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« Nous sommes dans un shopping électoral permanent »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Nos responsables politiques sont devenus des marques, souligne dans sa thèse de doctorat Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’UCL et à l’Ihecs. Ils fluctuent au gré des attentes de la population et tiennent un discours de plus en plus creux. Interview.

Le Vif/L’Express : Nous sommes à l’ère du consumérisme politique, dites-vous dans votre thèse…

Nicolas Baygert : Oui. Nous sommes passés d’un marketing de l’offre – ça fait des décennies que les partis se vendent – à un marketing de la demande. Les partis doivent s’adapter à une demande ponctuelle, conjoncturelle, qui émane d’un électorat composé davantage de consommateurs de la politique que de citoyens. La pilarisation de la société est morte, nous sommes dans un shopping électoral permanent : chacun passe d’une offre politique à une autre parce qu’elle correspond à une attente, une peur, un air du temps ou un côté hype. Il y a un essoufflement de plus en plus rapide de l’offre politique, les partis doivent rester continuellement adaptés à la demande des citoyens. Il y a du « rebranding », un besoin constant de transformer le produit. Et comme dans le monde commercial, on parle de « benchmarking » : on est à la recherche de ce qui fonctionne sur le marché, on ne va plus rester fidèle à 100 % à une idéologie séculaire, on va plutôt butiner, prendre ce qui marche à gauche ou à droite. Dès lors, ce que l’on met dans le projet de marque dépend des enquêtes d’opinion, des thématiques prisées par les électeurs… La coalition suédoise propose par exemple que les chômeurs accomplissent des travaux d’intérêt généraux, c’était une mesure du PP pendant la campagne. On teste en permanence ce qui marche, quitte à copier l’autre, comme le font Samsung et Apple dans leur confrontation commerciale.

C’est positif, en un sens : on tient compte des aspirations des gens. Mais d’un autre côté, ça peut être dangereux et friser le populisme…

C’est un populisme des marques ou un populisme de marché. On se base sur une logique ultralibérale, capitaliste, où l’on fait confiance au marché, à la classe moyenne. C’est l’exemple type du Tea Party aux Etats-Unis mais aussi du Parti pirate, fondé initialement sur la frustration de consommateurs échaudés par la fermeture de la plateforme de téléchargement gratuit Pirate Bay. On a basculé vers un consumérisme global. Ce qui préoccupe le plus les gens, et ce dont les politiques se font le reflet, c’est l’emploi, le pouvoir d’achat, la croissance, tout ce qui permet de consommer. En fait, en rédigeant ma thèse, je me suis aperçu que les leaders actuels des partis politiques sont devenus les incarnations d’une aspiration collective plutôt que des responsables fixant un cap. On est dans la logique du populisme au sens premier du terme : on veut représenter ce que veut le peuple, point. Un Bart De Wever ne dit pas clairement les choses tout en prônant le changement parce que ce n’est pas son rôle s’il veut toucher un large public. Il laisse le soin de dicter la route à des mouvements associatifs, au Voka, etc. Certains, comme Daniel Cohn-Bendit, affirment que l’on va assister à la mort des partis politiques qui vont céder leur place à des individus-marques, très identifiables. Le danger, comme pour les marques commerciales, c’est que l’on assiste à un phénomène d’obsolescence programmée : ces leaders auront une durée de vie assez courte.

L’intégralité de l’interview dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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