Carte blanche

McKinsey à l’ULB : pour une Université critique, pas dogmatique

Depuis plusieurs années, l’Université libre de Bruxelles a pour ambition de faire du campus de la Plaine un pôle d’ingénierie et des sciences et techniques. Une des étapes dans la réalisation de ce pôle est la construction d’un nouveau bâtiment sur le campus de la Plaine.

Lors du conseil d’administration de l’ULB du 19 septembre, Yvon Englert, recteur nouvellement investi, informait les membres du CA d’un projet de partenariat, hautement confidentiel, avec l’entreprise McKinsey. Ce cabinet de conseil et de management a été plusieurs fois classé l’un des plus grands cabinets mondiaux, avec un chiffre d’affaires annuel de huit milliards de dollars . L’actuel président du CA de l’ULB est d’ailleurs l’ancien directeur général de McKinsey Belgium.

L’entreprise financera partiellement la construction du bâtiment moderne, en échange de quoi l’ULB s’engage à lui en louer une partie (1) . La société de consulting lancerait alors des partenariats académiques avec notre communauté universitaire (2) . Le Bureau des Étudiant-e-s Administrateurs-trices (BEA), conseil étudiant de l’ULB, a alors décidé de sortir dans la presse le lundi 10 octobre avec ces informations, jugeant à la fois que la venue de McKinsey sur un campus de l’ULB pouvait être une menace à notre vision de l’enseignement, mais aussi que ces questions étaient trop importantes pour être décidées en vase clos et surtout dans l’opacité la plus totale.

Tout d’abord, McKinsey est une entreprise qui a une vision bien précise de l’éducation qu’elle veut pour la société : un enseignement qui servira à transmettre certaines compétences, outils pour former des étudiants prêts à l’emploi. Etienne Denoël, le patron de McKinsey Belgium, est parvenu à imposer sa firme comme partenaire du pacte pour un enseignement d’excellence de Joëlle Milquet.

Nous craignons que l’Université ne s’éloigne d’une de ses missions cardinales qui est de former des citoyens critiques, ouverts, qui comprennent et analysent les multiples facettes du monde dans lequel ils vivent. Nous redoutons qu’en multipliant les partenariats avec le privé, les étudiants ne soient plus confrontés qu’à une seule vision des choses, une seule façon de faire de l’économie, un outil intellectuel unique, là où le rôle de l’Université est d’en fournir une multitude et de favoriser l’émancipation de ses étudiants. Telle était la volonté des fondateurs de notre Alma Mater.

À l’UCL, l’entreprise de consulting PwC, experte en fiscalité, possède une chaire (3) pour un cours de droit fiscal, alors qu’elle a trempé dans le scandale du LuxLeaks (4) . Dès lors, quelle logique, quelle vision du droit fiscal se verront donner les étudiants ? Nous sommes en droit de nous poser des questions identiques lorsque l’ULB multiplie des partenariats avec AB Inbev, BNP ou McKinsey. Le même problème peut se poser au sein même du choix des cours : notre société ne peut pas se contenter d’économistes et de gestionnaires mais a aussi besoin de linguistes et de sociologues. Dans le cadre d’un enseignement toujours plus financé par le privé, quelles seront les premières filières à disparaître ? En 2008 déjà, l’ULB supprimait des cours de sanskrit et réduisait son offre de cours à cause de problèmes de budget. Mais nos craintes dépassent le cadre de l’enseignement : avec une recherche qui s’oriente de plus en plus vers des financements privés, au bénéfice de qui sera-elle effectuée ?

Dans ce contexte budgétaire difficile, nous avons conscience du manque de financement de notre université. Dès lors, nous comprenons que les autorités de l’ULB se tournent vers un financement privé. Néanmoins, nous mettons en avant que les entreprises privées n’ont pas les mêmes objectifs que l’État et suivent de ce fait des logiques différentes. Pour garantir une éducation critique et citoyenne, accessible à toutes et tous, nous plaidons pour un refinancement public de nos universités, hautes écoles et écoles supérieures des arts, à hauteur de leurs besoins.

Nous déplorons également le manque de transparence dont notre Alma Mater fait preuve. Des représentants étudiants se sont vu refuser le droit de retourner vers leur conseil étudiant, les empêchant d’effectuer la mission pour laquelle ils ont été élus. Mais sur des questions aussi importantes pour notre université, nous considérons que les représentants étudiants devraient pouvoir retourner vers l’ensemble de leur corps. Dans l’université du libre examen, nul ne devrait avoir à se retenir de parler et d’exprimer ses opinions publiquement. C’est, au contraire, en débattant le plus largement possible de la direction que doit prendre notre université, avec l’ensemble de la communauté universitaire, que nous pourrons avancer ensemble. La liberté d’expression est une condition nécessaire et inaliénable de ce libre examen cher à notre fondateur, Théodore Verhaegen. « Examiner, en dehors de toute autorité politique ou religieuse, les grandes questions qui touchent à l’homme et à la société, sonder librement les sources du vrai et du bien, tel est le rôle de notre Université, telle est aussi sa raison d’être. » Aujourd’hui, l’on pourrait ajouter également « de toute autorité financière ». Notre Alma Mater saura-t-elle se dresser contre le dogme économique de la même manière qu’elle s’est érigée, il y a près de deux siècles, face au dogme religieux. Scientia Vincere Tenebras. Vaincre les ténèbres par la Science. L’obscurité par la lumière. Le secret par la transparence.

Nous, membres de la communauté universitaire, appelons à l’arrêt des négociations avec McKinsey et à la mise en place d’un vrai débat au sein de l’université, par la mise en place, notamment, de référendums ouverts à l’ensemble de la communauté universitaire.

Le Bureau des Etudiant-e-s Administrateurs-trices

Le Cercle du Libre Examen

Le Cercle des Sciences

Le Cercle des étudiants en Philosophie et Sciences sociales

Le Cercle de Droit

Le Cercle de Médecine

Le Cercle de Psycho

Comac

Les Etudiants Socialistes

Priorité Etudiante ULB

Oxfam ULB

Joël Girès, Cécile Piret, Sarah De Laet, membres de la délégation CGSP Enseignement & Recherche

(1) McKinsey y réunira l’ensemble de ses trois bureaux belges, répartis actuellement sur l’avenue Louise, à Anvers et à Louvain-la-Neuve. Cela représente près de 350 travailleurs.

(2) Comme nous avons pu le lire dans une note confidentielle reçue par les membres du BEA.

(3) Une chaire universitaire, dans ce cas-ci, est un partenariat avec une personne ou organisation extérieure à l’université qui se voit attribuer un cours. La chaire peut être payée ou offerte par l’université.

(4) Le Luxembourg Leaks (ou « LuxLeaks« ) est le nom du scandale financier qui avait révélé le contenu de centaines d’accords fiscaux très avantageux conclus avec le fisc luxembourgeois par des cabinets d’audit pour le compte de nombreux clients internationaux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire