© Belga

Non, les Wallons ne sont pas plus tolérants que les Flamands

Aujourd’hui sort un livre rédigé par 20 politologues sur la légitimité de la science politique. L’ouvrage revient également sur le système politique belge et révèle quelques vérités qui pourraient surprendre. Interview avec Benoît Rihoux, l’un des auteurs et politologue à l’UCL.

Voici trois postulats surprenants qui sont contraires aux clichés d’usage selon l’ouvrage « La légitimité de la science politique. Construire une discipline, au-delà des clivages » et développés ci-dessous par Benoit Rihoux.

Le sentiment d’identification nationale augmente de plus en plus depuis 1990

On pense souvent que la hiérarchie des identités est exclusive. Mais en réalité ce n’est pas le cas. On peut se sentir à la fois Hennuyer, Wallon et Belge par exemple. Ce n’est pas parce qu’on a un fort sentiment d’appartenance à une région que l’on ne sent pas Belge. Plus ou moins 50% des citoyens flamands se sentent avant tout, ou très fortement Belges. En 1990, ils n’étaient que 45 %. A contrario, le nombre de citoyens qui sentent avant tout Flamand a lui tendance à baisser. Ils étaient 30% en 1990 et ne sont plus que 22% aujourd’hui. Dans les années 1970 et 1980, ils fleuretaient avec les 50%. On constate donc que même chez les Flamands le sentiment de belgitude est en hausse. Ce n’est cependant pas le cas parmi l’élite politique flamande qui s’est construite politiquement au niveau régional.

Du côté des Wallons, on observe la même tendance, même si le sentiment d’appartenir avant tout à une région n’a jamais été très marqué. Ils sont 75% à se sentir avant tout Belge. Dans les années 1970-1980, ils étaient encore 20% à se sentir avant tout Wallon, alors que maintenant ils ne sont plus que 8%. Quant à ceux qui se disent avant tout francophone, ils ne sont plus que 4% alors qu’ils atteignaient les 15-20% dans les années 1970. On peut donc en conclure que les Wallons sont de plus en plus belgicains et de moins en moins wallons. On peut expliquer ce phénomène par une certaine nostalgie de la Belgique d’antan où les francophones étaient encore dominants. Le Wallon ne se sent pas encore fédéraliste et ne se rallie pas forcément à la région. Il n’est pas contre non plus, c’est plutôt de l’indifférence.

Les Wallons ne sont pas plus tolérants envers les étrangers que les Flamands

On observe depuis longtemps les variables autour du sentiment de menace que peut éprouver la population face aux étrangers. Et ce que l’on constate c’est qu’il n’existe pas de différence significative entre les deux régions. Ce qui les différencie, c’est la nature ou la manière dont est perçue cette menace. Du côté flamand on s’inquiète de l’altération de l’identité culturelle alors que du côté wallon on s’inquiète davantage du « danger » socioéconomique que cela pourrait représenter. Si l’on peut parfois avoir cette perception que l’on est davantage islamophobe du côté flamand, c’est surtout dû au fait que, du côté flamand, il y a plus grande offre politique. Notamment avec des partis comme le Vlaams Belang qui a su utiliser cette crainte ethnique comme message électoral. La demande de la population face à ce genre de thématique est pourtant la même des deux côtés de la barrière linguistique.

La proportion de personnes qui craignent les étrangers est pratiquement la même chez les Wallons que chez les Flamands. On estime que l’audience électorale pour ce genre de thématique est en Wallonie autour de 20 à 30%. Si des partis du genre Vlaams Belang n’ont pas vu le jour en Wallonie, c’est parce qu’il n’y avait aucun entrepreneur politique de qualité qui a réussi à construire un parti qui tienne la route, mais aussi que certaines mouvances ont été absorbées dans des partis plus classiques. A la différence de la Flandre qui pouvait s’appuyer sur un mouvement flamand ultranationaliste, en Wallonie, ce genre de parti devait se construire à partir de rien. Il est à noter que si cette thématique interpelle de 20 à 30% des Wallons, ce n’est pas pour autant qu’ils voteraient pour un parti qui aurait ce genre de programme. Ce n’est en effet pas le seul élément qui rentre en compte au moment du vote.

Contrairement aux idées reçues, les Wallons et les Flamands sont très proches sur des questions comme la redistribution économique et le soutien de l’État providence

C’est un paradoxe. Il n’existe pas de différences d’opinions importantes sur les fondamentaux de l’état providence. La plupart des Belges sont plutôt centristes. Ils sont pour qu’il n’y ait pas trop d’écart salarial et une intervention de l’Etat pour garantir des revenus minimaux. En Wallonie, ils sont 75% à dire que l’Etat doit intervenir pour éviter qu’il y ait de trop grosses différences entre la population. En Flandre, ils sont 66%. Autre exemple : ils ne sont que 28% des Wallons et 21% des Flamands à trouver inacceptable qu’il existe des différences entre les gros salaires et les autres. Pour ces deux chiffres, et bien qu’il existe des différences, on se retrouve tout de même dans un même ordre d’échelle. Ce qui ne veut encore rien dire sur les transferts nord/sud. Mais ce sujet est avant tout une question communautaire.

La légitimité de la science politique. Construire une discipline, au-delà des clivages

Benoît Rihoux, Virginie Van Ingelgom, Samuel Defacqz (dir.) Presses universitaires de Louvain, Louvain-la-Neuve (2015

Contenu partenaire