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Pourquoi abdique-t-on ?

Après Benoît XVI, la reine Beatrix et l’émir du Qatar, le roi Albert II est la quatrième personnalité à poser un acte d’abdication en 2013. Un geste rare, signé par des êtres d’exception. Mais pourquoi abdique-t-on ? Entretien avec le Français Jacques Le Brun, auteur de « Le pouvoir d’abdiquer » (Gallimard, 2009).

De l’empereur romain Dioclétien au roi Albert II, voyez-vous une constante dans les abdications ?

Jacques Le Brun: J’ai entendu en direct l’annonce de l’abdication de votre roi. Même si on n’est plus du temps de Dioclétien ou de Charles-Quint, il y a une essence du pouvoir qui traverse les époques. Avant, on accédait au trône par la grâce de Dieu, à présent grâce au peuple et le roi Albert l’a rappelé. Alors que les souverains d’aujourd’hui n’ont plus la même solitudo potestatis (solitude du pouvoir) qu’avant, j’ai été frappé par la majesté ou en tout cas par la dignité de son discours. Plus que dans celui de la reine Beatrix des Pays-Bas, par exemple.

Vous écrivez que pour expliquer les abdications, il faut aller au-delà des « trop bourgeoises justifications » comme la maladie, la vieillesse, le besoin de repos… Pourquoi ?

Dioclétien avait déjà évoqué qu’il voulait désormais mener une vie simple, se consacrer à son jardin, prendre soin de lui. Mais c’est peut-être un trompe-l’oeil. Le pouvoir peut aussi engendrer une sorte de mélancolie, car l’homme sait qu’il n’a pas tout pouvoir, qu’il est limité et qu’il mourra un jour.

Le pouvoir n’agit-il pas plutôt comme l’adrénaline ?

C’est vrai aussi. Il y a également des types d’hommes dont on sait que jamais ils n’auraient renoncé à ce pouvoir, tels que Louis XIV ou Jean-Paul II, qui tous deux étaient pourtant fort malades. Cela peut-être parfois un signe d’abnégation ultime ou un geste d’amour envers son royaume. Malgré les exhortations de son précepteur Fénelon, Philippe V (1683-1746) a ainsi refusé tout un temps de céder son trône car il estimait qu’il se devait au peuple espagnol, et que cela surpassait toute considération familiale ou dynastique.

L’abdication, signe d’humilité ou d’orgueil ?

Les deux à la fois, et c’est pourquoi cet acte fascine. Au XVIIe siècle, de grands seigneurs ont changé de vie pour devenir subitement ermites au fond d’une forêt. D’autres grands personnages se sont convertis en capucins ou trappistes. C’est de l’humilité, peut-être aussi une forme d’orgueil dans le sens où il y a la conversion à une grandeur plus grande que celle qu’on quitte. On l’a vu avec de Gaulle en 1946 et 1969 : certains y ont vu un désir de se situer au-delà de son pouvoir déjà considérable.

Abdiquer, serait-ce aussi une façon de vouloir entendre encore de son vivant des éloges qu’on réserve seulement aux défunts ?
Peut-être. C’est une façon de se rendre maître du temps. Avec toute la prudence requise, je rapproche cela du suicide. Orgueil suprême ou parfaite humilité ? Quitter le pouvoir ou quitter la vie, c’est vouloir maîtriser sa propre destinée. C’est moi qui choisis.

Avec cette réserve : « Puis-je renoncer à ce que je n’ai pas eu le pouvoir d’acquérir ? », écrivez-vous. Pourquoi considérez-vous cette question comme cruciale ?

Car elle explique les ambiguïtés suscitées par l’après-abdication. Après avoir cédé le pouvoir, Charles-Quint continue d’attirer les regards. Regardez aussi Benoît XVI : comment se fait-il qu’il garde encore certains attributs de la papauté ? Il paraît qu’une encyclique sera signée des deux papes. Quel sera le statut du roi Albert II? Ce sera intéressant de voir les développements ultérieurs.

Propos recueillis par François Janne d’Othée

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