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Radicalisme : pourquoi les prisons ne sont pas prêtes

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le plan d’action contre la « radicalisation en prison » de Koen Geens est très laborieux à mettre en route. Voici pourquoi.

Après les attentats de Paris du 13 novembre, le gouvernement Michel a promis que tous les djihadistes belges qui reviennent de Syrie passeraient directement par la case prison. Entre les déclarations d’intention et les actes, il y a parfois de la marge. Après l’attentat contre Charlie Hebdo et le démantèlement d’une cellule terroriste à Verviers, en janvier dernier, le même gouvernement s’était engagé à lutter contre le radicalisme en prison en isolant les recruteurs et les prosélytes. On évalue à 77 le nombre de détenus islamistes radicaux « à surveiller » de près. Qu’en est-il onze mois plus tard ? Côté francophone, la section spéciale prévue à cet effet au sein de l’établissement d’Ittre est toujours vide…

Il a fallu attendre le 22 octobre pour que le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) lance concrètement son plan d’action contre la « radicalisation dans les prisons ». L’élément central de ce plan est l’aménagement d’une aile spécifique dans deux prisons du pays – à Bruges côté flamand, à Ittre côté francophone – pouvant chacune accueillir une vingtaine de détenus. A Ittre, l’infrastructure est prête. « Les travaux sont terminés », confirme Christophe Huvaere, agent pénitentiaire et délégué CSC. Côté recrutement, il y a eu davantage de volontaires pour travailler dans cette aile que le nombre attendu de 26 agents. Les syndicats n’en sont pas moins inquiets.

« D’abord le cadre général de la prison n’est pas rempli, il manque une trentaine d’agents, déplore Michel Jacobs, permanent CGSP. Ensuite, le plan de rationalisation du gouvernement visant à supprimer 10 % de fonctionnaires est maintenu à Ittre, malgré l’ouverture de la section. Absurde ! » Même ton du côté des autres syndicats qui, ensemble, avaient déposé un préavis de grève au niveau de l’établissement d’Ittre peu de temps avant les attentats du 13 novembre. Hasard du calendrier : une réunion a eu lieu le 16 avec le cabinet Geens.

« Ce jour-là, nous nous sommes retrouvés face à un mur. Les représentants du ministre ne voulaient rien entendre. Nous avons claqué la porte de la réunion comme un seul homme », relate Laurence Clamart, permanente CSC. Résultat : les syndicats attendent une nouvelle date pour une réunion de seconde chance, avant de lancer la grève. « Ce n’est pas qu’une question de personnel, souligne Laurence Clamart. Nous demandons aussi que les agents affectés à la section radicalisme bénéficient d’un suivi, car ils seront confrontés huit heures par jour à des manipulateurs. Ce n’est pas évident à gérer. »

Par ailleurs, si les formations ad hoc des agents ont débuté à Hasselt, seuls la direction et le service psycho-social d’Ittre ont commencé à être formés, selon Michel Jacobs. Quant à savoir quel est le contenu de la formation… « Nous ne sommes pas au courant », dit le permanent CGSP. En outre, l’expert international attendu pour superviser le programme « déradicalisation » n’est pas près d’arriver, vu que, comme l’a révélé De Standaard, l’inspection des finances vient de recaler l’engagement de ce spécialiste car il n’y a pas eu d’appel d’offres. Ce qui peut prendre des mois.

Enfin, autre souci : les imams qui viennent en prison sont étroitement associés au plan d’action. Le hic est qu’ils doivent aussi être formés par l’expert international. Mais, surtout, ils ne sont pas assez nombreux, vu l’ampleur de la tâche. Comme nous l’écrivions le 13 février dernier, le cadre prévoit 18 imams équivalents temps plein pour les 36 établissements du pays. Or, côté francophone, il manquait, il y a un an déjà, deux imams sur neuf. « Depuis lors, l’effectif n’a toujours pas été augmenté, regrette Ibrahim Bouhna, conseiller en chef des imams pénitentiaires. Pire : nous allons bientôt perdre un troisième imam. » Bref, un an après Charlie, le plan d’action a du plomb dans l’aile.

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