Bérénice Bloc

Parler de la mort : un message aux vivants

Bérénice Bloc Ethicienne agrégée en philosophie

Lorsque nous évoquons, dans l’intimité du cercle familial ou amical, les dispositions à prendre lors de notre décès, il est souvent question des modalités funéraires et de succession. Cependant, qu’en sont-ils des moments précédant la mort qui s’annonce, et de nos représentations de la mort en elle-même ?

Se renseigner sur les différentes formules d’assurances, le testament, les obsèques, font partie des réflexes d’un individu pour « régler ses affaires » avant de partir. Ce type de considérations est souvent d’ordre pratique, afin d’éviter aux personnes proches de souffrir du poids des démarches à effectuer, et des décisions à prendre, au moment du décès. Aussi, commander les modalités des rites funéraires semble être une volonté de contrôle qui vise à soulager la famille, au risque peut-être de subtiliser à ses membres des stades du processus de deuil.

Une étape cruciale semble échapper aux discours de nos contemporains : nos volontés de fin de vie. Le « comment mourir », qui lie la lucidité devant la mort à une réflexion personnelle sur la notion de dignité, est une dimension souvent négligée. Dans des situations de fin de vie compliquées, la prise de décision repose sur le corps médical et sur la famille, si le patient n’est plus en mesure de s’exprimer pour lui-même. Notons qu’il n’est pas rare d’expérimenter des divergences d’opinions sur ce qu’il conviendrait de faire : il s’agit de divergences entre la famille et les soignants, ou encore entre les soignants eux-mêmes. Bien que la volonté de respecter la personne anime chaque partie en présence, il n’est pas rare de se trouver face à des dilemmes techniques et philosophiques qui renforcent la détresse engendrée par la mort qui s’annonce.

Parler de la mort de façon décomplexée ne va pas de soi dans nos sociétés modernes. Le sujet jette un froid, il produit un malaise. Constatons que le rapport symbolique à la mort se lit à travers les pratiques qui l’entourent. Bien que le taux de mortalité global n’ait pas fondamentalement baissé, la mort semble en recul dans l’horizon des coutumes de vie. Il est devenu moins courant de veiller le défunt, ou encore de l’exposer afin que ceux qui le souhaitent puissent présenter leurs derniers hommages. Le corps n’est plus pertinent dans le lieu de vie, on lui destinera dès lors une place à l’écart (funérarium, morgue, crématorium). Le laps de temps entre le décès et les funérailles, qui auparavant se discutaient en lien avec le conseiller spirituel, dépendent à présent souvent des disponibilités dans les agendas. Se peut-il que le temps de « penser la mort » soit compté ? La posture de retrait de la personne qui « porte le deuil » n’est pas toujours reconnue. Le temps du deuil a parfois des difficultés à se faire respecter et, par conséquent, cette période se retrouve peu valorisée dans sa portée existentielle. Rappelons que les rites funéraires ont toujours évolué en fonction des pratiques religieuses et philosophiques de l’époque. Se peut-il que ces changements contemporains dans les rites liés à la mort et au deuil annoncent un désintérêt ou une fuite devant la mortalité ?

De plus, la tendance de ces dix dernières années montre que la population belge globale meurt de plus en plus âgée, ou des suites de cancers et de maladies cardiovasculaires et respiratoires. Dans ce contexte, l’évolution démographique et technique éloigne l’instant de la mort du domicile afin de voir les personnes, devenues patients, rendre leur dernier souffle dans une institution médicalisée. Le phénomène naturel qu’est la mort s’observe et se vit. Cependant, le mourir revêt une dimension éthique dès lors que l’homme agit à son encontre. En corolaire de ce fait social, naît une théorisation des représentations de la mort qui occulte l’appréhension intime de ce phénomène mystérieux. La mort est ainsi coupée de la vie et reléguée à un lieu d’où on ne veut la voir, alors qu’inéluctablement son ombre plane toujours…

Que peut-on gagner à parler de la mort? Une vision dynamique de la vie ! Le processus vital n’aurait pas la même saveur s’il ne devait pas s’arrêter un jour. L’idée que nous allons disparaître ne nous pousserait-elle pas à sortir de la passivité pour construire une vie qui vaut la peine d’être vécue ? Etre responsable de nous-mêmes et de nos projets de vie donnerait-il du sens au chemin que l’on parcourt ? Bien entendu, nous ne savons pas quand et comment nous allons mourir, mais nous pouvons appréhender l’idée de notre mort afin d’apprécier la vie en toute sincérité. Nier que nous sommes mortels, c’est peut-être aussi nier que nous avons la possibilité de construire, dans un temps imparti et indéterminé, une vie qui vaut la peine d’être vécue. Autrement dit, pour vivre authentiquement, l’homme doit apprivoiser l’idée de sa propre finitude. Ainsi, se rappeler que la mort fait partie de la vie pourrait permettre de l’accueillir et de la côtoyer plus sereinement. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas d’âge prescrit pour aborder le sujet. A force de feindre l’inexistence de la mort, cela pourrait l’enfermer dans un tabou. Enoncer un phénomène, c’est déjà implicitement lui conférer une forme de réalité.

L’implication pratique la plus évidente de cette démarche réside dans l’énonciation anticipée de nos volontés de fin de vie. Il s’agit là de rester acteur jusqu’au bout car à l’instant qui précède notre mort, nous sommes encore en vie ! Personne n’est à l’abri d’expérimenter une fin de vie délicate et souffrante. Bien que le « mourir idéal » n’existe pas, tout un chacun peut se projeter afin de savoir ce qui serait acceptable et ce qui ne le serait pas pour lui-même. Souhaiterais-je bénéficier de mesures exceptionnelles en cas d’accident ?, Jusqu’où suis-je prêt(e) à aller dans les traitements contre une maladie grave?, A qui souhaiterais-je donner ma voix si je ne peux plus m’exprimer ?, Veux-je privilégier le caractère sacré de la vie sur la qualité de vie ? Voudrais-je bénéficier d’un accompagnement spirituel ?, Comment sauvegarder l’expression de ma dignité ?,… Toutes ces interrogations peuvent trouver un écho en nous, en dépit de l’angoisse qu’elles suscitent. Des outils existent pour transmettre ces réflexions personnelles, par exemple, les déclarations anticipées, le Plan de Soins Personnalisé et Anticipé (PSPA). Bien entendu, nous sommes des êtres en constante évolution : il est naturel et nécessaire d’amender nos directives en fonction de la personne que nous devenons. Notre histoire, ainsi que nos représentations se développent au jour le jour. Il est donc indispensable que nos volontés restent libres de modifications. Ce que nous sommes ne cessera de changer qu’au moment où la mort aura baissé le rideau sur la scène de notre existence.

Bloc Bérénice

Ethicienne agrégée en philosophie

Membre de la Commission Ethique de Pallium – Plate-forme de concertation en soins palliatifs du Brabant Walllon

Sources

Direction générale des Statistiques – Statistics Belgium (www.statbel.fgov.be)

Fédération Wallonne des Soins Palliatifs (www.palliatifs.be)

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