait de l’efficacité son rêve – la « qualité totale » des businessmen – révèle ce qui se trouve derrière cette notion : le totalitarisme au visage de « monstre doux ». Quel parent voudrait voir naître son enfant dans une telle société ? De plus, la solution imaginée par Yves Liégeois est techniquement aléatoire (une erreur est toujours possible) et horriblement coûteuse. Vraiment, une drôle de façon de terminer son mandat.

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