Carte blanche

Mesdames et Messieurs les politiques, vous ne mesurez pas notre ras-le-bol

Nous assistons quotidiennement au grand déballage des pratiques écoeurantes de nos élus. Et nous assistons, incrédules, au sauvetage désespéré de ce qui peut encore être préservé, par ceux qui se croient encore crédibles.

Dans le genre, citons par exemple un élu qui s’exprime dans une page d’opinion publiée dans Le Vif du 14 février dernier où il tente, vainement, de nous faire croire qu’il est encore possible de « mettre fin aux pratiques politiques qui minent la confiance du citoyen« . Mais nous insistons pour dire que, si son opinion nous semble exemplative, il n’est pas le seul à développer ces arguments, tous partis confondus.

Mesdames et Messieurs les politiques, vous êtes for-mi-dables !

En effet, vous vous indignez avec nous contre les propos indécents de certains élus et contre les agissements inacceptables de certains autres, voire des mêmes. Vous affirmez que vous travaillez beaucoup, que vous avez beaucoup de responsabilités, que votre motivation première est le service à la population, qu’il est donc normal que vous gagniez beaucoup d’argent. Bref, vous êtes formidables et vous êtes indûment pourchassés. Voyons ça d’un peu plus près.

Quelques politiques seulement ?

Le scandale ne touche que « quelques politiques » qui entretiennent un « rapport délétère » à l’argent… Quelques politiques ? Seulement ? Les démissions pleuvent depuis plusieurs semaines et pas seulement à Liège et la plupart des partis sont touchés… Et vous voudriez nous faire croire que c’est le fait de quelques-uns seulement ?

Beaucoup de travail ?

La semaine parlementaire se déroule principalement sur 3 jours. Du mardi au jeudi, les lundis et vendredis étant réservés aux bureaux de parti et aux éventuelles commissions d’enquête… L’année parlementaire, quant à elle, se déroule du deuxième mardi d’octobre au 21 juillet de l’année suivante, soit deux mois et demi d’interruption. Bien entendu, l’une ou l’autre séance peut toujours être organisée pendant cette période officielle d’interruption. Ouf, l’honneur est sauf. On comprend mieux pourquoi il vous reste du temps pour cumuler toutes sortes de mandats.

Beaucoup de responsabilités ?

Quelles responsabilités ? Celle de voter des lois ? Bien souvent, la discipline de parti vous impose votre choix, les décisions se prennent la plupart du temps majorité contre opposition. Où est la prise de responsabilités ? Ne cherchez pas, nombre de lois mal torchées s’avèrent désastreuses pour la population, sans que ceux qui ont voté ces lois en soient le moins du monde inquiétés : le photovoltaïque, la loi sur les transactions pénales, les rapports de la cour des comptes sans suite, la gestion des centres-ville…

Celle de contrôler l’exécutif ? Nul besoin de rappeler les différentes affaires qui secouent le monde politique pour s’apercevoir que vous ne contrôlez pas grand-chose, que vous auriez même tendance à vous préserver entre vous. Sait-on jamais, vous connaissez le « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… ».

En réalité, la principale responsabilité que vous assumez est de vous faire élire aux élections suivantes et, pour ça, de vous faire placer en ordre utile sur la liste électorale de votre parti.

Le service à la population ?

Si vous offriez un véritable service à la population, on pourrait comprendre les salaires que vous vous octroyez. Mais les exemples pleuvent pour montrer que ce service n’est pas correctement rendu. La justice n’est toujours pas informatisée, le RER accuse au moins 15 ans de retard, un train sur quatre est en retard, quand il n’y a pas annulation pure et simple, l’enseignement est déliquescent, le manque de place dans les crèches est criant [1], la politique énergétique manque de cohérence [2], les centres-ville se désertent, les tunnels bruxellois sont dans un état délabré, l’état belge est condamné par l’Europe pour la pollution de ses grandes villes… Vous en voulez encore ? Quand êtes-vous sanctionnés, Mesdames et Messieurs les politiques, si le boulot n’est pas fait ?

Un gros salaire pour attirer les plus compétents ?

L’argument choc est évidemment que si on veut les plus compétents, il faut offrir un salaire attractif. Ah, bon ? En politique, on recrute les plus compétents ? Et quand on inscrit le fils de… en place éligible sur une liste électorale, on le met là parce qu’il est parmi « les plus compétents » ? Quand les partis vont chercher des journalistes TV, des joueurs de foot… pour les mettre sur les listes, c’est aussi pour avoir le souci de choisir « les plus compétents » ? Un gros salaire est-il, en soi, une garantie d’attirer « les plus compétents » ? La question est posée et la réponse ne va pas de soi.

Ce qui apparaît clairement par contre, c’est que gagner un gros salaire, que moins de 10 % des gens touchent, éloigne la classe politique de la réalité de ceux qu’elle administre et induit un sentiment d’appartenance à une classe supérieure. Ceux qui gagnent moins sont-ils pour autant moins bons ?

Les salaires de nos députés, une bagatelle?

« Les sommes citées ne sont que des bagatelles par rapport à nos dépenses publiques« . Une bagatelle ? Avec les 463 parlementaires et 55 ministres et secrétaires d’État [3] belges, rien qu’avec le salaire officiel, ça doit au moins chiffrer dans les centaines de millions d’euros. Sans compter les indemnités de départ et les pensions. Et vous voudriez nous faire croire qu’il s’agit d’une bagatelle ?

Une reconversion difficile ?

Vous prétendez également que, quand on s’investit en politique, c’est difficile de revenir à la vie civile. Rien n’est plus faux. S’être engagé en politique offre une plus-value incroyable sur le CV et un carnet d’adresses bien rempli. Voyez Sabine Laruelle et Melchior Watelet par exemple devenus dirigeants d’entreprises privées.

En conclusion, la confiance est rompue depuis un certain temps et probablement pour longtemps encore. Ce ne sont pas vos mesures tardives et sans doute cosmétiques qui y changeront quelque chose. Il faudra bien plus qu’un coup de balai magique pour effacer toutes vos turpitudes. En tant que citoyens, notre devoir est, d’une manière ou d’une autre, d’organiser la politique autrement. L’indignation ne suffit pas, les mouvements citoyens sont indispensables, mais le changement en profondeur passera d’office par un engagement politique pour changer les lois. Alors, informons-nous et osons… osons, par exemple, interpeller nos dirigeants, assister aux séances publiques, réclamer des comptes sur telle ou telle décision, présenter des listes citoyennes aux élections communales prochaines [4]… Faisons preuve d’audace et d’imagination. La suite nous appartient.

Barbara Dufour, enseignante

Walter Feltrin, patron de PME

[1] Seuls 22% des besoins sont couverts alors qu’une couverture de 51% est souhaitable, Ligue des Familles, 2014.

[2] Agoria 2014.

[3] www.belgium.be

[4] RTL, 17 février 2017.

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