Carte blanche

Semaine de 30 heures : après la Suède, la Belgique fera-t-elle aussi preuve d’innovation sociale ?

Ça y est. Le rapport final d’évaluation de l’expérience de la semaine de 30 heures à Göteborg est là. Cette ville sur la côte ouest de la Suède est devenue le centre d’intérêt de nombreuses personnes du monde entier, qui se sont intéressées à son projet novateur.

Le rapport final de l’expérience de réduction du temps de travail qui y a été menée se lit comme une invitation à ce même monde entier à se lancer à son tour dans cette innovation sociale. Qu’attend la Belgique ? Les coûts sont trop élevés, prétendent certains. Mais est-ce bien le cas ? Maintenant que nous disposons de tous les chiffres et analyses, nous pouvons y répondre.

Que pouvons-nous apprendre de Svartedalen ?

Les principales leçons du dernier rapport sont les suivantes : une meilleure santé, une meilleure qualité de vie et plus de joie au travail chez le personnel soignant. Les travailleurs de Svartedalen ont été nettement moins souvent malades qu’avant le lancement de l’expérience. Le nombre de congés maladie y a diminué de 4,7 %, alors que, dans la maison de repos de Solängen, où la réduction de temps de travail n’a pas eu lieu et qui servait de référence, les congés maladie ont augmenté de 62,5 %.

Grâce à la semaine de 30 heures, la vie est déjà devenue un peu plus rose pour le personnel soignant. Nous l’avions déjà remarqué en 2015, lorsque nous sommes allées visiter la célèbre maison de repos. Nous y avions rencontré Paula et Kerstin, des infirmières de Svartedalen. Les deux dames d’âge moyen travaillaient alors depuis quelques mois déjà dans un système de journées de six heures. Paula nous avait dit qu’elle trouvait cela chouette de pouvoir être près de sa fille durant ses examens. Kerstin avait expliqué comment, enfin, elle avait assez d’énergie après sa journée de travail pour aller faire du sport. Ces infirmières se sentaient en meilleure forme et plus relax que jamais, et elles n’étaient pas les seuls. Il y a une augmentation de 142,9 % du nombre d’infirmières qui estiment garder suffisamment d’énergie à la fin de la journée de travail. À Solängen (la maison de repos dans laquelle on n’a pas introduit la semaine de 30 heures et qui servait de comparaison), par contre, ce nombre diminue de 65 %. Les travailleurs de Svartedalen étaient plus satisfaits de leur propre santé, moins stressés, plus alertes, moins fatigués, ils dormaient mieux et se livraient à davantage d’activités physiques. Ils avaient même moins de douleurs musculaires et articulaires.

Mais il n’y a pas que la santé et la qualité de vie qui progressent. Il est tout simplement plus agréable de travailler depuis que l’expérience a débuté. Avec un peu plus de temps et moins de stress, le personnel s’est mis à mieux collaborer. Résoudre les problèmes complexes et mener les tâches à bien est plus évident, grâce à un meilleur degré de développement personnel et de soutien mutuel sur le lieu de travail. Et, là aussi, la maison de repos qui servait à établir la comparaison sur ces points a régressé, dans la même période.

Modernité

La maison de repos de Svartedalen montre la voie de l’innovation sociale. Le contraste avec la façon dont le monde patronal et le gouvernement abordent aujourd’hui la chose en Belgique est on ne peut plus flagrant. Au lieu d’accorder aux travailleurs plus de temps et de repos, ils les menacent sans cesse de plus de flexibilité et d’insécurité. Faire plus avec de moins en moins de personnel. Et le moindre moment de repos pour pouvoir récupérer et supporter le poids du travail est mis sous pression. La ministre libérale Maggie De Block veut par exemple supprimer une série de jours de congé accordés aux travailleurs âgés du non-marchand en repoussant l’âge où ils peuvent commencer à les prendre de 45 à 50 ans.

Mais le secteur des soins ne se laisse pas faire. Les travailleurs descendent dans la rue et s’opposent à cette mesure. La situation dans le secteur belge des soins est sombre, et c’est un euphémisme. Ici, un travailleur sur quatre est en risque de burn-out. La hausse du nombre de malades de longue durée confirme la situation de travail intenable dans le secteur. Emma, une infirmière de 57 ans, témoigne de cette pression du travail et de la nécessité des jours de congé supplémentaires afin d’assurer la faisabilité du travail : « Sans ces jours de congé supplémentaires, ce ne serait pas faisable. J’en ai vraiment besoin pour récupérer. Le travail devient de plus en plus lourd, la pression de plus en plus grande. Laver les patients en vingt minutes. Les stagiaires qui doivent fonctionner comme main-d’oeuvre à part entière. Les soins que nous ne pouvons pas toujours donner et les erreurs qui nous pendent au nez. Cela pèse, ce n’est pas tenable. Ces jours de congé supplémentaires m’offrent un peu de répit. Et la possibilité d’encore faire d’autres activités dans ma vie personnelle, comme des randonnées à vélo, ou m’occuper de mes petits-enfants… »

Cette récupération risque désormais de se perdre, car notre gouvernement s’accroche à la logique dépassée qui veut qu’on travaille beaucoup plus tout en gagnant de moins en moins. La recherche de la municipalité suédoise sur une façon moderne d’organiser le travail doit être une source d’inspiration.

D’autant que la diminution du temps de travail réduit non seulement la pression du travail, mais est également bénéfique au niveau de l’égalité entre hommes et femmes. Elle donne à plus de femmes la possibilité de travailler à temps plein, alors qu’aujourd’hui, près de la moitié des femmes travaillent à mi-temps. Souvent, en raison de la pression au travail et de la difficulté de pouvoir combiner travail et famille. Or cela a des conséquences très importantes : salaire plus bas, pension plus basse, mois d’opportunités de carrière… En résumé, la semaine de 30 heures permettrait plus de travail à temps plein pour les femmes et contribuerait ainsi à réduire l’écart salarial.

Aussi encourageons-nous le gouvernement belge à suivre l’exemple suédois et à se mettre en quête de façons de rendre à nouveau « faisable » le travail dans le secteur des soins. Les jours de congé supplémentaires, qui avaient été arrachés par le mouvement social dans les années 1990, avaient à vrai dire fait en sorte que le personnel puisse passer progressivement de la semaine de 38 heures à celle de 32 heures. Si l’on y ajoute encore un jour de congé par mois de plus pour les plus de 60 ans, on se retrouve dans la pratique dans un système de trente heures pour cette catégorie d’âge.

La semaine de trente heures est-elle trop chère ?

Lors du précédent rapport sur l’expérience, certains émettaient des critiques sur le coût de la mesure, qui serait trop élevé. 17 nouveaux emplois à temps plein avaient été créés à Svartedalen, sur un fichier du personnel d’une soixantaine de personnes. Naturellement, cela ne va pas sans coûts, et la chose a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Des emplois coûtent naturellement de l’argent et, pour ce projet, la Ville de Göteborg avait donc libéré un budget d’environ 1 310 000 euros. Les pouvoirs publics ont cependant récupéré la moitié du montant du fait qu’elles devaient déjà payer moins d’allocations de chômage. L’un dans l’autre, chaque nouvel emploi à Svartedalen aura coûté environ 20 840 euros par an.

Une comparaison avec la création d’emploi en Belgique s’impose. Le Bureau du plan belge part d’une création nette de 40 000 emplois entre 2016 et 2020 comme résultat du tax shift. Ces nouveaux emplois coûtent au total 3 milliards d’euros, soit 75 000 euros par emploi. C’est infiniment plus qu’à Göteborg. Et, bien que le gouvernement belge ait déjà dépensé ou budgété cet argent, la création d’emploi est encore très incertaine.

Le débat sur une semaine de travail plus courte ouvre aussi celui sur les bénéficiaires de la hausse de productivité. Entre 1950 et 1993, nous sommes devenus quatre fois plus productifs, mais les travailleurs qui ont assuré cette productivité n’en ont pas réellement vu les fruits. La diminution collective du temps de travail a été modeste, durant cette période. Et, depuis lors, il n’y en a plus eu, et c’est même un mouvement inverse qui s’est opéré. Le temps de travail annuel s’est à nouveau allongé. Et nous ne parlons pas encore ici de l’allongement de la carrière avec le recul de l’âge de la pension.

Depuis 1993, la richesse produite par habitant a augmenté de 37 %. Durant cette même période, le salaire n’a augmenté que de 13 %. Les travailleurs n’ont en fait profité que de façon très limitée de la hausse de productivité des dernières années. Il existe donc un espace pour une réduction considérable du temps de travail.

La semaine de 30 heures ne s’arrête pas à Svartedalen

Le débat sur la diminution collective du temps de travail est brûlant. Et l’expérience de Göteborg n’a fait que l’alimenter. Dans le contexte de la maison de repos de Svartedalen, les effets positifs sont évidents. Aussi devons-nous en tirer les leçons et examiner de près comment nous pouvons aller plus loin encore avec cette semaine de 30 heures.

Un projet test dans notre propre pays nous semble une excellente idée. Pourquoi ne pas prendre en marche le train de la semaine de travail raccourcie ? De la sorte, la Belgique pourrait se profiler comme innovante au niveau social.

Et voici une proposition concrète. En repensant à Emma, nous demandons à la ministre de la Santé Maggie De Block et au ministre de l’Emploi Kris Peeters de ne pas couper dans les jours de congé supplémentaires, mais plutôt d’étendre le système. Donnez un jour de congé de plus aux plus de 60 ans, de sorte qu’ils aient une semaine de travail de 30 heures. Organisez alors une étude autour de cette extension et examinez les possibilités et la plus-value que tout cela représentera pour les travailleurs. C’est ainsi que notre pays empruntera la direction d’une politique résolument moderne de l’emploi.

Maartje De Vries est spécialiste pour le PTB du dossier de la semaine de 30 heures. Elle est la présidente de Marianne, le mouvement de femmes du PTB.

Janneke Ronse est membre de la direction de Médecine pour le Peuple.

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