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Pourquoi il faut arrêter d’exhiber nos enfants sur internet

Le Vif

Les parents sont de plus en plus nombreux à partager les informations et les photos de leurs enfants sur internet. Le but est d’obtenir des conseils ou de se vanter de ses talents parentaux. Mais que passe-t-il si les enfants deviennent victimes de harcèlement ou s’ils deviennent une arme dans un divorce conflictuel ?

Il y a quelques mois, Ann Van Elsen, ancienne Miss Belgique et « BV », partageait une photo d’allaitement avec ses 53 000 followers Instagram. Le but était de briser les tabous qui entourent toujours l’allaitement, mais quelle que soit la noblesse de l’intention sous-jacente, ces enfants n’ont évidemment jamais donné leur autorisation. En outre, le problème s’aggrave encore quand ces photos – comme cela se produit régulièrement – se retrouvent sur des forums pour pédophiles.

La publication en ligne de photo ou d’informations sur vos enfants s’appelle « sharenting », une contradiction entre « share » (partager) et « parenting ».

D’après l’expert en vie privée Michel Walrave, professeur à l’Université d’Anvers, le sharenting est fréquent. « Une étude américaine relève que plus de sept parents sur dix publient des informations sur leurs enfants sur internet, parce qu’ils sont fiers de leur enfant ou de leurs prestations de parent. Le sharenting peut être une forme de comparaison sociale, une façon de montrer les activités passionnantes qu’on fait avec sa famille et à quel point on gère bien les problèmes. Les parents se servent également d’internet pour demander des conseils au sujet de l’alimentation, du sommeil, ou des troubles de comportement de leurs enfants. Les mères le font plus souvent que les pères. En soi, c’est positif. Autrefois, les jeunes parents pouvaient se renseigner uniquement auprès de leurs parents ou de leurs proches. Aujourd’hui, ils disposent d’un réseau large de contacts qui peut les aider. C’est important quand les jeunes parents sont peu sûrs d’eux. Ces conseils peuvent être rassurants quand les enfants sont plus âgés et traversent une puberté difficile. »

Le sharenting présente-t-il d’autres avantages?

« Quand j’étais jeune, on sortait l’appareil photo uniquement aux fêtes de famille ou aux occasions spéciales. Aujourd’hui, nous avons toujours notre smartphone sous la main. Il peut être très amusant de partager les moments plus quotidiens avec les amis et la famille. Le problème, c’est la forme que peut adopter ce sharenting. Tout à coup, on partage toutes sortes d’images – parfois les échographies du foetus – de quelqu’un qui n’a pas donné son autorisation – avec plein de gens », raconte Michel Walrave.

Les parents ne maîtrisent pas toujours le sort de ces images. Il y a quelques années, un père a partagé une vidéo sur YouTube de son fils de sept ans confus après une anesthésie chez le dentiste. Bien que destinée aux proches, la vidéo a été vue 125 millions de fois.

‘Hillary for prison’

Les experts fustigent le fait qu’un enfant n’a plus le droit de former sa propre identité. Aux États-Unis, on a vu apparaître un nombre élevé de photos d’enfants vêtus de t-shirts portant l’inscription ‘Hillary for prison’. La question qui se pose, c’est si ces enfants, dont les photos sont partagées des milliers de fois, ont encore l’occasion de développer leurs propres idées. Les parents sous-estiment souvent à quel point une information peut mener sa propre vie.

« Les enfants risquent d’avoir une identité numérique avant d’être actifs en ligne. Beaucoup dépend des paramètres de confidentialité des parents. Cependant, les infos publiées sur internet peuvent être sauvegardées et copiées à notre insu. La technologie de plus en plus avancée de reconnaissance faciale permet de reconnaître les photos de quelqu’un enfant. »

« Et que se passera-t-il si un enfant ou un adolescent traverse une période difficile? « Si on en retrouve des traces en ligne, les employeurs tireront peut-être leurs conclusions, même si le problème est résolu depuis longtemps. Et ça arrive, car la majorité des recruteurs googlent leurs postulants. »

De temps en temps, on entend des histoires horribles. Ainsi, une mère américaine a partagé des photos de son enfant sur le petit pot sur son blog. Elles se sont retrouvées sur un site pour pédophiles. Ces dangers sont-ils réels ou exceptionnels ?

Walrave: « Cela arrive bel et bien, donc il faut se méfier. Mais il y a d’autres risques. Un enfant peut être harcelé à cause d’une photo censée être drôle. Si on publie des photos de ses enfants à la sortie de l’école ou du lieu où il faut du sport, on donne une idée de ses habitudes et des endroits qu’il fréquente. Quand la situation se dégrade entre des parents divorcés, ces informations peuvent être utilisées pour ennuyer l’autre partenaire s’il ne respecte pas les accords.

Les parents ne peuvent-ils plus rien partager sur internet? .

Walrave: « Oui, tant qu’on se montre consciencieux. Sur internet, on se sent souvent désinhibé, et on ose plus que lors d’une conversation entre quatre yeux. Il faut que les parents en soient conscients. On ne montre pas son bon vieil album de famille à tout le monde non plus. Voulez-vous vraiment partager l’échographie de vos enfants avec des centaines de followers que vous avez peut-être rencontrés une fois en vacances ?

En plus, il est primordial de dialoguer avec son enfant. L’âge où c’est possible dépend fort du développement de l’enfant. Mais quand il fait ses premiers pas en ligne, il est important de fixer des règles sur le partage d’informations personnelles. Ainsi, on apprend à ses enfants à gérer leur vie privée et celle des autres. »

Un procès contre papa ou maman

Les enfants peuvent également entamer des poursuites judiciaires contre le sharenting. « Le principe général, c’est qu’on ne publie la photo de quelqu’un si cette personne donne l’autorisation », explique Caroline De Geest de la Commission de la Vie privée. « Pour les enfants, c’est évidemment difficile. Le législateur part du principe qu’ils doivent donner leur autorisation dès qu’ils possèdent suffisamment de discernement. C’est un terme juridique vague, mais on part du principe que l’enfant doit avoir au moins entre douze et quatorze ans. »

« Or », souligne De Geest, « le but n’est pas que les enfants traînent massivement leurs parents devant les tribunaux. « Généralement, ce n’est pas faisable pour un enfant, mais cela devient possible quand les enfants sont divorcés et que l’enfant veut s’opposer à l’un d’eux. Si un enfant souhaite qu’une photo ne soit pas publiée, la plupart des parents l’écouteront. »

Jelle Dehaen

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