© Belga

Radicalisme en prisons : au-delà des fantasmes

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pour contrer la radicalisation des musulmans en prison, le gouvernement veut regrouper les détenus à risque. Une mesure qui, à priori, ne convainc guère le personnel pénitentiaire, car elle risque de renforcer une réalité mal évaluée à la base.

On en avait parlé après les tueries de Mohamed Merah, en France, en 2012. Et puis, on n’avait rien fait. Les récents attentats de Paris ont relancé le débat : comment lutter contre le radicalisme en prison ? Cette fois, le gouvernement Michel Ier semble disposé à prendre des mesures concrètes face à ce phénomène dont on mesure difficilement l’ampleur. L’idée est de former le personnel pénitentiaire à détecter les détenus radicaux ou qui se radicalisent et de les regrouper en un même lieu de détention.

Selon la dernière piste étudiée, les condamnés à risque se verraient cantonnés à la prison d’Ittre, côté francophone. Ce sont les 26 cellules du Rez-A qui, au rez-de-chaussée donc, feront office de section « djihadistes ». Une visite devait y être organisée, ce 9 février, avec les syndicats de surveillants et le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), mais elle a été reportée, au dernier moment, au 23 mars. Les prévenus radicaux, eux, seront rassemblés dans un autre établissement : soit Lantin, soit Marche. Le premier dispose d’une section à sécurité renforcée, l’ancien bloc U, mais qui, depuis qu’un détenu l’a saccagé il y a quatre ans, n’a toujours pas été remis en état. Le second a l’avantage d’être une nouvelle prison, ouverte en 2013 et conçue autour du concept de haute sécurité.

Est-ce une si bonne idée de regrouper les radicaux ? En France, l’établissement de Fresnes, au sud de Paris, mène une expérimentation de ce type depuis octobre 2014, avec actuellement 22 détenus radicalisés. S’il n’a pas encore fait l’objet d’évaluation officielle, ce test s’avère d’emblée peu concluant, d’après les reportages de la presse française. Il serait même contreproductif, car, disent les gardiens de Fresnes, non seulement ces détenus spécifiques ne sont pas hermétiquement séparés des autres, mais ils se renforcent les uns les autres en croisant leurs réseaux et voient leur aura grandir au sein de la prison.

Au-delà de l’architecture des bâtiments, la question de l’efficacité se pose aussi quant au bien-fondé de la mesure du regroupement. « On parle du radicalisme en prison depuis près de dix ans, mais personne n’a jamais étudié le phénomène », indique un agent d’Ittre. « A ma connaissance, il n’y a aucune recherche sur le sujet, confirme Philippe Mary, criminologue à l’ULB. De toute façon, l’administration pénitentiaire ne commande plus aucune étude aux universités depuis quinze ans… » Bref, on navigue à vue.

Dans les prisons à forte concentration de détenus musulmans, comme Ittre, Andenne ou Lantin, le radicalisme n’est pas perçu, pour le moment, comme un gros problème par les agents et directeurs pénitentiaires que Le Vif/L’Express a rencontrés. « On a eu quelques détenus prédicateurs dans le passé, on n’en a plus pour l’instant », atteste Marc Peeters, délégué CSC à la prison d’Andenne où, en 2012, selon un recensement, près d’un détenu sur deux était musulman. Les condamnés belges qui se tournent vers la religion islamique sont souvent considérés comme les plus à risque.

De toute façon, le radicalisme est difficile à reconnaître. Très peu de gardiens comprennent l’arabe. Lorsqu’ils tombent sur un drapeau islamique, ils ne savent même pas déchiffrer les inscriptions brodées dessus. Pas la moindre formation n’existe à l’heure actuelle, et ce malgré la demande de certaines directions qui souhaitaient y voir plus clair.

Même chose pour l’appel à la prière que certains détenus s’arrogent le droit de lancer, comme s’ils étaient imams et ce malgré l’interdiction. Sont-ils radicaux, pour autant ? « Le problème de l’appel à la prière dans les prisons n’est pas nouveau. Cela existait il y a vingt ans, sans qu’on parle de radicalisme à l’époque », témoigne un directeur à l’expérience déjà longue.

Le reportage dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– « Il y a presque vingt ans, toute l’attention s’est focalisée sur les pervers sexuels. Aujourd’hui, la plupart purgent la quasi-totalité de leur peine, puis retrouvent la liberté. On va faire la même chose avec les islamistes radicaux »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire