Leila Lahssaini

Pour un vrai nouveau souffle pour l’aide juridique

Leila Lahssaini Avocate à Progress Lawyers Network, collaboratrice de la Plateforme "Justice pour tous"

Notre Constitution prévoit que tout citoyen a et doit avoir accès à la justice pour pouvoir y défendre ses droits. L’accès à la justice est l’un des principes de base essentiels à une vie conforme à la dignité humaine. La réalité est malheureusement bien éloignée des principes. Et la réforme de l’aide juridique proposée, dont la presse s’est fait l’écho cette semaine, ne laisse pas présager une amélioration à ce sujet, bien au contraire. La Plateforme  » Justice pour tous  » a mobilisé à ce sujet ce 26 novembre associations et acteurs du monde judiciaire pour relancer le débat sur l’accès à la justice, via notamment le lancement d’une pétition.

En tant qu’avocate stagiaire, je découvre un monde professionnel nouveau, avec ses codes, ses difficultés et ses enjeux.

Parmi ces nouveautés, devoir discuter d’argent avec la personne qui vient vous demander de défendre ses droits. Et une autre, se rendre rapidement compte à quel point demander à voir ses droits défendus est particulièrement cher. Cela implique de réaliser concrètement que l’accès à la justice est loin d’être garanti pour tous.

J’ai rencontré récemment une dame dans le cadre d’une consultation, appelons-la Anne-Marie, harcelée sur son lieu de travail. Bien qu’elle ait un emploi, cette mère de famille ne dispose pas de réserves financières suffisantes pour faire face aux grosses dépenses qu’implique une procédure judiciaire. Elle a donc finalement renoncé à faire valoir ses droits et continue à subir un environnement professionnel malsain.

L’accès à la justice est déjà plus que problématique

Le cas d’Anne-Marie est loin d’être isolé. Il arrive très souvent que des personnes renoncent à faire appel à un avocat, car ils ne peuvent faire face à la facture salée qui en résulte.

Que ce soit pour des différends familiaux, locatifs ou encore professionnels, le coût est prohibitif: frais d’avocat augmentés de 21% de TVA (qui représente un coût supplémentaire énorme pour les particuliers qui ne peuvent la déduire par ailleurs), droits de greffe à payer pour introduire son affaire (les montants ont été récemment augmentés de 50%), indemnité de procédure à payer à la partie adverse en cas d’échec,… Avec ces différentes mesures, entamer une procédure judiciaire est, pour Anne-Marie et d’autres, quasiment impossible.

Il existe pourtant en Belgique un système d’aide juridique. Ce droit à l’aide juridique est d’ailleurs prévu par l’article 23 de la Constitution qui consacre le droit de mener une existence conforme à la dignité humaine. Néanmoins, il faut rappeler qu’actuellement, les revenus pour y avoir accès sont déjà particulièrement bas : 953 euros pour une personne isolée et 1224 euros en cas de personnes à charge dans le ménage. De très nombreux citoyens ne sont pas dans les conditions de l’aide juridique, tout en ayant d’énormes difficultés à payer un avocat.

En connaissant cette situation, il semble que l’aide juridique devrait être au contraire étendue plus largement afin qu’Anne-Marie puisse effectivement avoir accès à un avocat si elle en a besoin.

Malheureusement, les mesures du Plan Geens telles que proposées actuellement auront semble-t-il au contraire pour effet de rendre cet accès plus difficile encore.

Une réforme de l’aide juridique inquiétante

Lorsqu’on lit les grandes lignes du Plan du Ministre de la Justice Koen Geens, on pourrait croire que ce dernier a pris conscience des difficultés majeures empêchant un accès à la justice pour tous. Le premier principe rappelé est en effet celui de l’accès égal à la justice.

Néanmoins, ce beau principe se heurte aux mesures concrètes du Plan : maintien d’une enveloppe budgétaire fermée, responsabilisation des acteurs, lutte contre la surconsommation.

Les problèmes principaux de l’aide juridique seraient donc que les citoyens « surconsomment » la justice, qu’ils doivent être « responsabilisés ». Ce constat ne correspond pas à la réalité que je vois au quotidien. Comme dans la situation d’Anne-Marie, de nombreux justiciables renoncent au contraire à faire appel à l’appareil judiciaire faute de moyens.

Lors des permanences du Bureau d’aide juridique, on ne rencontre d’ailleurs pas de gens qui se tournent par plaisir vers la justice. Concrètement, il s’agit de femmes qui souhaitent quitter le domicile familial, de personnes qui vivent dans des logements insalubres, de familles surendettées, d’hommes qui vivent dans la rue et à qui on retire leur maigre allocation sociale. Peut-on dire de ces gens qu’ils sont des « sur-consommateurs » de justice ? Qu’il faudrait les dissuader d’agir pour faire valoir leurs droits, en mettant des obstacles financiers supplémentaires sur leur chemin vers le tribunal ?

Pourtant c’est ce qui est proposé dans les mesures concrètes de la réforme de l’aide juridique annoncée.

L’introduction d’un ticket modérateur, à savoir le paiement d’une somme d’argent pour avoir accès à l’aide juridique, est une mesure visant à dissuader les gens d’agir en justice. Quant à l’accès à la justice, on voit mal en quoi il serait renforcé grâce à cette mesure.

Il en va de même pour ce qui concerne le contrôle accru des revenus des demandeurs. Il est annoncé que « toute source de revenus » sera prise en compte. Cela signifie-t-il qu’un petit propriétaire ne pourra par définition pas avoir accès à l’aide juridique ? Comment ces revenus seront-ils contrôlés ? On suppose que cela passera par un plus grand nombre d’attestations à présenter, de documents administratifs et autres preuves à fournir, alors que la constitution d’un dossier complet pour l’accès à l’aide juridique (dont la validité des documents est limitée dans le temps) est déjà un large frein au bénéfice effectif de ce droit.

Ces différentes mesures doivent être comprises dans le cadre du maintien de l’enveloppe budgétaire fermée. Le budget de l’aide juridique reste le même, et tant pis si plus de citoyens y font appel vu la crise économique. Tant pis si la loi Salduz prévoit que les détenus seront assistés d’un avocat, éventuellement sous couvert de l’aide juridique, mais que trop peu de moyens supplémentaires sont mis sur la table. Tant pis si par conséquent les avocats qui décident de défendre leurs clients dans ce cadre sont mal rémunérés. Tant pis pour Anne-Marie qui renoncera à faire valoir ses droits parce qu’elle n’a pas accès au système Pro Deo.

Accès à la justice pour tous?

Chacune de ces mesures vise en réalité à réduire le nombre de personnes ayant accès à l’aide juridique afin que le budget n’augmente pas malgré les besoins. On voit difficilement comment il serait effectivement possible de rendre un meilleur service avec une réduction des moyens déjà insuffisants. Et ce alors que la Belgique n’utilise que 0,7 % de ses dépenses publiques au département de la justice.

Les réactions de différents acteurs de la justice face à cette réforme ne démontrent d’ailleurs pas un soutien sans faille, bien au contraire.

Ainsi, l’Association syndicale de magistrats (ASM) s’est inquiétée de la restriction du droit à l’aide juridique imposée par le maintien de l’enveloppe fermée. L’ASM considère que le ministre Geens n’envisage l’aide juridique que comme un problème budgétaire et non comme un droit fondamental.

De même, les Ordres des avocats insistent sur la juste rémunération à accorder aux avocats, qui dans le cadre d’un budget limité voient leur rémunération déjà faible réduite.

La Plateforme ‘Justice pour tous’ qui regroupe avocats et associations a déjà fait connaître ses craintes également. En 2013, lorsqu’une réforme similaire de la Justice fut proposée par la Ministre Turtelboom, la Plateforme indiquait que ces mesures ne répondaient pas aux problèmes de fond de l’accès à la justice. Plus de 6000 personnes avaient alors signé la pétition demandant une justice accessible et un système d’aide juridique correctement financé. Cette semaine encore, cette même Plateforme a organisé un meeting concernant le projet de réforme, lançant une pétition pour un refinancement de l’aide juridique*.

L’accès à la justice pour tous est un principe nécessaire au bon fonctionnement d’une société. Il s’agit d’un droit reconnu par notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Il est primordial que tous les citoyens, quels que soient leurs revenus, puissent, quand ils en ont besoin, faire trancher leurs différents par un tribunal ou être correctement défendus.

C’est pour cette même raison que les avocats français ont récemment fait grève dans toute la France, pour un refinancement de l’aide juridique et une rémunération correcte des avocats.

Pour que Anne-Marie ou toute autre personne ne pouvant se payer les services d’un avocat puisse se défendre correctement et faire valoir ses droits.

* Pétition pour un refinancement de l’aide juridique : http://www.netwerktegenarmoede.be/petitie

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