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Menace sur les hôpitaux

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le nouveau bras de fer entre la majorité fédérale et les entités francophones est annoncé : la rationalisation du paysage hospitalier. Précipitée pour faire des économies, elle se prépare dans un nouveau contexte institutionnel ultracompliqué.

La réorganisation du financement des hôpitaux : voilà, potentiellement, le nouveau terrain de confrontation entre l’Etat fédéral et les entités fédérées francophones. Alors que l’onde de choc du bras de fer autour du Ceta s’éteint peu à peu, rue de la Loi, ces nouvelles tensions nées dans la foulée du budget 2017 pourraient s’intensifier, car elles touchent à un enjeu majeur : la qualité des soins de santé. Au sein des majorités PS-CDH (et DéFi) de Wallonie et de Bruxelles, on compare de plus en plus la très populaire ministre fédérale de la Santé, Maggie De Block (Open VLD), à une néolibérale façon « Maggie » Thatcher. Contrairement à ses promesses, la confection du budget 2017 prévoit des économies substantielles dans le secteur des soins de santé, à hauteur de 900 millions d’euros au total. Dans la foulée, la ministre fédérale a déposé au gouvernement son projet de réforme structurel pour rationaliser le secteur. La conjonction de ces deux perspectives menace notamment des hôpitaux déjà mal en point. Même s’il était urgent de prendre des mesures.

L’inquiétude des francophones

Du côté francophone, on tire la sonnette d’alarme. Elio Di Rupo, président du PS, a immédiatement dénoncé, sous forme de slogan, la fermeture de 4 000 lits d’hôpital à cause du budget fédéral. Dans un entretien au Vif/L’Express, Maxime Prévot (CDH), ministre wallon des Affaires sociales, rejoint son collègue socialiste, en argumentant : « Je suis inquiet. En particulier parce que les signaux qui nous arrivent, tant au niveau des prestataires de soins que des hôpitaux, ne sont pas rassurants. Les économies qui sont en jeu ne sont pas du tout concertées avec les entités fédérées. On parle, pour 2017, d’environ 90 millions d’euros spécifiquement sur les centres hospitaliers. Ce montant ne tient pas compte de l’impact des autres mesures. Car les économies en matière de médicaments ou encore l’indexation partielle des honoraires médicaux ont bien évidemment un impact direct sur les recettes des hôpitaux. »

En Région bruxelloise, on ne pense pas autre chose. « Je ne distingue pas les objectifs du gouvernement fédéral en matière de santé publique ; par contre, je distingue parfaitement ses objectifs budgétaires », grince le ministre Didier Gosuin (DéFi). Lui aussi regrette le manque de concertation du fédéral et met en garde contre les risques potentiels d’une rationalisation menée à la hussarde. Depuis la fin septembre, il dénonce la volonté fédérale de fermer 1 000 lits dans la capitale. Et martèle les spécificités de la ville-Région : « 30 à 40 % des patients pris en charge dans les hôpitaux bruxellois n’y résident pas. Si cette patientèle est prise en compte, la Région devrait compter 8 447 lits agréés au lieu de 6 820 actuellement. »

Le risque est d’autant plus grand, plaide Didier Gosuin, que la sixième réforme de l’Etat a complètement éclaté la compétence. « Avec cette réforme, la programmation des hôpitaux est restée fédérale, l’agrément est devenu communautaire, le financement est resté fédéral mais les infrastructures sont devenues communautaires, peste-t-il. Difficile de faire cohérent et simple ! »

D’autant que le financement des hôpitaux est déjà, en soi, une matière infiniment complexe, qui doit tenir compte d’une multitude de données, du vieillissement de la population aux spécificités locales. Lors d’un débat politique mis sur pied par Le Vif/ L’Express, mercredi 26 octobre, à Liège, Alain Mathot (PS), bourgmestre de Seraing, signalait, par exemple, la difficulté pour sa ville de porter la responsabilité d’un trou budgétaire de 178 000 euros cette année. Alors que la plupart des patients de l’hôpital sérésien vivent… et paient leurs impôts ailleurs.

La « mauvaise méthode » fédérale

Dans le cadre du budget 2017, le gouvernement du Premier ministre, Charles Michel (MR), a décidé que la réforme du financement des hôpitaux serait accélérée afin d’engendrer rapidement ses premiers effets budgétaires. L’épure présentée par la ministre Maggie De Block prévoit une réorganisation sur maximum 25 réseaux couvrant, chacun, une population de 400 000 à 500 000 patients. C’est au sein de ces réseaux que se définira la programmation des soins.

« Sur ce principe, tout le monde est d’accord, relève Jean-Marc Laasman, directeur d’études de la mutualité socialiste Solidaris. Cette réforme a d’ailleurs été élaborée lors de la précédente législature (NDLR : le gouvernement Di Rupo) au départ d’une large consultation des acteurs. Le problème, c’est le timing et la manière de le faire. Il aurait été plus indiqué de le planifier sur dix ans, et dans un cadre budgétaire relativement stable. Pour qu’une telle réforme fonctionne, il faut permettre, dans un premier temps, de réinvestir. On peut considérer que les durées de séjour sont trop longues dans un certain nombre de cas, oui, mais il faut alors mettre des choses en place en aval de l’hôpital. »

Réformer le financement ? C’est indispensable, appuie Jean Hermesse, secrétaire général de la Mutualité chrétienne. « Le secteur hospitalier tel qu’il existe aujourd’hui n’est plus en phase avec les besoins », souligne-t-il. Le gros problème au sujet duquel tout le monde s’accorde ? Le financement est inflationniste par essence, il pousse à la croissance et à la surconsommation. « Le moteur de la croissance, c’est le fait que le budget des moyens financiers (NDLR : BMF, enveloppe fermée octroyée aux hôpitaux, qui tourne autour des 8 milliards d’euros) est partagé entre les hôpitaux au prorata du nombre d’adhésions, pondérés en fonction de la gravité. C’est un jeu à somme nulle. Si un hôpital croît, les autres diminuent. » Résultat ? Tous les mois, chaque hôpital organise une réunion qui débute systématiquement par la présentation d’un tableau de bord des activités. Toutes les petites flèches doivent aller vers le haut. « Un raisonnement de dingue », lâche-t-il.

Mais Jean Hermesse est affirmatif : la coalition suédoise ne choisit pas la bonne méthode. « En soutenant la nécessité d’une réforme, je ne dis pas qu’il faut faire des économies nettes, mais bien accompagner une mutation, enchaîne-t-il. Vous ne pouvez pas demander aux hôpitaux de faire des investissements s’ils ne savent pas quel sera leur budget l’année suivante. Voilà pourquoi nous avons proposé une formule intermédiaire au cabinet De Block, dont le mot d’ordre est le suivant : « Ayez confiance dans le secteur. » La formule intermédiaire consisterait à garantir une enveloppe globale qui croît de 1 % à 1,5 % pendant cinq ans. Pendant ce temps-là, on continue à comptabiliser les données, mais les établissements peuvent convertir, innover… » Une dynamique contraire à l’urgence budgétaire d’une majorité fédérale aux abois, qui doit encore trouver plusieurs milliards d’ici à la fin de la législature.

« Les hôpitaux retombent dans le rouge »

En cette période de disette, les hôpitaux adaptent dès lors leurs comportements ou font davantage contribuer les patients. Surtout, ils risquent de replonger dans une période noire, quand nombre d’entre eux étaient au bord de la faillite. « La dernière étude Maha, le moniteur de référence sur l’état de la situation financière des hôpitaux réalisé par Belfius, montre qu’en 2015, un tiers des hôpitaux présentaient un résultat courant négatif, met en garde le ministre Maxime Prévot. Ce résultat courant a chuté de 30 % par rapport à l’année précédente. » Traduction : ces établissements replongent dans le rouge après avoir péniblement sorti la tête de l’eau. Attention, danger.

« Il y a eu un refinancement quand Rudy Demotte était ministre des Affaires sociales, entre 2003 et 2007, rappelle Jean-Marc Laasman (Solidaris). C’était, il est vrai, une période plus sereine sur le plan budgétaire. La situation du secteur, qui était catastrophique, s’est alors améliorée. Mais depuis la crise financière de 2008, l’enveloppe budgétaire recommence à diminuer et, depuis 2011, toutes les économies faites dans le secteur de la santé ont été consacrée à l’assainissement budgétaire du fédéral. Cela s’accélère et il n’y a pas de miracle : une série d’hôpitaux replongent. »

En attendant, le Wallon Maxime Prévot a pris les devants pour anticiper la réforme du fédéral et, selon ses dires, « garantir la prise en charge des patients dans une infrastructure de qualité ». En juin, il a présenté une réforme du financement des infrastructures hospitalières qui mise sur une réduction de 25 % du nombre de lits. « Cette diminution devrait se réaliser progressivement, au fur et à mesure de l’application des plans de construction, sauf si, bien sûr, l’Etat fédéral en décide autrement, précise le ministre. Le nouveau système élaboré par la Wallonie se veut modulable en fonction des réformes en cours au fédéral. Mais nous aimerions y voir clair sur ses intentions en termes de programmation du nombre de lits avant de lancer le prochain plan de constructions. » Or, pour l’heure, le manque de concertation est criant.

Le refrain est malheureusement connu, depuis le début de la législature. Jean Hermesse regrette la difficulté de conclure tout accord ambitieux dans le domaine de la santé en raison du « monde qu’il faut mettre autour de la table, tant du côté fédéral que des entités fédérées ». Infatigable penseur du secteur depuis trente-cinq ans, qui a exercé dans les années 1980 en tant que chef de cabinet adjoint de Jean-Luc Dehaene (CD&V) aux Affaires sociales, il assénait cet été : « Je suis scandalisé de voir le temps que l’on perd à cause de la sixième réforme de l’Etat. Tout ça pour une seule chose : essayer de faire en sorte que ce qui fonctionnait bien avant continue simplement à tourner. »

C’est dire combien cela devient ardu quand il s’agit de réformer le système…

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