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Taxe déchets : Tout profit pour les communes ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’argent n’a pas d’odeur. Même celui qui provient de la taxe sur les déchets ménagers. Des millions d’euros aboutissent par ce biais dans les caisses des communes wallonnes. Pas toujours avec la transparence requise. Une taxe prétexte ?

Cela s’appelle l’ironie du sort. Interrogé par Le Vif/L’Express, l’échevin des Finances de Waterloo, Etienne Verdin, vient de s’apercevoir que l’Intercommunale du Brabant wallon (IBW), à laquelle elle est attachée, ne lui avait pas fourni toutes les informations chiffrées qu’elle devait lui transmettre en matière de gestion de déchets.

Presque cocasse. Car depuis 2008, les communes sont contraintes de respecter le principe du coût-vérité. Objectif : percevoir, auprès du citoyen, le coût réel de la gestion des déchets, et ainsi le responsabiliser par rapport aux détritus qu’il génère. Sans les informations des intercommunales, c’est évidemment plus difficile. Cela jette surtout un léger brouillard sur la taxe déchets, calculée, à Waterloo comme ailleurs, en fonction d’un taux de couverture des dépenses par les recettes.

A l’origine, ce taux était de 70 % minimum, c’est-à-dire que les communes dépensaient davantage qu’elles ne percevaient. Il est aujourd’hui fixé à 95 % minimum, avec un maximum de 110 %.
Clair sur papier. Un rien moins sur le terrain. Un citoyen de Waterloo, fâché du manque de transparence de cette procédure, attaque d’ailleurs son administration en justice : rien ne dit, selon lui, que le calcul de ce coût-vérité soit correct. « J’aimerais avoir mes apaisements sur la sincérité de l’autorité politique en la matière. Mais je ne les ai pas, faute de disposer des informations qui me permettraient d’y voir clair », détaille José Gomez. Le juge tranchera le 14 octobre prochain.

Dites « 110 »

La commune, elle, s’arcboute sur le principe de l’autonomie communale, qui l’autorise, en matière fiscale, à imposer ses citoyens comme elle l’entend, à condition de respecter scrupuleusement les procédures fiscales en vigueur et de se conformer aux lois (lire encadré).

Puisque l’arrêté wallon relatif au coût-vérité permet aux communes d’enregistrer des recettes de 10 % supérieures à leurs dépenses en matière de déchets, elles peuvent réaliser un bénéfice sur ce poste. « La tolérance de 10 % sur le taux de couverture du coût-vérité s’explique par la difficulté de prévoir très exactement les dépenses futures, insiste Eddy Girardi, chargé de projets à la Copidec (Conférence permanente des intercommunales wallonnes de gestion des déchets). Le budget coût-vérité doit être réadapté chaque année en fonction des comptes de l’antépénultième exercice. Un éventuel  »trop perçu » n’a donc pas vocation à être pérennisé. » D’autant moins qu’une taxe est toujours impopulaire… A Waterloo, ce taux de couverture n’en est pas moins supérieur aux 100 % depuis quatre ans : 108 % en 2009, 104 % en 2010, 105 % en 2011 et 104,8 % en 2012.
Cette marge bénéficiaire ne doit pas forcément être consacrée à la gestion des déchets : la commune fait ce qu’elle veut de cette manne. Et, dans les localités, on ne cache pas que cet argent est précieux. « On serait bien embêtés si on devait le retirer de notre budget », confirme un élu communal. Cette taxe est-elle utilisée comme un médicament budgétaire ? « Disons que le coût-vérité est le cache-sexe de la fiscalité », avance Vincent Sepulchre, professeur de fiscalité locale et régionale au Tax Institute de l’Université de Liège.

Gonfler des recettes peut sembler facile en procédant à une augmentation de la taxe, mais la commune est dans ce cas obligée d’augmenter d’autant ses dépenses, puisque le coût-vérité lui impose d’équilibrer les unes et les autres. « Il est hors de question que des communes gonflent artificiellement leurs dépenses », avertit Violaine Fichefet, conseillère « déchets » au cabinet du ministre wallon de l’Environnement, Philippe Henry (Ecolo).

Matière à interprétation

Mais il y a un hic. Car le texte relatif au coût-vérité laisse une part d’interprétation à ceux qui doivent l’appliquer. « Pour quelques pour cent à peine, (r)assure un élu communal. Ce serait un fantasme de faire croire que l’on puisse appliquer la même grille de calcul partout. »

Certaines communes grincent d’ailleurs des dents. Car entre leurs prévisions budgétaires et la réalité des chiffres, une fois l’exercice clôturé, il peut y avoir de solides différences. Toutes les données qui entrent en ligne de compte pour le calcul du coût-vérité ne sont en effet pas immuables : comment les communes pourraient-elles à l’avance savoir comment le prix du carburant va évoluer en un an ? Et les coûts salariaux ? Et le prix des papiers, cartons et métaux, qui, valorisés, rapportent de l’argent ?

« On vérifie le calcul sur la base des prévisions budgétaires, mais aussi, a posteriori, au regard des coûts réels », précise-t-on à l’Office wallon des déchets (OWD). C’est bien ce qui fâche les communes, qui voudraient que la vérification ne s’opère que pour les prévisions budgétaires. Quatre intercommunales ont d’ailleurs introduit un recours au Conseil d’Etat pour contester cette pratique.
Des propositions de modification de décret existent bien pour lever l’ambiguïté sur le mode de calcul du coût-vérité (selon le budget ou selon les comptes). Mais le ministre Henry souhaite, avant de se lancer dans ce processus, attendre l’avis du Conseil d’Etat. S’il tombe sur des différences trop importantes entre le coût-vérité « budgétaire » et le coût-vérité « réel », et si, de ce fait, une commune ne respecte plus la fourchette du taux de couverture imposée, l’OWD lui demande des comptes. « N’oublions pas que les documents chiffrés qui nous sont transmis constituent des actes administratifs, souligne Violaine Fichefet. S’ils sont gonflés, des poursuites pénales pourraient être engagées. »

En cas de dérapage, un lissage des taux de couverture peut s’opérer sur trois ans, à l’initiative du ministre wallon de l’Environnement. Une preuve de souplesse, dit-on au cabinet, que la législation ne prévoit toutefois pas. Mais si, malgré ce lissage, une commune reste hors des clous fixés pour le taux de couverture dépenses/recettes, elle sera sanctionnée et son intercommunale perdra les subsides de la Région wallonne.

En 2011, 243 des 262 communes de Wallonie respectaient la norme ; parmi les 19 autres, 11 ont été sauvées par la procédure de lissage et 8 sont restées en infraction. On imagine bien que toutes les communes n’ont pas apprécié que la Région wallonne vienne d’un coup leur imposer de telles contraintes. « La restriction progressive de la fourchette de couverture dépenses/recettes va obliger les communes soit à être en défaut par rapport à la loi, soit à surfacturer systématiquement la gestion des déchets à sa population », menace ainsi l’IBW dans son rapport annuel 2012.

Dividendes

Selon la grille élaborée pour calculer le coût-vérité, le bénéfice de la revente et de la valorisation des déchets doit être pris en compte dans la colonne des recettes. Mais dans la majeure partie des cas, ce sont les intercommunales qui se chargent de ce processus de valorisation et qui en tirent éventuellement profit. « Les collectes nous coûtent davantage qu’elles ne nous rapportent, tempère Etienne Offergeld, directeur du département déchets à l’IBW. L’électricité produite au départ des déchets, par exemple, peut nous rapporter 20 euros pour une tonne de déchets récoltés mais nous en coûter 120 ! »

Difficile d’y voir clair : car les recettes (électricité, subsides, ou intervention de Fost Plus) engrangées par les intercommunales sont déduites de la facture qu’elles envoient aux communes. Dans les informations chiffrées transmises aux citoyens, en annexe à leur invitation à payer la taxe déchets, ceux-ci ne disposent que de données nettes. Si, bon an mal an, une intercommunale enregistre un bénéfice en fin d’année, soit elle le garde en réserve, soit elle le ristourne aux communes sous forme de dividendes.

Ces dividendes doivent-ils être pris en compte dans les recettes des communes ? « Ce n’est pas une obligation, car seules les recettes directes doivent être considérées », affirme Vincent Sepulchre. Certaines – rares – municipalités mentionnent toutefois cette rentrée financière dans leur calcul et l’OWD l’accepte. Le législateur aurait pu l’imposer, il ne l’a pas fait. « L’OWD n’a de toute façon pas le moyen de savoir si les recettes dégagées par les intercommunales (production d’énergie, valorisation, etc.) sont comptées en recettes par les communes, car il ignore le détail de la facturation des intercommunales aux communes, reconnaît-on au cabinet wallon de l’Environnement. Il n’y a guère de transparence dans la gestion et la facturation des intercommunales et certaines communes s’en plaignent d’ailleurs.

Or, sans ces informations, la notion de « coût-vérité » peut devenir à géométrie variable. » Les tentatives pour préciser les zones d’ombre de l’arrêté coût-vérité, et notamment pour imposer davantage de clarté aux intercommunales n’ont pas réuni de consensus au sein du gouvernement wallon.
C’est incontestablement ce manque de transparence qui pose question. « On trie davantage, on compose les déchets organiques et il n’y a pas plus d’habitants à Waterloo qu’auparavant. Malgré cela, le montant de la taxe reste le même, regrette José Gomez, qui ne s’est plus acquitté de sa taxe depuis 2008. Je suis prêt à payer, mais le juste prix. » A Waterloo, la taxe s’élève à 40 euros par an pour un ménage de deux personnes et le volume de déchets ménagers décroît d’année en année, pour s’établir autour de 163 kilos par habitant.

A la Copidec, on confirme que « toutes choses restant égales par ailleurs, si le coût de gestion des déchets a diminué en valeur absolue, cela doit se répercuter dans le budget communal. Et donc dans la taxe. « Il est faux de dire aux gens qu’ils feront des économies en triant mieux, réplique Etienne Offergeld. Chaque année, collecter les déchets coûte plus cher. » Rares sont d’ailleurs les communes qui revoient leur taxe déchets à la baisse, même s’il en existe : à Wavre, elle est passée de 60 euros pour un ménage de 2-3 personnes en 2010 à 45 euros à partir de 2011 ; à Flémalle, de 107 à 105 euros ; à Wellin, de 170 à 135 euros ; à Dour, de 130 à 110 euros et à Lessines, de 80 à 75 euros.
Sous le minimum

Depuis 2012, les communes sont également tenues de respecter un service minimum en termes de gestion des déchets : collecte au moins une fois par semaine des déchets ménagers en porte-à-porte, mise à disposition de bulles à verres, ramassage des encombrants, reprise des déchets sélectifs… et distribution de sacs poubelles gratuits. Combien ? Hélas, l’arrêté ne le précise pas. Du coup, certaines communes en offrent plusieurs rouleaux tandis que d’autres se limitent à un seul sac. Pis ! une série d’administrations communales réfractaires à ce principe n’en distribuent pas du tout, se mettant, du coup, hors la loi. En 2011, elles étaient 45 dans le cas. Que risquent-elles ? Le ministre de tutelle des communes, le socialiste wallon Paul Furlan, peut refuser leur règlement taxe. Mais cela ne s’est jamais produit. Jusqu’à la fin de 2012, les ministres du gouvernement wallon s’étaient toujours entendus pour postposer l’application de cette distribution de sacs gratuits. Ou, à tout le moins, pour ne pas en faire un drame. On connaît toute la sensibilité des communes quand l’un ou l’autre songe à empiéter sur leur pré carré… A la fin de 2012, le gouvernement wallon n’a toutefois plus décidé de reporter cette obligation. Autrement dit, elle doit s’appliquer cette année. On verra.

Malgré cela, le coût-vérité a évidemment amené plus de transparence et de rigueur dans la tarification des politiques de gestion de déchets. « C’est un bon outil », confirme Luc Joine, directeur général d’Intradel. En 2007, 42 communes étaient en infraction par rapport à la fourchette de coût-vérité imposée. Elles n’étaient plus que 19 en 2011.

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