© Philippe Desmazes

« On ne s’engage plus par fidélité à une institution »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Cent ans après la Première Guerre mondiale, quelles sont les causes qui nous poussent encore à l’engagement ? Et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour les défendre ? C’est l’objet de la grande enquête Radio France – RTBF – Le Vif/L’Express, en cours. L’avis de Marc Jacquemain, sociologue à l’ULg.

Le Vif/L’Express : Quelles sont les valeurs collectives autour desquelles une majorité de citoyens pourrait se retrouver, selon vous, en dépit de la progression évidente de l’individualisme ?

Marc Jacquemain : Les gens se mobilisent aujourd’hui pour des valeurs très différentes. Voyez ce qui s’est passé en France autour du projet de mariage pour tous… Les valeurs d’aujourd’hui divisent davantage qu’elles ne rassemblent. La France est un bon exemple pour montrer combien il est difficile de rassembler tous les individus autour d’une valeur commune. On n’assiste à un tel phénomène que dans des moments très particuliers, comme lors de la marche blanche, en 1996, liée à l’affaire Dutroux. Ce sont des moments très émotionnels, de grande communion.

Le patriotisme tel qu’on le pratiquait en 1914 est-il une valeur totalement dépassée ?

Ce patriotisme-là a pris un coup mortel avec la boucherie de 14-18. De jeunes soldats sont partis la fleur au fusil et sont revenus morts ou mutilés. En Europe, les gens s’engagent aujourd’hui sur des valeurs de spécificités nationales, avec, souvent, un rejet de ce qui n’est pas national. C’est une sorte de patriotisme ethnique, qui traduit un profond malaise par rapport à la mondialisation et à la perte de contrôle que beaucoup ressentent.

Comment l’engagement se manifeste-t-il aujourd’hui ?

Les gens s’engagent autrement, souvent sur des questions concrètes, locales et sur lesquelles ils espèrent pouvoir peser. Et quand ils s’engagent, c’est souvent très fort. En revanche, la proportion de ceux qui se mobilisent pour des grandes causes a fortement diminué ces trente dernières années. Cela s’explique entre autres par la poussée de l’individualisme. Et puis ces grandes causes, encore faut-il les trouver ! Dans les années 1960, l’idéalisme ambiant voulait que l’on réclame tout, tout de suite. En 2014, on sait que cela n’est pas possible. Je pense que la prochaine génération s’engagera toujours, mais de façon beaucoup plus pragmatique.

L’évolution observée sur le front de l’engagement est-elle liée au recul des grandes organisations, syndicales ou politiques ?

Entre 1945 et 1980, environ, on pouvait observer une grande homogénéité des mouvements sociaux. Le parti communiste français, par exemple, ne symbolisait pas qu’une forme d’engagement. C’était aussi une culture et une convivialité particulière. Tout cela a disparu. L’engagement d’aujourd’hui est devenu moins massif. Les gens ne se mobilisent plus par fidélité à une institution. Ils s’engagent à certains moments et pas à d’autres. Ne fût-ce qu’en ajoutant leur nom au bas d’une pétition. C’est un engagement qui s’effectue plus à la carte, mais qui n’en est pas moins efficace.

Avec la crise économique, on a vu fleurir le mouvement des indignés. Etait-ce pour vous davantage une forme de protestation que d’engagement ?

L’indignation est la première étape de l’engagement mais il ne faut pas y rester cantonné. A un moment, il faut se demander à quoi ça sert et ce qu’on peut négocier. Un mouvement qui n’est alimenté que par lui-même donne la pire des choses, jusqu’à l’amertume. L’engagement repose sur deux ressorts : l’indignation et la défense de l’intérêt, menacé, de certains groupes sociaux. Pour être efficace, ces deux volets doivent se rejoindre.

Que dit la propension d’une société à s’engager, plus ou moins, sur divers combats, de cette société elle-même ?

Participez à l’enquête
L’enquête se termine le vendredi 4 avril à minuit. Les résultats seront communiqués et décortiqués sur La Première et dans Le Vif/L’Express, courant juin.

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