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Portraits-robots des mafias en Belgique

La police fédérale recourt, dans son Image policière nationale de sécurité 2011, au critère de la nationalité pour décrire des phénomènes criminels en constante évolution. Elle peut ainsi déterminer la provenance des organisations criminelles actives en Belgique et décrire leur mode de fonctionnement et leurs particularités.

OUEST DES BALKANS : LES ALBANAIS ET LA CULTURE DU CLAN

Les organisations criminelles albanophones sévissent en Belgique depuis le milieu des années 1990. On parle aujourd’hui de quatrième vague d’implantation de ces groupes mafieux provenant des Balkans. A l’époque, les réseaux albanais tenaient d’une main de fer la quasi-totalité du marché de la prostitution en Belgique. Tout en se maintenant à Anvers et à Bruxelles, ils ont perdu de leurs forces dans ce secteur et se sont reconvertis dans le trafic de drogues et d’armes, ce dernier ayant été alimenté par les stocks dispersés après la chute du mur de Berlin. Une des caractéristiques de la mafia albanaise, réputée opportuniste plutôt que stratège, est qu’elle est polycriminelle : elle s’adonne aussi aux vols organisés et au trafic de migrants.

L’organisation criminelle, en cercles concentriques, est d’abord familiale. Autour d’un noyau constitué de membres d’un même clan viennent se greffer des amis ou des individus provenant du même village d’origine, essentiellement de Tropojë dans le nord de l’Albanie et de la vallée de la Drenica, de Pristina et de Mitrovica au Kosovo. Un troisième cercle est constitué de « collaborateurs », soit de main- d’£uvre pour les vols en séries, le passage de drogue, la conduite de véhicules… Les Albanais travaillent aussi avec des clans associés, le plus fréquemment ceux de la Mafia italienne, mais aussi de la Maffyia turque.

Au fil des années, on a vu croître l’implication des groupes criminels albanophones, toujours mieux intégrés dans la société belge. Ils se sont beaucoup investis dans l’import et l’export de cocaïne qu’ils se procurent directement en Amérique du Sud auprès des Cartelitos colombiens, font livrer à Anvers et redistribuent vers l’Italie et la Scandinavie en s’appuyant sur la diaspora albanaise.

SUD-OUEST DE LA MER NOIRE : LES GROUPES CRIMINELS TURCS, MAÎTRES DE L’HÉROÏNE

La police fédérale qualifie les organisations turques de « menaçantes » en raison de leur rôle déjà ancien dans le trafic d’héroïne et l’importation de biens contrefaits (vêtements de marque, parfums, sacs à main, cigarettes). La nouveauté : l’implication de Turcs des Pays-Bas et de Belgique dans la production de cannabis. Sept dossiers en 2008, 39 pour 2009-2010. Les « Turcs hollandais » jouent un rôle de contremaître (organisation des plantations en Belgique) pour le compte de leurs commanditaires, tandis que les « Belges », souvent en situation précaire, sont soigneurs de plantation ou coupeurs de plants. Les groupes criminels turcs exploitent des Bulgares turcophones dans les secteurs du nettoyage, des abattoirs ou de la construction, ainsi que les petits commerces. L’Etat est floué par la fraude fiscale et sociale qui accompagne cette exploitation économique. L’argent du crime est envoyé en Turquie par des passeurs humains et investis dans l’immobilier ou le soutien aux membres de la famille. Les Turcs sont également les champions du « hacktivisme » : le « défacement » de la page d’accueil d’un site officiel ou semi-officiel pour faire passer des convictions politiques, sociales ou religieuses.

LES ROUMAINS SUR TOUS LES FRONTS

Après les Belges, qui occupent la première place pour tous les phénomènes, les Roumains forment le deuxième groupe d’auteurs en importance pour les phénomènes de vol à la tire, la fraude aux cartes de paiement, l’escroquerie sans Internet et le vol par ruse. Ils sont le troisième groupe d’auteurs en importance pour l’exploitation sexuelle, le vol à l’étalage et la criminalité informatique. Un certain nombre d’entre eux, sédentaires ou itinérants, ont des racines tsiganes : on les retrouve surtout dans les cambriolages et les vols. Les autres pratiquent l’exploitation sexuelle de façon plus ou moins organisée. D’autres Roumains sont parfois victimes de leurs compatriotes : les femmes dans la prostitution, les hommes dans le secteur de la construction, taillables et corvéables à merci. Les groupes criminels de cette origine commettent des escroqueries via les achats et ventes en ligne, après avoir été les champions du skimming (fraude aux cartes de paiement grâce à des appareils installés dans les distributeurs de billets). Depuis janvier 2011, un grand nombre de banques bloquent les cartes de crédit en dehors de l’Europe. Une parade efficace, semble-t-il.

LES BULGARES ET LEURS RÉSEAUX FERMÉS

On observe une montée en puissance des groupes criminels bulgares depuis la fin du visa obligatoire (2001). Ils se sont organisés depuis la Bulgarie, ce qui rend leur surveillance plus difficile. Les analystes de la police fédérale relèvent le caractère fermé de ces organisations tout en jugeant leur pouvoir de nuisance modéré. Les Bulgares sont particulièrement actifs dans l’exploitation sexuelle qu’ils pratiquent de manière douce : « dame de compagnie » plutôt que proxénète, prostituées consentantes, de nationalité bulgare… Les gains sont réinvestis en Bulgarie, dans l’immobilier (achat de terrains pour y construire de petits hôtels). Depuis que la Bulgarie est membre de l’Union européenne (2007), certains métiers en pénurie sont ouverts à ses ressortissants. Des réseaux criminels font travailler des compatriotes en Belgique et les réexpédient au pays tous les trois mois pour faire valider leur passeport. Leurs conditions de vie sont dégradantes. Des fraudes à la sécurité sociale sont probablement liées à cette exploitation économique. Les réseaux écoulent aussi en Belgique de la fausse monnaie fabriquée en Bulgarie.

ASIE DE L’EST : LES CHINOIS S’EXPLOITENT ENTRE EUX

Le 18 juin dernier, le patron du City Wok, un resto chinois de 400 places à Verviers, a été condamné à 18 moins de prison ferme pour traite des êtres humains et exploitation de main-d’£uvre clandestine. Une condamnation pour combien de clandestins ainsi abusés en Belgique ? Structurés en petites entités familiales, les groupes criminels chinois sont surtout actifs dans la traite des êtres humains, l’exploitation économique et la criminalité informatique. Ces activités génèrent de grosses sommes d’argent qui sont envoyées en Chine via Western Union. Les candidats à l’immigration illégale en Belgique proviennent le plus souvent des provinces côtières assez prospères du Fujian et du Zhejiang. Souvent fermées, les organisations chinoises se sont récemment ouvertes et sous-traitent de plus en plus avec d’autres organisations, des groupes albanais par exemple, pour le transport. L’exploitation des clandestins est principalement organisée dans des restaurants chinois ou japonais et s’exerce à l’égard de personnes asiatiques.

PAYS-BAS ET BELGIQUE : LES AUTEURS BELGES SOUS-REPRÉSENTÉS

Depuis le premier rapport sur la criminalité en Belgique, à la fin des années 1990, la part des criminels belges dans l’ensemble de la criminalité organisée a diminué. Elle est passée de 50 % à moins de la moitié de l’ensemble. Aujourd’hui, elle fluctue entre 40 et 45 %. Le nombre d’auteurs belges est proportionnel à leur part dans la population (90,2 %) dans deux seuls domaines : la possession, diffusion et production de matériels pédopornographiques et le hooliganisme. Ils sont aussi fréquemment cités dans les délits avec violence, trafic de produits hormonaux, incendie criminel, vandalisme et atteinte à l’environnement. Les bandes de motards ( lire encadré) ne sont composées que de Belges. Egalement contrôlée par des autochtones, la mafia des hormones, dynamique et professionnelle, selon les enquêteurs. En matière de stupéfiants, les Belges sont des organisateurs, à grande échelle, de plantations de cannabis et de labos de drogues synthétiques. Ils exercent des fonctions plus secondaires dans le trafic de cocaïne. Dans le cadre de la lutte contre la criminalité financière, les analystes policiers pointent le rôle crucial des professionnels (avocats spécialisés en droit fiscal, notaires, réviseurs d’entreprises, conseillers fiscaux) qui participent consciemment à des constructions frauduleuses.

LES NORD-AFRICAINS : AUTEURS ET VICTIMES

A propos des criminels d’origine marocaine, algérienne et tunisienne, l’Image policière nationale de sécurité (IPNS) est prudente. Elle n’évoque pas une criminalité organisée (comptabilisée sous l’étiquette de « belge ») mais bien de « tendances récentes » qui font des Nord-Africains, résidant légalement ou non en Belgique, des auteurs et parfois des victimes de certains phénomènes. Vols avec ou sans violence (comme le smurfing, où une bande de jeunes envahissent un magasin pour y commettre des vols), escroquerie par téléphone (vente de vins de mauvaise qualité). L’aide à l’immigration illégale et la fraude à la sécurité sociale au moyen de faux documents semblent de mieux en mieux organisée.

LES NÉERLANDAIS : LE MARCHÉ DE LA DROGUE

Les groupes criminels néerlandais sont prédominants dans la production de cannabis, l’importation/exportation de cannabis et de cocaïne, la production et l’exportation de drogues synthétiques. La cocaïne arrive via les ports d’Anvers et de Zeebrugge, ainsi que l’aéroport de Zaventem. Elle est directement transportée aux Pays-Bas en vue de son traitement et de sa distribution. Les organisations criminelles sont souvent limitées à 6 ou 8 personnes, avec la participation de Belges pour certaines tâches. Dans une moindre mesure, on retrouve aussi des criminels néerlandais dans le blanchiment (via l’achat de biens immobiliers), la fraude à l’impôt sur le revenu, la fraude à la TVA et la vente en Belgique d’articles contrefaits en Turquie. Les organisations néerlandaises pratiquent la fraude fiscale et sociale dans le secteur de la construction, en mettant des travailleurs étrangers exploités à la disposition de sous-traitants.

MARIE-CÉCILE ROYEN ET THIERRY DENOËL

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