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Monarchie: la complicité médiatique

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

La mort du roi Baudouin -il y a aujourd’hui tout juste 20 ans- a marqué un tournant dans les relations de la monarchie avec les médias. Depuis lors, la fonction symbolique du roi a pris de plus en plus le pas sur la fonction politique. Il doit se montrer, pour que la population se reconnaisse en lui. C’est ainsi que la monarchie a pu imposer une complicité à des médias en recherche d’audience.

Le 31 juillet 1993, le roi Baudouin succombe à un arrêt cardiaque dans sa résidence de Motril, en Andalousie. L’annonce de sa mort survient au beau milieu des vacances, et va bouleverser la population belge. Elle va également susciter une étonnante réaction des médias qui surferont sur cette vague d’émotion et l’amplifieront au point que, comme le notait dès 1994 Philippe Marion, professeur de communication à l’UCL, « par un jeu de miroir médiatique, l’événement principal a progressivement consisté moins en la mort de Baudouin qu’en cette émotion elle-même, dans sa révélation spectaculaire, ou peut-être dans la mise en spectacle de sa révélation. »

Le rôle de la télé

Il faut bien sûr se souvenir que le décès et les funérailles du roi ont constitué le premier grand événement royal depuis l’entrée de la télévision dans la majorité des foyers belges. Sa prestation de serment en 1951 ou son mariage en 1960 ne pouvaient bénéficier d’une aussi large couverture. Et pas d’enfants, ni donc de baptêmes, de fiançailles ou de mariages ensuite pour donner à Baudouin, au cours de ses 42 années de règne, l’occasion de sortir de sa réserve.

Cette date marque la fin d’une époque. Politiquement, la Belgique est devenue un Etat fédéral, des pans entiers de pouvoir ont glissé vers les régions et communautés, en même temps que l’évolution européenne grignotait elle-aussi, petit à petit, les compétences de l’Etat central… et les domaines d’intervention du roi. Dès son accession au trône, Albert II sait, et au besoin on le lui rappelle, qu’il est hors de question pour lui de vouloir imprimer sa marque dans le travail législatif comme l’avait fait son rigide frère. Ce n’est pas le roi qui gouverne.

Cette date marque également un changement fondamental dans les relations entre la monarchie belge et les médias, le début d’une complicité dont les règles ne sont pas écrites, mais qui doit bénéficier et à la famille royale et aux médias belges, jusque-là fort réservés dans la couverture de l’actualité des têtes couronnées. Plus la fonction royale se réduit au symbole, explique Paul Wynants, professeur d’histoire politique aux Facs de Namur (« Trois paradoxes de la monarchie en Belgique », in La Revue nouvelle mars 2002), plus le roi doit apparaître, donner de lui le portrait d’un homme comme les autres, et de sa famille l’image d’une famille unie. Pour conforter ce lien affectif que le décès de Baudouin a mis en évidence, la monarchie royale doit aller au-devant des gens. Le Palais en fera une règle d’or.

La Mathildemania

Un peu plus d’un an après sa prestation de serment, Albert II peut compter sur le soutien inconditionnel de l’émission télé « Place royale », créée en septembre 1994 par RTL-TVI. En 2005, tout aussi peu critique, la RTBF s’y met avec « C’est du belge! » pour diffuser les discours, les voyages, les visites, les réceptions, les inaugurations ou les bains de foule dans lesquels le roi impliquera de plus en plus toute sa royale famille. Les rencontres avec l’homme de la rue, dans la joie et surtout dans la peine, comme lors des catastrophes, émeuvent et suscitent la sympathie.
Et les événements familiaux, les mariages, les naissances… L’annonce des fiançailles du prince Philippe, à près de 40 ans, avec la très souriante Mathide d’Udekem d’Acoz, qui en compte 14 de moins, provoque une vague médiatique sans précédent, toujours connue aujourd’hui sous l’appellation de Mathildemania. Cette grande fille d’apparence toute simple est, pour le Palais, un maître-atout. Pour les médias, un cadeau. Bientôt, on ne voit plus qu’elle, avec Philippe en retrait. Un grand sourire à Laeken.

Avec un peu de glamour

La monarchie devrait donc se mettre en scène pour continuer à exister? « Les monarchies scandinaves ou hollandaises, voire luxembourgeoises, ont bien compris que leur pouvoir était désormais dans le symbolique et l’image, répond Marc Lits, spécialiste de la com à l’UCL. La succession hollandaise a pleinement joué là-dessus, avec soirée TV au coin du feu pour préparer la population à connaître et accueillir le nouveau couple, suivie d’une grande fête populaire, hors de tout cadre politique. Et cela a marché. Philippe et Mathilde, et leurs enfants, commencent à entrer dans ce modèle, et c’est leur meilleure chance d’assurer la sympathie autour d’un couple à l’écoute des citoyens, ouvert, épanoui, simple. Une monarchie médiatisée, avec un peu de glamour, est sans doute une opportunité pour la maintenir, au moment où nombre de politiques et de citoyens mettent en cause le modèle ancien. »

Une mise en scène qui doit néanmoins rester sobre. La surmédiatisation de la famille royale observée au tournant du siècle a en effet provoqué un effet boomerang, observe Paul Wynants. A côté « des royalistes sentimentalement attachés à une personne, à sa famille et ce qu’elles semblent -de loin- représenter », d’autres Belges se disent excédés par ce déferlement pro-monarchiste de « mièvrerie consternante ». Le Cercle républicain voit le jour, le principe même des dotations à tous les membres de la famille est mis en cause, les frasques du prince Laurent font la une, l’existence de Delphine Boël, la fille cachée, non reconnue, est révélée au grand public, des supputations sur la fortune royale sont publiées, l’ancien prof de Laurent se répand sur ses résultats scolaires médiocres, les éditos de la presse flamande réclament que la monarchie soit réduite à un rôle strictement protocolaire, les capacités du prince Philippe à monter sur le trône sont mises en doute, les fondations de la reine Fabiola sont dénoncées… « Il n’y a plus de tabous, estime Marc Lits, et la fonction n’est plus protégée du seul fait d’être la monarchie. Elle doit rendre des comptes et le public trouve cela normal. »

Philippe le coriace

Au cours de ses dernières années de règne, Albert II a prôné que la monarchie devait, en tout, montrer l’exemple. Il a ainsi pu calmer, lors de ses discours télévisés, plus d’un incendie (sauf, mais il est de taille, la reconnaissance de Delphine). Mais Philippe, l’héritier, commet maladresse sur maladresse dans ses relations avec la presse, principalement lors des voyages à l’étranger qu’il effectue avec l’Agence fédérale pour le Commerce extérieur. Ainsi en Chine, en 2004, il déclare au magazine flamand Story: « Certaines personnes, et certains partis comme le Vlaams Belang, sont contre la Belgique et veulent déchirer notre pays. Je peux vous assurer qu’ils auront affaire à moi. Et n’oubliez pas: je peux être coriace si je veux. » Il se fait rappeler à l’ordre par le premier ministre Guy Verhofstadt pour cette matamoresque déclaration. Le prince sera encore l’objet d’attaques médiatiques en 2006 alors qu’il se trouve en Afrique du sud, puis en 2010 en Inde… C’est clair, on le cherche. Et il se laisse trouver.

Les rapports de Philippe avec les médias ont toutefois connu une décrispation certaine les derniers temps, peut-être parce qu’il savait que son heure approchait, mais aussi, selon des journalistes, grâce à des changements dans son entourage. « On voit qu’un nouveau type de communication se met en place, loin de ce qui était géré jusqu’ici par des diplomates et des militaires, confirme Marc Lits. On oublie un protocole dépassé, on choisit des événements à forte visibilité, porteurs d’une image positive: la jeunesse, la santé et l’effort pour les 20 km de Bruxelles. Mais la construction d’une image ne peut tout. Ses trois phrases à Anvers pour honorer son père et assurer la succession restaient empreintes de tension et montraient peu d’empathie. Si le soulagement est là, la spontanéité doit encore être travaillée (ce qui n’est pas incompatible). »

Disney, les princes et les princesses

En juin dernier, pour sa dernière mission économique, en Californie, Philippe a surpris plus d’un participant par sa décontraction et son humour. Au pays de Mickey, il a ainsi remercié Disney de rendre les princes et les princesses si populaires! Et le dernier jour de la mission, le 7 juin, il a regardé le match Belgique-Serbie à la télé, dans un bar californien, avec les membres de la délégation. Posant avec un grand verre de bière à la main, applaudissant les exploits des Diables rouges (2-1).

De ce côté-ci de l’Atlantique, une forte délégation composée du roi Albert II, de la reine Paola (une première!), de la princesse Mathilde, de la princesse Elisabeth, future princesse héritière, et du prince Gabriel avait pris place dans le stade Roi Baudouin. Monarchie et foot se sont ainsi mutuellement servis de faire-valoir dans cette communion populaire exaltée par les médias.

« Associer le prince, dans la continuité de l’image joviale et joyeuse donnée par son père, à un des derniers liens qui rassemble encore les Belges, les Diables rouges, qui sont en outre dans une dynamique positive de victoire, va presque de soi en matière de communication, conclut le prof de l’UCL. Le sport est à la fois fédérateur, convivial et peu polémique en matière de politique ou autre. C’est donc le lieu idéal pour montrer cette image positive sans prendre aucun risque. Et au même moment, l’image de famille unie, présente au stade, était renforcée. Une communication parfaitement maîtrisée et réussie. »

Devenu roi, Philippe doit donc se faire à l’idée: sa nouvelle vie ne sera qu’une longue suite d’apparitions dans les médias – qu’il devra courtiser, comble pour un monarque!

MICHEL DELWICHE

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