Walter De Smedt

Règlement à l’amiable : Koen Geens fait de la Belgique un « État voyou »

Walter De Smedt Juge pénal retraité et seul Belge qui a été membre du comité P et I.

Le premier président de la Cour de la Cassation a prévenu que notre pays pourrait devenir un « État voyou », c’est-à-dire un pays qui se place en dehors des traités internationaux. C’est ce que confirme à présent la Cour constitutionnelle.

Dans un arrêt du 2 juin 2016, la Cour se prononce sur une série de questions importantes au sujet de la proposition transactionnelle qui permet au procureur de conclure un règlement à l’amiable avec le suspect au sujet du délit commis – ce qui veut dire qu’on se libère d’une poursuite en payant une indemnité. La Cour estime que ce règlement à l’amiable « sans contrôle judiciaire effectif » porte atteinte tant à notre Constitution qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Difficile d’être plus clair. D’après l’arrêt de la Cour constitutionnelle, notre pays est effectivement un « État-voyou ».

Règlement à l’amiable : Koen Geens fait de la Belgique un État-voyou

Et l’affaire n’est pas close, parce que « l’État » ne porte pas de responsabilité. Celle-ci incombe à ceux qui ont transformé l’état en « État-voyou ». Dans ce dossier, une personne porte une responsabilité indéniable : le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) en personne.

Le site web d’Eubelius, le cabinet d’avocat bruxellois où Koen Geens était associé fondateur avant de devenir ministre, indique que la loi sur la proposition transactionnelle élargie a été adoptée à la demande de clients de cabinets d’affaires :  » Les récentes modifications de l’article 216bis du Code d’instruction criminelle sont le résultat de (…) l’aspiration émanant surtout du monde de l’entreprise pour une possibilité de mettre un terme à des procédures pénales déjà en cours par la conclusion d’une transaction, dans les cas où le suspect est disposé à reconnaître sa culpabilité et à en supporter volontairement les conséquences financières ».

Même si maître Geens a quitté Eubelius, « l’élargissement de la transaction en matière pénale » demeure son cheval de bataille. C’est même l’essentiel de la philosophie de son projet de réformes où le ministre qualifie l’élargissement de la transaction en matière pénale « de pratique débutante encore en pleine expansion », et qu’il souhaite élargir. Le ministre souhaite également éviter un maximum le traitement par le juge pénal, la raison pour laquelle la Cour constitutionnelle constate l’infraction : « Les dispositions pénales sont réduites en nombre et simplifiées. Seules les infractions considérées comme devant vraiment être punies – parce que les intérêts lésés par l’infraction sont à ce point essentiel pour l’intérêt social général et qu’aucune réparation ne peut être apportée aux victimes par d’autres moyens – sont encore portées devant le juge répressif ».

Le ministre de la Justice Koen Geens utilise un autre tour d’adresse. Tout comme la proposition transactionnelle – cachée dans une loi-programme – n’a pas été votée dans la bonne Commission, Koen Geens a inventé les lois pot-pourri. Ou s’agit-il plutôt de Pots-Pourris? Les parlementaires, qui doivent avaler tout ça, se rendent-ils suffisamment compte de ce qu’ils font ?

Le ministre de la Justice s’est-il senti visé, à juste titre, par ce que le premier président a déclaré au sujet de « l’État voyou ». Il n’accepte pas que des magistrats communiquent leurs griefs aux médias et se réfère à la Cour européenne qui impose la « discrétion » aux magistrats. Cela doit les empêcher de se servir de la presse, même pas pour répondre aux provocations.

Cependant, le Guide pour les Magistrats stipule clairement à la page 12 que, « lorsque la démocratie et les libertés fondamentales sont en péril, la réserve cède devant le droit d’indignation ». N’est-ce pas le cas des conséquences de l’élargissement de la transaction et de l’élargissement plus poussé ambitionné par le ministre ?

Écart

Tous les jours, l’écart se creuse non seulement entre la politique et le citoyen, mais aussi entre le ministre de la Justice et le personnel de prison, le personnel judiciaire et même les magistrats. Cependant, l’insatisfaction ne porte pas uniquement sur l’argent ou les conditions de travail, il s’agit surtout de la façon dont le ministre de la Justice souhaite imposer ses positions sur la Justice.

On peut parler d’un manque d’intégrité, car intégrité signifie qu’on fait ce qu’on dit, et qu’on dit ce qu’on fait. Ce n’est pas le cas quand on souhaite modifier l’image de la société à coup d’astuces, car c’est ce que fait le ministre de la Justice : c’est l’instauration de la différence entre les pauvres et les très riches, l’application de ce qu’il appelle le « ius vigilantibus », le droit de l’éveillé aux dépens du plus faible.

Le ministre Geens peut facilement ignorer les actions et les grèves, mais comment compte-t-il réaliser son projet grandiose ? Et le cas échéant, l’écart entre la Justice nationale et internationale ne se creusera-t-il encore plus ? Et enfin, Koen Geens peut-il encore rester ministre de la Justice ?

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