Carte blanche

Pénibilité des enseignants : l’histoire du ministre qui ne lisait pas son projet de loi

Enseignant en mathématiques dans un Athénée de la région de Charleroi et délégué syndical CGSP, j’étais, comme beaucoup d’autres, en action ce jeudi 1er février pour informer les parents et citoyens des attaques que subissent nos pensions.

En rentrant et en consultant l’actualité du jour jeudi dernier, j’apprends que le ministre des pensions a dit dans la presse « Je n’ai jamais dit que le métier d’enseignant ne pouvait pas être reconnu pénible » . Pour un homme qui n’hésite pas à accuser les organisations syndicales de mentir ou de désinformer, la pilule qu’il tente de nous faire passer là est plutôt difficile à avaler. Parce qu’effectivement, il ne l’a jamais dit : pire, il l’a écrit dans son projet de loi sur les métiers pénibles. Quiconque ayant parcouru son avant-projet de loi sur la reconnaissance des métiers pénibles sait que c’est faux (et on le trouve facilement sur Internet).

En effet, dans celui-ci, quatre critères sont repris pour permettre la reconnaissance de pénibilité d’un métier. Il s’agit de la charge physique (porter du lourd, …), de la pénibilité d’organisation (travail de nuit, …), des risques de sécurité et de la charge mentale ou émotionnelle du métier (stress, …). A l’évidence, seul ce dernier critère pourrait donner lieu à la reconnaissance de la pénibilité du métier d’enseignant . On se dit alors que c’est gagné. Sauf que, si l’on continue la lecture, on découvre que « la pénibilité de nature mentale ou émotionnelle ne peut à elle seule permettre une reconnaissance de pénibilité ». Cela signifie donc bien que, pour que ce critère serve de reconnaissance à la pénibilité, il faut qu’il soit combiné à un autre. Dans l’état actuel des choses, c’est donc foutu pour la reconnaissance de pénibilité des enseignants. Ainsi, peut-être que monsieur Bacquelaine ne l’a jamais dit, mais, en tout cas, il l’a écrit dans son avant-projet de loi. Ecrire sans le dire, qui ment maintenant ?

Pourtant, il est globalement reconnu que le métier enseignant est en effet un métier qui comporte nombre de difficultés et qu’il est donc souvent considéré comme pénible. C’est notamment ce qui a été dit lors d’une récente journée de conférence organisée par les syndicats . Même un collègue de monsieur Bacquelaine reconnaissait récemment la pénibilité du métier d’enseignant .

C’est aussi ce que l’on ressent quand on discute avec quelques parents, souvent compatissants, qui nous disent : « franchement, des fois, je me demande comment vous faites pour tenir comme ça plus de 20 enfants toute la journée ». On se rend bien compte que demander à une personne de plus de 60 ans de gérer des centaines d’interactions par heure, de supporter le stress, le bruit, de donner toute l’attention nécessaire à chaque enfant, est une charge trop importante. Cela ne peut que nuire à la qualité de l’enseignement et donc aux élèves.

Le pire dans cette histoire, c’est que même si le métier d’enseignant venait à être reconnu pénible, cette reconnaissance entraînerait quand même un détricotage de leur pension. Dans le système de pensions récemment réformé par le ministre, un départ anticipé à la pension n’est possible qu’à 63 ans avec une carrière de 42 années de travail. Si la pénibilité n’est pas reconnue, cela coûtera 2 années de travail supplémentaires aux enseignants car ils perdraient leur coefficient d’augmentation , alors qu’ils viennent déjà d’en prendre pour 3 à 5 ans de plus avec la suppression de la bonification pour diplôme .

Quand bien même la pénibilité serait reconnue, il y aurait encore un impact sur le montant de la pension. Comme le stipule l’avant-projet de loi, la mise en place de la pénibilité met aussi fin aux tantièmes préférentiels . Dès lors, le montant de la pension des enseignants sera calculé en divisant leur nombre d’années de carrière par 60 au lieu de 55. L’impact ? Environ 120 € de moins de pension pour un bachelier, 145 € pour un master. Travailler plus pour gagner moins ? Merci monsieur Bacquelaine.

Je ne sais pas si cette courte réponse servira à montrer à notre ministre que nous ne sommes pas des inconscients ou des menteurs en nous mobilisant pour informer nos concitoyens. Je pense en tout cas que la meilleure réponse qu’on peut lui faire s’est déroulée ce jeudi : aller dans la rue et informer le plus de gens possible sur ce qu’il nous prépare. J’espère que nous ne sommes qu’au début de cette démarche.

Renaud CALVO GIL

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