Ta voiture est la mienne

Posséder une voiture, cela coûte énormément. Un moyen simple et efficace de faire de solides économies, tout en donnant de l’air à la ville : les voitures partagées, ou carsharing.

Le 12 octobre, la place des Déportés à Liège accueillait une nouvelle station de voitures partagées Cambio. De quoi élargir encore le réseau de cette société qui tente d’apporter des solutions concrètes à nos villes saturées. Sa clientèle est en croissance continue : près de 12 000 clients (30 % de sociétés) en Belgique pour 416 voitures réparties sur 175 stations dans 21 villes. Le principe ? On loue une voiture pour une durée déterminée : d’une heure à une semaine renouvelable. Le service convient surtout aux utilisateurs occasionnels. Il évite les frais annuels de taxes, d’entretien et d’assurance et dispense de la corvée du contrôle technique. Grâce à une carte à puce, la location est possible en permanence, par téléphone ou Internet, de jour comme de nuit. Pas besoin de clé, elle se trouve dans la boîte à gants, tout comme la carte essence et la clé qui permet de débloquer la barrière. Un système d’appel permet de contacter la centrale en cas de problème.

Un produit urbain

Initiative de Taxistop, du VAB (Vlaamse Automobilistenbond), de la SNCB-Holding et de Cambio Allemagne, Cambio Belgique existe depuis mai 2002, quand la toute première station a vu le jour à Namur.  » Une voiture Cambio dans une station, c’est dix voitures en moins dans le quartier « , argumente le directeur bruxellois Frédéric Van Malleghem. Les uns revendent leur voiture, tandis que d’autres renoncent à l’achat.  » L’industrie automobile doit se rendre compte que les villes saturées vont à l’encontre de ses intérêts et qu’on n’a pas d’autre choix que de diminuer le ratio de voitures par habitant « , poursuit-il.  » Le carsharing est la seule formule qui permet de réduire le nombre d’autos dans les rues… en utilisant des autos « , résume Michael Glotz-Richter, coordinateur du programme européen Momo ( » more options for energy efficient mobility through carsharing »), qui réunit huit villes européennes, dont la pionnière Brême.

A Bruxelles, 7 000 clients se partagent 233 voitures réparties sur 77 emplacements.  » Cambio est clairement un produit urbain, complémentaire aux transports en commun, explique Frédéric van Malleghem. Notre cible : les quartiers à haute densité, où chaque utilisateur doit pouvoir accéder à une station dans un rayon de 800 mètres ». Cambio fonctionne en étroite collaboration avec les TEC, De Lijn et la Stib (transports bruxellois).  » Notre but est de développer un système qui convainque les sceptiques, explique le directeur. Cela exige d’affiner la technique régulièrement. Nous avons ainsi adapté nos voitures pour les rendre compatibles avec la carte Mobib de la Stib.  »

Avec Cambio, on paie à l’heure et au kilomètre. Pour ceux qui roulent peu, la formule Start est indiquée : 150 euros de caution, 35 euros de frais d’activation, 4 euros d’abonnement mensuel. On réserve, même en urgence, tout dépend de la disponibilité. Dès qu’on a pris possession de la voiture, on paie pour une VW Polo deux euros par heure (gratuit la nuit) et 35 centimes par kilomètre, carburant compris. Avec la formule Comfort, les frais fixes sont plus élevés (600 euros de caution, 22 euros d’abonnement mensuel), mais les coûts d’utilisation sont plus avantageux pour les utilisations fréquentes ou de long trajets : 1,55 euro à l’heure et 0,23 euro au kilomètre, avec tarif dégressif au-delà du 100e kilomètre. Entre les deux formules, la Bonus conviendra à la plupart des utilisateurs. Les tarifs diffèrent, bien sûr, suivant qu’on opte pour une VW Polo ou une Opel Zefira.

Un taux de satisfaction élevé

Le décompte est envoyé chaque mois, à partir des données recueillies dans l’ordinateur de bord. Certains estiment que  » ça coûte cher « .  » C’est la perception du prix qui est biaisée, corrige Frédéric Van Malleghem. Pourquoi ? Parce qu’on ne pense qu’au prix du carburant. Mais il faut compter tout le reste : entretiens, taxes, assurances… Résultat, le carsharing s’avère moins cher qu’une voiture amortie en sept ans avec 15 000 kilomètres par an « . Une formule  » géniale « , en conclut Thérèse, une Namuroise qui s’est toutefois désinscrite  » car je ne pouvais pas emmener mon chien « . D’après une enquête du programme Momo en Belgique (2009), 95% des clients se déclarent satisfaits ou très satisfaits de la formule. Les doléances portent rarement sur la pénurie de véhicules, plus souvent sur la propreté et des facturations liées aux dégâts, d’où l’importance de vérifier la carrosserie avant le départ.

Le produit a du succès ailleurs aussi :  » A Louvain-la-Neuve, j’ai quatre stations à proximité, la plus proche étant à deux minutes à pied, témoigne Léa, employée à l’université. Mon mari disposant d’une voiture de société, le carsharing s’est imposé comme la solution la plus économique pour la deuxième voiture. Je l’utilise pour conduire mon fils au violon, pour aller à Ikea (je dois alors me rendre à une autre station dotée de voitures plus spacieuses) et même pour partir en vacances, comme l’année dernière en Frise « . Les Van Malleghem possèdent aussi une voiture à usage privé. Contradictoire ?  » Non, car nous habitons en zone rurale, où la formule a du mal à se développer, explique Frédéric. Le seuil de rentabilité, soit une voiture pour trente utilisateurs, est évidemment difficile à atteindre dans les campagnes « . A moins de se faire conduire jusqu’à une station… Absurde.  » Par contre, le covoiturage, ou carpooling, serait bien plus adapté pour ces zones « , tente le directeur, qui, pour se rendre à son bureau situé derrière le Palais royal, a, lui, opté pour la formule moto + train + bus.

La crainte de la mauvaise concurrence

Depuis 2011, Cambio n’est plus seul sur le marché. Zen Cars s’est lui aussi implanté. Mais en anticipant sur les crises pétrolières futures, car toutes ses autos (des petites italiennes deux places) fonctionnent à l’énergie électrique. Autonomie : 120 kilomètres.  » Ce n’est pas un obstacle, assure Juan-Emilio Gonzalez, cofondateur de Zen Cars. Les déplacements moyens en ville ne dépassent pas six kilomètres, et 80% des trajets en Europe sont inférieurs à cent kilomètres « . Coût d’utilisation : 7 euros l’heure, hors droit d’inscription (40 euros) et abonnement mensuel (6 euros). Six stations sont déjà opérationnelles, et devraient être multipliées par trois dans un proche avenir. Le principe est le même : on réserve par téléphone, on accède à la voiture grâce à une carte magnétique et les clés sont à l’intérieur. Et on restitue la voiture à la station initiale.  » C’est mon seul regret de la formule de carsharing, admet Thérèse. Dans mon cas, ce serait pratique de parfois la laisser dans un autre endroit, comme pour les vélos partagés. On ne fait pas toujours de simples aller-retour ». Surtout quand les transports en commun sont en grève… Mais pour Juan-Emilio Gonzalez,  » si tout le monde loue une voiture à la Cambre pour la laisser à la gare du Midi, ce serait ingérable ! Et de plus contraire à notre objectif de complémentarité avec les transports en commun « .

Zen et Cambio partagent la même philosophie : en recourant au carsharing,  » vous adhérez à une nouvelle vision du monde et de la mobilité. Vous pensez à vous, mais aussi aux autres. Y compris la planète, la ville, l’air… « , clame avec enthousiasme Zen Cars sur son site. Pour le directeur de Cambio,  » ce n’est pas la concurrence qui nous effraie, mais bien la mauvaise concurrence « , pointant du doigt la mise en place d’Autolib’ à Paris,  » qui cherche à doubler les transports en commun, donc sans désengorger la ville « . Autolib’ permet en effet de louer des voitures électriques dans 46 communes d’Ile-de-France sans devoir les ramener à leur point de départ, en suivant une procédure aussi rapide que pour les vélos partagés. Mais quelle que soit la formule, un avantage commun les réunit : toutes les trois gomment le  » status symbol  » lié à la voiture. L’intérêt pédagogique est évident :  » Mes enfants ont grandi avec Cambio, explique Léa. Pour eux, une voiture partagée, c’est tout naturel « . Partager plutôt que posséder : une idée pour temps de crise aussi simple que révolutionnaire.

François Jeanne D’Othée

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