Olivier Mouton

Marche arrière éthique, toute? La Belgique reste un modèle

Olivier Mouton Journaliste

Avortement, euthanasie, mariage homosexuel: en Espagne et en France, le conservatisme est de retour. Chez nous, le débat reste serein. Jusqu’à quand?

C’est comme si une page se tournait dans certains pays d’Europe. Chèrement acquises, des libertés éthiques fondamentales sont remises en question par les courants conservateurs en cette période de crise économique et sociale, mais aussi démocratique et morale.

En Espagne, le gouvernement, dirigé par le Parti populaire, se prépare à limiter fortement les possibilités d’avortement, réservant strictement ce droit aux viols et aux cas où la santé est menacée. Cette avancée éthique avait été obtenue par les socialistes à leur retour au pouvoir, craquant le carcan de quarante années de franquisme.

En France, à l’inverse, la majorité socialiste devrait élargir ce droit à l’avortement pour le mettre en conformité à la pratique, supprimant la notion de « femmes en situation de détresse ». Mais sur le mode espagnol, le mouvement très virulent qui s’était opposé au mariage pour tous entend désormais mener une nouvelle croisade pour le droit à la vie.

Marquées par l’héritage libéral de mai 1968, nos sociétés sont à nouveau écartelées. Ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer les dérives d’une dérégulation à outrance. Sur le plan économique, la révolution des années soixante a, il est vrai, laissé la voie libre au marché, menant le capitalisme sur des voies outrancières. Au niveau de la société, elle a modifié en profondeur le lien familial et placé les individus devant leurs propres responsabilités. Une gestion politique judicieuse de ces mutations profondes est plus que jamais nécessaire.

La liberté est un bien précieux. Mais la liberté, aussi, fait peur quand ceux qui en disposent ne savent pas la gérer à bon escient. En revenant sur des acquis éthiques de façon outrancière, les conservateurs se confrontent sans doute avec leurs propres démons. Ils ne font pas confiance à la maturité et à la sagesse de l’homme.

Le déclin des partis chrétiens
En Belgique, le débat est heureusement plus serein. Notre pays est un modèle en matière éthique depuis le début des années 1990, quand une majorité progressiste dirigée par Guy Verhofstadt a multiplié les avancées: mariage homosexuel, euthanasie… Avant cela, il faut s’en rappeler, une grave crise politique avait été nécessaire, marquée par l’interruption de règne du roi Baudouin, pour dépénaliser l’avortement. C’est dire que notre pays n’est pas à l’abri.

Le déclin des partis chrétiens explique sans aucun doute ces évolutions majeures. Sous cette législature encore, une majorité parlementaire alternative, sans le CD&V et le CDH, a étendu le droit à l’euthanasie aux mineurs d’âge. Les discussions parlement furent intenses, mais leur aboutissement n’a été contesté ouvertement par personne. Pas de pétitions incendiaires, ni de manifestations chaotiques dans les rues. Assez curieusement, cette réforme voulue par les libéraux et les socialistes a été rendue possible par les voix des nationalistes flamands, la N-VA témoignant à ce sujet d’une ouverture dont elle ne fait guère preuve dans d’autres domaines. Jusque quand?

Laboratoire de l’Europe, la Belgique reste un phare lumineux où la tolérance prédomine. Pour l’instant. Car notre pays n’est pas une île. Les résistances qui se font jour au sud du continent sont d’ores et déjà relayées chez nous et le retour du religieux, singulièrement dans les villes, pourrait infléchir les positions. Raison de plus pour gérer minutieusement les droits acquis, éviter les dérives libertaires et permettre à nos sociétés de vivre ses progrès de façon responsable.

Notre pays est riche de son consensus social, tant sur le plan socio-économique que sur le plan éthique. C’est ce sens de la modération qui lui permet d’affronter la tête haute les bourrasques de la crise tous azimuts que l’Europe traverse. A l’heure où certains remettent en cause les avancées du progrès, dans tous les domaines, seul ce bon sens permettra d’éviter les outrances de l’extrémisme. Et éteindre l’incendie de débats éthiques qui virent ailleurs à un dangereux affrontement.

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