François Brabant

Mandela + Amnesty = récupération au carré

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Que des partis politiques rendent hommage au héros de la lutte anti-apartheid, fort bien ! Qu’ils s’associent au combat d’Amnesty International contre les violations des droits humains, qui s’en plaindra ? Mais quand tout cela vire au marketing électoral pur et simple, c’est la politique – une fois encore – qui perd du crédit.

A trop vouloir récupérer, on risque de se rendre irrécupérable. Tous les partis politiques feraient bien de méditer là-dessus, et en particulier ceux qui viennent de rendre à Nelson Mandela un hommage fort appuyé (si appuyé qu’on a davantage vu la marque de l’appui que celle de l’hommage).

Ces dernières semaines, certains ont reproché à Didier Reynders et Melchior Wathelet de récupérer l’engouement populaire pour les Diables rouges, en se présentant sur le tarmac de Zaventem les joues colorées de noir-jaune-rouge. D’autres voix ont accusé le PTB de récupérer les mouvements sociaux : de fait, quand les militants du parti marxiste arrivent en masse dans une manif, c’est un peu le débarquement de Normandie…

Dans le cas de Reynders-Wathelet comme du PTB, il y a, comme on dit, matière à débat. Mais la palme de la récupération politique revient sans conteste au Parti socialiste. Pour l’ensemble de son oeuvre. Et en particulier pour ses deux trouvailles à l’occasion du décès de Nelson Mandela (le 5 décembre) et de la Journée des droits humains (le 10 décembre). Joli tir groupé, qui a mis la concurrence KO.

Ce dimanche, Elio Di Rupo et Paul Magnette participeront à Saint-Gilles à un hommage à Nelson Mandela, organisé par le Parti socialiste. Tandis que hier, deux bâches géantes ont été déployées sur la façade du siège du 13, boulevard de l’Empereur : l’une à l’effigie de l’ex-président sud-africain, l’autre représentant bougie Amnesty International, le logo du PS bien en évidence.

Le PS combat depuis longtemps le racisme : on ne peut lui reprocher de manquer de sincérité quand il affirme que les valeurs de tolérance défendues par Mandela sont aussi les siennes – d’autant que le PS a été l’un des premiers partis européens à soutenir l’ANC. Le problème n’est pas là.

Que des villes dirigées par des bourgmestres socialistes organisent des expositions pour mieux faire connaître l’engagement de Nelson Mandela, tant mieux ! Que des élus PS proposent de rebaptiser des rues Mandela, des places Mandela, des ponts Mandela, c’est une juste reconnaissance envers l’un des plus grands héros du XXe siècle. Mais apposer le sigle PS sur des photos de « Madiba », c’est de l’abus pur et simple, une escroquerie intellectuelle. Le leader de l’ANC était membre du comité central du Parti communiste sud-africain, au moment de son arrestation, en 1962. Par la suite, son message de réconciliation et de fraternité a transcendé les courants politiques, ce qui lui a permis de jouer un rôle de médiateur pour la paix au Burundi, tout en rencontrant à de nombreuses reprises Yasser Arafat aussi bien que le dalaï-lama. Cependant, même si l’ANC fait partie de l’Internationale socialiste depuis 1999, Mandela ne s’est jamais affilié au PS – du moins, si l’on en croit ses biographes les plus sérieux.

Quant à Amnesty International, l’organisation a été créée à l’origine pour protester contre les arrestations arbitraires sous la dictature de Salazar, au Portugal. Très vite, elle a dirigé son action contre l’ensemble des violations des droits humains, ce qui l’amène à défendre toutes les personnes emprisonnées en raison de leurs opinions ou leurs croyances, que ce soient des militants islamistes ou des activistes d’extrême gauche. Il s’agit, par essence, d’un combat universel, et politiquement neutre.

Réjouissons-nous si nous vivons en Belgique dans une démocratie où l’un des plus grands partis manifeste de façon spectaculaire son attachement à ce combat en faveur des droits humains. Et précisons ceci : le ravalement de façade socialiste s’est opéré en concertation avec Amnesty International, qui gagne de la sorte en visibilité. On aurait toutefois préféré un soutien disons… plus modeste, ou plus concret. On aurait pu imaginer, par exemple, que le président du PS encourage ses militants à consacrer une heure de leur temps pour rédiger des lettres demandant la libération de prisonniers politiques. Ou que le Premier ministre s’inspire des recommandations d’Amnesty International pour rendre les prisons belges plus humaines. Voire, on peut rêver, que les hauts dignitaires du PS reversent symboliquement, à l’occasion du 10 décembre, 10 % de leur salaire à Amnesty.

Que le PS se mette au service d’Amnesty International, oui. Qu’il mette Amnesty International à son service, non. Il y a des limites au marketing politique, même à six mois des élections.

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