© NICOLAS MAETERLINCK/belgaimage

Magnette, la conspiration en marche

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En rupture avec les députés-bourgmestres socialistes, en froid avec un Elio Di Rupo que l’on dit sur le départ, acclamé par la jeunesse militante, Paul Magnette s’organise. Pour quitter la politique, pour prendre un parti qui lui est promis, ou pour en fonder un nouveau ? Il se pose la question.

 » Un très petit nombre d’hommes tiennent en leurs mains l’appareil du parti, dirigent ses parlementaires et ses ministres, et cadenassent ses débats. Les congrès, censés être des assemblées souveraines des représentants des militants, ne sont qu’arbitrages obscurs entre chefs de bande, dont les militants sont soigneusement exclus.  » Depuis quelques semaines, au Pain quotidien, boulevard Tirou, à Charleroi, on relit avec entrain certains textes d’un jeune politologue des années 1990. Dans  » Les Socialistes et le pouvoir « , ouvrage collectif édité en 1998 par Pascal Delwit et Hugues Le Paige, Paul Magnette écrivait, dans un chapitre intitulé  » Qu’est-ce que le réformisme ? « , ces lignes qui auraient pu convenir, dix-neuf ans après, à la  » bataille des barrages « . Sauf qu’en ce pluvieux dimanche 2 juillet, sur les bords du lac de l’Eau d’Heure, l’arbitrage n’a pas été obscur entre les partisans du décumul intégral et ses opposants réunis au congrès extraordinaire du Parti socialiste. Jamais dans sa glorieuse carrière, Elio Di Rupo n’avait été aussi secoué par sa base, où la parole s’est désormais libérée, et l’hostilité, assumée.  » Chaque intervention en sa faveur était huée, et chaque intervenant prônant le décumul intégral était acclamé « , raconte, encore abasourdi, un parlementaire pourtant pas suspect d’hostilité envers le Montois. Au deuxième rang plutôt qu’au premier, déjà un signe, Paul Magnette desserrait peu les dents. Entre le bourgmestre de Charleroi et celui de Mons, la défiance était déjà ostensible, elle est désormais ostentatoire.

Aux journalistes présents, le Carolo ne répondra rien d’autre qu’une sentence pesante aux questions sur l’avenir d’Elio Di Rupo à la présidence du PS :  » Mon avis n’a aucune importance, c’est aux militants de le décider.  »  » Je suis à 100 % derrière Elio Di Rupo, c’est de lui que nous avons besoin pour rénover le parti « , disait-il pourtant, alors que le débat sur le décumul n’était pas encore tranché, deux semaines auparavant. Depuis, Paul Magnette se tait : le lundi, ce sont Laurette Onkelinx et Rudy Demotte que le parti a envoyés défendre sa position, pas le ministre-président wallon. Et on a eu beau le traquer, jamais il n’a fût-ce qu’accusé réception de nos demandes d’entretien. Un peu de spleen, sans doute, de celui qui frappe ceux qui n’ont jamais connu l’échec lorsque leur tombent deux torgnoles, la première de ses camarades de parti, la seconde de Benoît Lutgen.  » Pour l’instant, à peu près tous les jours je dois lui remonter le moral « , confie ainsi un proche. Quitter la politique ? La tentation lui aurait titillé le bulbe rachidien. Brièvement. Car  » cela n’empêche pas que Paul est ressorti plus fort de cette séquence, et qu’il va s’en servir « , ajoute ce proche. Le tout est de savoir comment.

Avec plusieurs ministres et dix parlementaires

C’est justement de ça qu’on discute, à la grande table du Pain quotidien, ces petits matins du boulevard Tirou, en glosant sur les textes de leur évangéliste. Les constats y sont à peu près les mêmes qu’il y a vingt ans, du reste. Paul Magnette, en 1998, déplore qu’à force  » de se confondre avec le pouvoir, la classe dirigeante du mouvement s’est éloignée du peuple et a perdu sa confiance « . Il dégoise contre les  » barons « , cette  » poignée d’hommes  » qui  » tiennent à la fois les instances locales du parti, sur lesquelles la présidence n’a jamais eu réellement prise en raison de la persistance d’un campanilisme congénital, et les lieux du pouvoir. Ils font et défont les carrières, distribuent les emplois, les logements, les titres et les marchés publics pour asseoir leur féodalité « . Il ne dit rien d’autre en 2017. Mais l’homme qui se dresse contre ces maux allégués n’est plus un frêle aspirant politiste. Il est désormais le bourgmestre de Charleroi, pour encore un temps le ministre-président de la Région wallonne, et pour le moment le dernier espoir d’une certaine jeunesse militante.

Paul Furlan et Christophe Lacroix : tentés de se mettre en marche avec leur ministre-président ?
Paul Furlan et Christophe Lacroix : tentés de se mettre en marche avec leur ministre-président ?© Christophe Licoppe/PHOTO NEWS

Sa ligne est à peu près établie : elle est celle d’un  » libéralisme ouvrier  » dépoussiéré, selon la méchante formule d’Henri De Man rappelée dans  » Qu’est-ce que le réformisme ? « , prônant la réduction du temps de travail, l’impôt sur les gros patrimoines, et peut-être l’allocation universelle. Foudre jupitérienne, elle ne devra plus être freinée par les corps intermédiaires, ni ralentie en bureau national, ni amortie par les fédérations d’arrondissements : c’est ainsi, pense-t-il, que la classe dirigeante du mouvement se rapprochera du peuple et regagnera sa confiance.

Sera-t-elle, cette ligne, imprimée par Paul Magnette à l’extérieur ou à l’intérieur du Parti socialiste ? Avec lui ou contre lui ? C’est sur ce dilemme que l’on planche au Pain quotidien.  » L’idée socialiste n’est pas liée à l’organisation actuelle du parti, elle est beaucoup plus forte et plus vaste que celui-ci « , a-t-il tweeté le vendredi 30 juin dernier. Une citation passe-partout de Jaurès qui, en contexte, peut laisser croire à une macronisation, une mélenchonisation ou une hamonisation – la bonne façon de qualifier une scission d’un parti socialiste francophone ne s’étant pas encore imposée – de Paul Magnette. Il compte ses soutiens, et il agira en fonction dans les semaines qui viennent.  » Il consulte beaucoup, et pas qu’au Pain quotidien « , nous dit un autre proche, carolorégien celui-là.  » Une dizaine de parlementaires, et plusieurs ministres, sont prêts à le suivre, y compris s’il quitte le parti pour en fonder un autre. Dans les milieux syndicaux, y compris chrétiens, il y a aussi une vraie demande de quelque chose de nouveau, en dehors des appareils des partis d’aujourd’hui « , continue-t-il. Il ne citera pas de noms. Il n’est pas interdit de penser que les jeunes Pierre-Yves Dermagne et Christophe Lacroix, et que le fidèle Paul Furlan pourraient être tentés de prendre le sillage de leur ministre-président. Tous se sont bruyamment engagés dans la  » bataille des barrages  » pour le décumul intégral, et tous se sont, dans leurs fédérations respectives (le Binchois Laurent Devin à Thuin pour Furlan, le Hutois Christophe Collignon à Huy-Waremme pour Christophe Lacroix), colletés avec des élus locaux partisans du décumul financier.

« Une dizaine de parlementaires, et plusieurs ministres, sont prêts à le suivre, y compris s’il quitte le parti pour en fonder un autre »

Mais sans ancrage bruxellois, et avec le risque de ne pas profiter de son actuelle popularité interne, tant ils sont – encore – nombreux, ces militants, à rester attachés à la vieille maison de Vandervelde et compagnie, l’initiative pourrait bien prendre une dimension wesphaelienne plutôt que macronienne. Quoique.  » Le PS subit une telle crise qu’il est vraiment menacé de disparition. Qu’en restera-t-il si Paul le quitte ? Qui pourrait lui donner une direction claire ? Peu de monde. Dans ce cas, un large mouvement de gauche, rassemblant plusieurs figures de proue, pourrait sans problème tourner autour des 15 % « , pronostique un des commensaux du Pain quotidien.

Cinq fédérations, puis le parti

Un autre Carolorégien, pourtant pas suspect d’antimagnétisme primaire, tempère :  » C’est très aventureux, voire suicidaire. Tout seul, tu n’es rien. Et tout le monde ne voudra pas suivre. Alors que clairement, aujourd’hui, au parti, la seule question qui se pose, c’est de savoir si la transition entre Elio et Paul se fera par la force ou en douceur… « , lance-t-il.

Le résultat, il est vrai, différerait peu des objectifs murmurés au Pain quotidien : le PS est déjà à 15 %, et est en passe de réitérer, au terme de ses Chantiers des idées, sa volonté de réduire le temps de travail et d’imposer les gros patrimoines.  » Et le décumul intégral est inscrit dans les astres : à la fin de cet été, il sera soit coulé en loi, au moins à Bruxelles, soit adopté par le parti dans son ensemble, soit appliqué par la plupart de ses fédérations « , pronostique un député wallon. Or, le décumul intégral est moins pour Paul Magnette une affaire d’idéal qu’une question pratique : son application permettrait de casser le pouvoir des corps intermédiaires du parti, ces députés-bourgmestres avec qui il est entré en conflit mortel. Donc d’imprimer sa ligne à son aise.

Benoît Hamon a quitté le PS français le 1er juillet. Magnette le suivra-t-il après l'avoir soutenu ?
Benoît Hamon a quitté le PS français le 1er juillet. Magnette le suivra-t-il après l’avoir soutenu ? © SDP

Mais Elio Di Rupo, pourtant d’abord défenseur du décumul intégral, a laissé le congrès incliner vers le décumul des rémunérations pour renouer avec ces mêmes députés-bourgmestres, et consolider sa position présidentielle.  » C’est la victoire des petits, et ce n’est qu’un sursis de quelques mois pour Elio Di Rupo « , estime un Hennuyer pourtant dirupiste. Pour  » prendre  » le parti par la force, Paul Magnette devra faire convoquer une élection présidentielle. Cette convocation nécessite soit une majorité au bureau, ce dont Paul Magnette ne dispose pas, soit une requête cosignée par cinq des quatorze fédérations d’arrondissement. Or sept d’entre elles se sont prononcées pour le décumul intégral…  » Mais tout le monde n’y est pas encore prêt « , reprend le Hennuyer.

 » Ce qui empêche qu’un putsch porte tout de suite Paul à la tête du PS, c’est que les gens, au parti, respectent encore énormément Elio Di Rupo. Mais, au fond, personne n’est dupe « , pose un parlementaire carolorégien. Lui voit la fronde prendre consistance dans les prochaines semaines de cet été caniculaire. Fin août, les propositions issues des Chantiers des idées seront présentées en bureau politique. Elles seront ensuite débattues dans les sections, les unions socialistes communales et les fédérations et seront coulées dans la doctrine socialiste au congrès du 24 septembre.  » Les choses se décanteront dans ces moments-là : les divisions entre fédéralistes et belgicains, Wallons et Bruxellois, mais aussi entre pro et anticumul nous donneront l’occasion de sortir du bois « , augure un magnétiste. Le congrès de la fédération carolo, annoncé début septembre, entre dans cette stratégie.  » Le seul scénario qui permettrait selon moi que ça se passe en douceur, c’est qu’Elio prenne conscience que sa position est intenable, qu’il se grandirait en passant la main après le Chantier des idées, et qu’il annonce donc son retrait à ce moment-là « , conclut-il. Sinon…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire