Julien Lahaut © /

Pourquoi Lahaut devait mourir

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Haro sur les « vilains cocos » : orchestrée sous couvert de guerre froide, l’hystérie anticommuniste devient un pousse-au-crime. Le 18 août 1950, elle désigne le président du Parti communiste Julien Lahaut aux balles de tueurs restés impunis. Pourquoi tant de haine ?

Qui ? Pourquoi ? Ces questions tournaient en boucle depuis près de soixante-cinq ans. Depuis ce 18 août 1950 où le leader communiste Julien Lahaut était froidement abattu à son domicile de Seraing. Le plus retentissant assassinat politique de l’Histoire de Belgique restait une énigme judiciaire. Il a sa vérité historique depuis mai 2015, établie pour le compte du Ceges par un trio d’historiens mandatés par le Sénat.

Mort au « Rouge ». Représailles de léopoldistes pour venger le « Vive la République ! » lancé depuis les bancs communistes du Parlement lors de la prestation de serment de Baudouin, une semaine avant l’attentat ? Fausse piste. Ce n’est pas la Question royale mais le climat de guerre froide qui a été fatal à Julien Lahaut. Le forfait, oeuvre d’anticommunistes « ultras », l’a été par peur et haine du Rouge. Attentat planifié dès 1948. Personnage-clé dans cette affaire : André Moyen, indic’ du service de sécurité militaire, ex-résistant, que l’on retrouve à la Libération à la tête d’un réseau de renseignement privé en croisade contre la menace soviétique. C’est un commando issu de ce réseau qui exécute Lahaut. Acte planifié : dès 1948, un « contrat » courait sur la tête du leader du PC.

Avec l’argent de la haute finance. Moyen connaît des gens haut placés et vit de leurs deniers. Son organisation clandestine « est financée par les principaux groupes industriels et financiers du pays : Société générale et Brufina ». Mission : liquider un traître inféodé à Moscou. Habitué à faire rapport à ses bailleurs de fonds, Moyen les tuyaute par note du 31 août 1950 sur le mobile de l’assassinat. Cette exécution est un acte de guerre, la liquidation d’un traître à la solde de l’URSS. Les assassins, non nommés, sont prêts à récidiver sur d’autres leaders communistes si le gouvernement persiste à ne pas traquer la « cinquième colonne » soviétique. Blackout et omerta en haut lieu. Des personnalités de l’establishment belge possèdent des informations sensibles sur l’assassinat. Elles se gardent de les communiquer à la Justice. Parmi ces gros bonnets mis dans la confidence : Albert De Vleeschauwer, CVP et encore ministre de l’Intérieur deux jours avant l’assassinat. Lequel s’enfuit en France le lendemain de l’attentat, escorté par l’organisation de Moyen. Par peur de représailles…

Commanditaires sans visage. Qui a ordonné de presser sur la détente ? Le dossier garde sa part d’ombre. « Il paraît invraisemblable d’imaginer qu’un document écrit contenant l’ordre ou la mission soit retrouvé un jour », signale le rapport des historiens. Des documents opportunément détruits ou amputés de leurs passages compromettants, empêcheront de donner un visage aux commanditaires. Plus aucune langue ne se déliera : André Moyen est décédé en 2008, à 93 ans, sans jamais avoir été inquiété. Et pour cause : son réseau infiltrait les polices judiciaires de Liège et de Bruxelles qui se sont assises sur le dossier. « La question de savoir si les assassins ont agi sur ordre est moins importante, tempèrent les historiens. C’est le système qui a tué Lahaut. »

Bombe politique désamorcée. Collusion entre réseau de renseignement privé proche de l’extrême droite et services de police officiels qui sabotent l’enquête judiciaire. Protections haut placées de cercles financiers et politiques. Stratégie de la tension et tentative de déstabilisation de l’Etat. L’affaire Lahaut était une bombe politique d’une puissance dévastatrice si elle avait éclaté au coeur d’un pays qui n’était pas encore remis de la commotion liée à la crise royale. Soixante-cinq ans plus tard, le Sénat ne pouvait qu’en prendre acte.

Lahaut liquidé au Sénat

Rideau. Julien Lahaut, député- président du Parti communiste assassiné le 18 juin 1950 à son domicile à Seraing, a été fin juillet définitivement enterré par le Sénat. Sans fleurs ni couronnes, dans la plus stricte intimité, selon la volonté de l’assemblée. Celle-là même qui avait décidé, en décembre 2008, de relancer une enquête scientifique sur le véritable mobile de l’assassinat politique le plus retentissant de l’histoire de Belgique. Mission accomplie, sous la houlette du Cegesoma : il est désormais établi que le dirigeant communiste est tombé sous les balles d’un commando anticommuniste financé par les géants de la finance belge, au nom de la Guerre froide. Pas de quoi remuer les tripes des sénateurs. Qui savent se contenter de peu.

Mi-mai, « l’affaire Lahaut » a donc été expédiée lors d’une conférence de presse organisée dans une des salles annexes du Sénat. En l’absence de la présidente, Christine Defraigne (MR). Au milieu du désintérêt criant des sénateurs. Julien Lahaut, élu du peuple, n’a eu droit ni à un minidébat, ni à une prise de parole lors d’une séance plénière. Son exécution ne laissera dans les annales parlementaires aucune trace écrite qui acterait officiellement des conclusions politiquement lourdes de sens. « Nous aurions pu faire plus », concède le sénateur PS Philippe Mahoux. Defraigne confirme. Le Sénat se cherche des raisons d’exister ? Il vient magistralement de prouver le non-usage qu’il est capable de faire de ses propres résolutions. Triste.

Comment l’entreprise de diabolisation des communistes dans l’immédiat après-guerre a-t-elle conduit au passage à l’acte sur Julien Lahaut, le 18 août 1950 ? C’est à lire dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire