Carte blanche

Remplacement des F-16 : rappel des besoins fondamentaux

La presse a récemment donné la parole à des penseurs prônant l’annulation pure et simple du projet de modernisation des moyens aériens de notre armée. Pour ces  » pacifistes  » , seules des négociations diplomatiques sont justifiables pour dissuader ou régler les conflits.

. Voilà un voeu respectable et l’on aimerait bien qu’ils aient raison le plus souvent possible. Mais nul n’a hélas le droit de méconnaître l’Histoire de l’humanité et la nature dangereuse de l’Homme . Tout comme jadis, le monde d’aujourd’hui n’est pas épargné par de virulents antagonismes politiques , idéologiques , économiques ou territoriaux. Aux entités étatiques rivales s’ajoutent des risques tout aussi multiformes, générés par le terrorisme, y compris d’origine endogène. Dans un tel contexte, personne ne saurait infirmer l’intérêt d’un État à disposer, en propre, d’une solide capacité de forces. Qui reste le préalable indispensable à toute forme de dissuasion ou de négociations. Dans les pays européens militairement neutres (non membre de l’OTAN, dont la Suède, la Finlande et la Suisse ), la question ne se pose jamais. Leurs moyens militaires sont toujours bien préparés et équipés. Et une culture collective parfaitement ancrée , fait que toute la nation est prête, si nécessaire, à s’exposer pour la défendre. Chez nous , une majorité silencieuse de pacifiques citoyens comprend très bien les besoins d’une Défense suffisante et crédible. Et dont on sait qu’elle doit désormais se rendre apte à traiter aussi une série de nouveaux modes d’action adverses, y compris les plus insidieux. La conviction de ces concitoyens-là reflète le bon sens commun et tire profit des dures leçons infligées par l’ Histoire .

D’autres raisons justifient la modernisation de notre aviation : elle peut constituer un moyen d’action rapide permettant de concrétiser des choix politiques . Par la dissuasion, mais aussi, s’il le faut, en combattant aux côtés de nos alliés contre un éventuel ennemi commun. Même dans une zone de conflit lointaine. Et sans avoir à déployer des forces au sol. En cas de conflit « classique » de moyenne ou haute intensité, qui pourrait survenir même en Europe, l’aviation peut traiter les forces ennemie au sol et contribuer à la protection des territoires amis contre les moyens aériens adverses. Une capacité d’autant plus indispensable que la Belgique est ( hors Gd de Luxembourg), le seul pays d’Europe occidentale à ne plus disposer de la moindre défense antiaérienne basée au sol. Surréaliste, mais exact. Enfin, des avions de combat peuvent partiellement compenser les importantes limitations capacitaires actuelles de nos forces en matière d’appui feu « sol-sol » : L’artillerie de notre armée ne disposant notamment plus de canons de 155 mm. Le calibre moyen standardisé au sein de l’OTAN.

Un choix de fournisseur axé sur des priorités techniques, économiques ou de politique étrangère ?

Selon notre opinion, le facteur le plus important à considérer est indéniablement l’efficacité technique et militaire réelle. Qui doit être durable (modernisations régulières possibles) et d’un « coût de possession » supportable et justifié. En seconde priorité viennent les retombées économiques / technologiques. Directes ou indirectes, mais claires et certifiées. Et en dernière position devraient venir les paramètres de politique étrangère. On parle là du souci éventuel de répondre positivement aux pressions parfois vives des pays tiers cherchant à vendre leur matériel. Que ces pays se situent , ou non , dans notre voisinage immédiat. Pourquoi ? D’abord, parce que c’est nous et nous seuls qui devrons assurer le financement. Ensuite parce s’il faut combattre un jour, ce sont uniquement les qualités du matériel (et de leurs opérateurs) qui permettront le succès et le retour de nos pilotes. L’amitié entre les nations est un facteur variable et parfois même passablement versatile . Les pays n’ont pas d’ami, ils n’ont que des alliés. Et ce sont majoritairement des paramètres économiques et/ou d’intérêts géostratégiques qui – en réalité – entretiennent, ou pas, la flamme des bonnes relations interétatiques. Le pragmatisme est donc de mise. Tout ceci n’empêchant absolument pas, bien au contraire, de rechercher et pratiquer, avec nos alliés, toutes les synergies techniques et organisationnelles s’avérant possibles et opportunes.

Un « conflit de générations » aéronautique existe-t-il dans les offres faites à la Belgique ?

Indéniablement. L’Eurofighter alias le « Typhoon II » d’ Airbus est entré en service en 2004 et le Dassault « Rafale » français l’a été en 2001. Ces deux appareils européens sont initialement issus d’un projet commun dont la France se dissocia en 1985. L’un et l’autre sont de très bons appareils , polyvalents et éprouvés en opérations. Ils connaîtront encore de nouvelles versions. Et certains resteront en service au-delà de 2040. Le F-35 américain, lui , a été officiellement mis en service durant l’été 2016 , avec 8 ans de retard sur le programme commencé en 1996. C’est très récemment (avril 2018) que l’avionneur a annoncé la fin de la phase de développement et de démonstration (SDD). Le F-35 est présenté comme « furtif » (signature radar réduite). Mais , dans cette configuration, c’est au prix d’un armement quantitativement réduit. En outre, l’avantage de la furtivité radar est diminué par la disponibilité actuelle de plusieurs systèmes de détection dédiés à traquer les avions furtifs. La très longue mise au point du F-35 fut (et est encore) extrêmement coûteuse et difficile. L’engin s’est attiré la critique, voire la défiance d’acteurs politiques, administratifs et militaires. Y compris dans son pays d’origine. Le président Trump et le GAO ( Cour des comptes américaine ) n’étant pas les derniers . Outre un manque de fiabilité récurrent, le prix d’achat du F-35 ainsi que ses coûts d’exploitation et de maintenance sont très importants tout en restant dangereusement nimbés d’incertitudes. Au point que les commandes américaines pourraient, selon le Pentagone, se voir réduites d’un tiers. Au début de mars 2018 , le responsable US du programme F-35 (Amiral Mat Winter , Pentagone) a indiqué que seule la moitié des 280 nouveaux F-35 déjà en unités étaient disponibles. Les autres étant immobilisés en raison d’un manque de fiabilité et de qualité. Mais aussi de la pénurie de pièces. Pour certains, le F-35 n’offre pas la certitude qu’il disposera un jour de toutes les capacités prévues sur papier. Outre l’avion lui-même, d’importants problèmes de fiabilité persistent aussi au sujet du système logistique automatisé (ALIS) associé à l’avion. Que certains estiment par ailleurs exposés à une vulnérabilité stratégique à cause des liaisons informatiques lointaines avec un centre logistique. Des critiques ont aussi été émises chez certains pays acheteurs, à cause du fait que les Américains n’acceptent pas de partager les codes sources du calculateur de bord. Un expert australien ayant parlé à cet égard de « laisse de chien numérique ». Les F-35 déjà en unité obtiennent très graduellement des aptitudes opérationnelles. Il serait inopportun de préjuger négativement de la résolution finale des multiples problèmes. Mais la fiabilisation complète du « système F-35 » n’est pas attendue avant les premières années de la prochaine décennie. La plupart des pays ayant opté jusqu’ici pour cet avion, le font -au moins partiellement- parce qu’ils avaient naguère accepté l’ offre américaine de participer à financièrement et industriellement à son développement. À l’époque, la Belgique ne souhaita pas adhérer à cette association. Pour autant, l’industriel belge ASCO (Zaventem) fabrique déjà de grandes pièces essentielles (en titane) pour les F 35 « Made in Europe » . En sous-traitance pour l’industrie néerlandaise, associée au projet F-35 depuis longtemps.

En quoi consisterait une alternative dite « modernisation graduelle des moyens » ?

Elle consisterait à moderniser en Belgique, dès le court terme, l’électronique de bord de nos F-16 . En les conformant à la dernière version de l’avion appelée « V » pour « VIPER ». Cette modernisation des équipements opérationnels prendrait place dans une chronologie contraignante pour laquelle la Belgique prendrait engagement de faire le choix optimal d’un appareil de remplacement dans 4 ans, donc en 2022 . À ce moment-là , on saura sûrement si le F-35 est , ou pas , l’énorme échec technique et/ou le très lourd boulet budgétaire qui est redouté par certains, sur les deux rives de l’Atlantique. En outre, en 2022, les autres avionneurs – candidats auront eu le temps de développer les nouvelles versions, annoncées, de leurs appareils. La « portée temporelle » d’une modernisation des équipements opérationnels du F-16 pourrait s’étendre jusqu’à minimum 2030 , garantissant ainsi une transition sûre. Si possible, elle permettrait aussi de maintenir en service, parallèlement aux futurs nouveaux avions, un certain nombre de F-16 « Viperisés ». La disposition simultanée de plusieurs types d’avions de combat a longtemps prévalu en Belgique. Et c’est une chose très habituelle dans tous les Pays dotés d’une aviation.

Une telle modernisation graduelle des moyens aériens pénaliserait-elle notre industrie ?

Quatre ans de délai pour faire un choix optimal , ce n’est pas très long. Surtout, la stratégie graduelle que nous esquissons ici propose aussi que la Belgique rejoigne le nouveau projet aéronautique européen qui va se constituer sur la base du «  Système de combat aérien futur (SCAF) » basé sur une coopération franco-allemande déjà décidée politiquement . Et qui va sans aucun doute s’étendre à d’autres nations européennes. L’avion de combat futur qui fera partie de ce système, devrait remplacer les plus anciens « Rafales » et Eurofighters « Typhoon 2 » à partir de 2035-2040. L’adhésion de la Belgique à ce projet, ne la dispenserait pas du choix intermédiaire d’un nouvel appareil. Le prédécesseur du F-16 , le F-104G, fut utilisé pendant 20 ans. Le remplaçant du F-16 aurait une carrière longue de 25 à 30 ans.

Éléments techniques de la première étape d’une « modernisation capacitaire graduelle »

Présentée par l’avionneur en 2016 , l’ultime version du F-16, baptisée « V » pour « VIPER » , comporte un nouveau radar , un nouvel ordinateur de mission, un affichage de suivi de terrain (entre les jambes du pilote), une connectivité améliorée et plusieurs perfectionnements en matière de sécurité . De telles modernisations sont en cours de réalisation pour les pays très « exposés » que sont Taiwan et la Corée du Sud. C’est aussi le choix de la Grèce. Pour 85 de ses 155 F- 16 . Aux USA , 72 F-16 de « l’Air national Guard » seront ainsi modernisés. Les nouveaux radars (des APG-83 « SABR ») sont technologiquement proches de celui dotant le F-35 . Le fabricant étant d’ailleurs le même (Northrop-Grumman ). Autre indice que le F-16 a encore de l’avenir : l’US Air Force le rend actuellement apte (ainsi que d’autres types d’ avions américains ) à tirer un tout nouveau missile de croisière (Le JASSM-ER, d’une portée supérieure à 900 km).

Les F-16 en service sont-ils aptes à « rentabiliser » une éventuelle modernisation « Viper » ?

Question essentielle et qui dépasse nos compétences . Mais voici des informations provenant d’une publication étrangère de référence (Voir A&C N°2588 du 30 mars 2018 , P12) ; Nos « F-16 » ont en moyenne 5000 Heures de vol à leur actif (accumulé depuis les années 1980′). Alors que le potentiel initial « normal » de l’avion serait de 8000 heures. Selon n’importe quelle calculette, une marge certaine existerait dans ce cas pour « amortir » une nouvelle électronique de combat . Militairement parlant des F-16 modernisés assureraient une transition plus sûre. Et la temporisation budgétaire générée par cette « modernisation capacitaire graduelle » permettrait , on peut l’espérer , d’acquérir quelques autres

équipements bien nécessaires pour étoffer globalement les capacités de forces de la Belgique.

Car le fait est qu’il peut se passer beaucoup de choses , sur le plan géopolitique, d’ici à la disponibilité opérationnelle complète d’un nouveau modèle d’ avion (quel qu’il soit et même s’il était choisi dans quelques mois ) .

Sécuriser une telle transition est par exemple le choix qui a été fait par la Suisse. En décembre 2020, ce pays neutre choisira une nouvelle combinaison de moyens pour sa défense aérienne ( nouveaux chasseurs + nouveaux missiles sol-air. Financés par une seule enveloppe globale) . Ses F/A 18 seront modernisés pour rester efficaces jusqu’en 2030 . Période où devrait se terminer la livraison de tous les nouveaux appareils.

Christian Tille « Citoyen. Observateur des questions de Sécurité & Défense ».

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