Les visiteurs entreront dans le musée par un nouveau pavillon tout en verre, qui regroupe billetterie, librairie, restaurant, auditorium... La délicate question de l'emplacement du parking n'a pas été réglée. © HATIM KAGHAT

Les secrets du nouveau musée de Tervuren

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Quel regard sur le passé colonial découvrira-t-on dans le musée de l’Afrique centrale rénové et agrandi ? L’institution fédérale pourra-t-elle faire face à l’explosion prévisible des coûts d’entretien et de surveillance ? Exploration, en exclusivité, du nouveau complexe et révélations sur sa future scénographie.

Du premier étage du nouveau pavillon d’accueil du musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), un parallélépipède de verre, la vue sur le parc de Tervuren est imprenable. Casque d’ouvrier sur la tête, Guido Gryseels, patron des lieux, soupire :  » C’est la fin d’un long parcours. La réception du chantier aura lieu fin juin. Les travaux de scénographie et d’aménagements intérieurs devraient débuter en septembre et durer huit mois.  » Le directeur du musée confie que les derniers obstacles ne sont pas techniques, mais administratifs.  » Il faut encore et toujours se battre pour obtenir les budgets, lancer les derniers marchés publics, préparer les cahiers des charges pour les firmes spécialisées en éclairage, en graphisme, en équipement multimédia. Le nouveau complexe ne sera plus un musée colonial, mais un lieu de vie et de mémoire. La superficie ouverte au public sera presque doublée. Le site est classé, mais il fallait le moderniser de fond en comble et le rendre à la lumière.  »

La patience et la persévérance du directeur ont été soumises à rude épreuve : Guido Gryseels oeuvre à la rénovation complète du musée de Tervuren depuis 2002. Menés par la Régie des bâtiments, les travaux devaient s’achever en 2010, année du centenaire du palais néoclassique commandé par Léopold II à l’architecte français Charles Girault. Mais le MRAC fait partie de ces grands chantiers fédéraux qui jouent et rejouent les prolongations. En 2007, quand la conception du projet a été confiée à l’architecte flamand Stéphane Beel et son association de compétences, on parlait d’un musée nouveau en 2013. En réalité, fin novembre de cette année-là, le bâtiment fermait seulement ses portes et il était alors question de terminer les travaux à l’automne 2016. A présent, l’ouverture au public est annoncée pour juin 2018. Du coup, le départ à la retraite de Guido Gryseels, prévu en août prochain, est repoussé d’un an. Le capitaine n’allait pas céder la barre avant d’avoir conduit le navire à bon port.

Guido Gryseels, directeur du musée, inspecte les travaux dans l'ancien palais, entièrement consacré à l'exposition permanente.
Guido Gryseels, directeur du musée, inspecte les travaux dans l’ancien palais, entièrement consacré à l’exposition permanente. © HATIM KAGHAT

Du pavillon de verre au souterrain

L’ancien palais de Girault sera entièrement réservé à l’exposition permanente. La billetterie, les vestiaires, la librairie, un restaurant panoramique et un auditorium se retrouvent dans le bâtiment d’accueil. Erigé en lisière de forêt, ce pavillon de verre est relié à la cour centrale du bâtiment de 1910 par un passage souterrain de cent mètres de longueur. On y a aménagé une grande salle de spectacles et de conférences. En cours de finition, cette galerie en sous-sol accueillera les expositions temporaires et une présentation de l’histoire du musée. Elle abrite déjà l’un de ses objets phares : la pirogue longue de plus de vingt-deux mètres utilisée par Léopold III en 1957 lors de sa visite au Congo. La question délicate de l’emplacement du parking du nouveau complexe n’est toujours pas réglée. Quant au billet d’entrée, il passerait à 12 ou 15 euros, mais donnera accès au musée pendant un an.

 » Les transformations en cours à Tervuren ne laissent pas indifférents des responsables d’autres institutions nationales, avoue le directeur : ils voudraient que le fédéral intervienne chez eux aussi. Je leur rappelle que nous travaillons depuis quinze ans sur ce projet-ci, que l’on ne frappe pas à la porte du gouvernement sans avoir un dossier solide, un master plan, une vision claire des objectifs recherchés et du type de public visé.  »

Le coût total des nouvelles constructions et de la rénovation s’élève à 67 millions d’euros, financés par l’Etat fédéral, qui a contracté un emprunt pour l’occasion. S’y ajoutent quelque 8 millions d’euros pour l’aménagement intérieur, à charge du musée, qui cherche toujours des partenaires supplémentaires pour le soutenir. Au nom d’une politique de promotion des  » perles touristiques  » de la Flandre, Ben Weyts (N-VA), ministre flamand du Tourisme, a accordé un subside de 547 000 euros au musée de Tervuren, enveloppe qui servira à financer l’accessibilité des lieux aux handicapés et la traduction des descriptifs et documents en trois langues.

Régionalisation rampante ?

Mis en parallèle avec les mesures d’économies drastiques imposées par le gouvernement Michel aux musées fédéraux, le geste flamand est apparu aux yeux de certains francophones comme une forme de récupération du projet de rénovation, voire de régionalisation rampante de l’institution. Va-t-on vers un transfert, à terme, de la gestion du musée vers la Flandre ? Le précédent du Jardin botanique de Meise, institution nationale devenue flamande, est dans toutes les mémoires. Des conservateurs du musée s’inquiètent surtout du fait que Tervuren, comme d’autres établissements fédéraux, doit réaliser, à la demande du secrétariat d’Etat N-VA de tutelle, un inventaire complet de toutes ses collections. L’objectif est de dresser la liste des  » topstukken « , les  » pièces maîtresses « . A quelles fins ? Les  » moins intéressantes  » pourraient être confiées à d’autres institutions publiques.

Avec ses 150 000 objets ethnographiques, ses 600 000 photos, ses 600 films d’avant 1960, ses 10 millions de spécimens de la faune, ses cartes géologiques, le musée de Tervuren est le plus riche du monde pour l’Afrique centrale. Seule une toute petite partie de ses collections (1 ou 2 %) peut être présentée aux visiteurs.  » Il y aura deux perles dans le nouveau parcours, révèle Sandra Eelen, designer et muséologue au MRAC : la « salle des crocodiles », qui retrouve son lustre de 1928, et le « cabinet des minéraux ». Une salle abordera divers aspects de la vie africaine, de la naissance à la mort en passant par le mariage. Une autre évoquera les paysages et la biodiversité. Dans une salle consacrée aux langues du Congo et aux instruments de musique, le visiteur pourra danser sur des airs et rythmes africains. Il y aura d’autres espaces interactifs, où les enfants pourront bricoler, jouer au microscope…  »

Une nouvelle galerie souterraine relie le bâtiment d'accueil au palais de 1910. Y seront présentées les expositions temporaires et l'histoire du musée.
Une nouvelle galerie souterraine relie le bâtiment d’accueil au palais de 1910. Y seront présentées les expositions temporaires et l’histoire du musée.© HATIM KAGHAT

Le gorille sur le podium

Il n’est plus question de montrer la faune et la flore africaines dans des diaporamas.  » Les conceptions muséographiques actuelles conduisent à privilégier le spectaculaire, explique Didier Van den Spiegel, responsable de la collection biologique du musée. L’objet doit parler par lui-même et ne sera plus accompagné d’explications didactiques. La présentation doit faire un effet immédiat sur les écoliers et le grand public.  » Dès lors, le gorille des montagnes empaillé sera exposé sur un podium et les visiteurs seront au contact des lions, des léopards, de la girafe, de l’éléphant, des rapaces…

 » C’est un casse-tête en termes de maintenance et de surveillance, prévient Didier Van den Spiegel. Les risques d’usure prématurée et de transmission de parasites entre animaux ne sont pas négligeables. De même, la lumière, qui inonde les salles suite au retrait des bâches en plastique qui recouvraient jusqu’ici les grandes baies, menace de ternir en moins de deux ans certaines peaux et de décolorer les ailes des papillons. Le budget d’entretien pourrait bien exploser, alors que nos moyens humains et financiers ont été réduits.  » Guido Gryseels confirme :  » Depuis 2010, le musée a perdu 20 % de son budget et près d’un quart de son personnel. Sur 309 agents, il nous en reste 240, ce qui affecte la recherche scientifique et les services au public.  » Autre souci : les salles ne disposent pas d’extincteurs automatiques à eau.  » Compte tenu d’une évaluation de la vitesse d’évacuation du public, il faut réduire au strict minimum la présence de masses inflammables, confie Didier Van den Spiegel. Le nombre d’animaux sera donc limité et on ne pourra plonger le visiteur dans une forêt tropicale ou dans la végétation de la savane. « 

Un parfum de colonialisme

Pour l’heure, la restauration des marbres, parquets et menuiseries de l’ancien palais touche à sa fin. Les fresques murales ont retrouvé leurs couleurs vives d’origine. Des fenêtres à double vitrage ont été posées derrière les anciens châssis. Les vitrines centenaires ont été rénovées et dotées d’un système de ventilation. Dispersés dans les salles, de nouveaux socles de hauteurs variées mettront en valeur les objets sélectionnés par le scénographe néerlando-anversois Niek Kortekaas et les services du musée.  » Le bâtiment de Girault respire toujours un charme unique, mais l’infrastructure ne répondait plus du tout aux exigences d’un musée moderne, souligne le directeur. Les dernières grandes adaptations remontaient à l’Expo 1958. L’exposition permanente était dépassée et aucun lien n’était fait avec les découvertes de la recherche scientifique et les thèmes d’actualité de l’Afrique contemporaine.  »

Le parfum de colonialisme qui règne dans les salles du palais centenaire ne disparaîtra pas pour autant. La Commission des monuments et sites a veillé à ce que le patrimoine architectural et artistique soit préservé. Ainsi, les quatre statues de la rotonde, réalisées en 1911 par Arsène Matton, ne seront pas escamotées, même si la plus connue est intitulée La Belgique apportant la civilisation au Congo. Elle représente un prêtre blanc qui domine un indigène à moitié nu et à l’allure enfantine. De même sont inscrits, sur un grand mur, les noms de centaines de pionniers belges morts au Congo, mais rien ne rappelle le sort des Congolais, pas même ceux qui ont combattu aux côtés des Belges. Et le sigle de Léopold II, le roi colonisateur si controversé, est gravé partout sur les façades.

Les fresques murales retrouvent leurs couleurs d'origine. Dans les salles au décor colonial prendront place des oeuvres d'artistes congolais contemporains.
Les fresques murales retrouvent leurs couleurs d’origine. Dans les salles au décor colonial prendront place des oeuvres d’artistes congolais contemporains.© HATIM KAGHAT

L’homme-léopard remisé en sous-sol

 » Dans chacune des salles à connotation coloniale sera exposée une oeuvre d’un artiste congolais contemporain, signale Guido Gryseels. On ne peut nier la violence extrême qui a marqué le début de la colonisation et les mesures d’apartheid appliquées au temps du Congo belge. L’évocation du passé colonial est longtemps restée très émotionnelle, mais une société multiculturelle comme celle de la Belgique actuelle porte un regard critique sur cette période. Nous allons en tenir compte, ouvrir le débat, mais aussi accorder une place à l’Afrique d’aujourd’hui. Pour concevoir la scénographie, nous avons consulté la communauté africaine. Une salle sera consacrée à l’histoire de l’Afrique centrale avant la colonisation, car beaucoup de nos concitoyens s’imaginent encore que le Congo n’existait pas avant l’arrivée de Stanley.  » Dans le nouveau parcours, une salle seulement évoquera toute la période coloniale. La grande statue de Léopold II et celle de l’effrayant homme-léopard popularisé par Hergé dans Tintin au Congo, qui trônaient dans le palais, se retrouvent en sous-sol. Ou comment réinventer le musée, malgré l’omniprésence de signes indestructibles à la gloire du Congo belge.

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