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Les médecins qui aident les sans-papiers vont être plus sévèrement punis

Muriel Lefevre

La réforme de l’aide médicale urgente (AMU) va avoir des conséquences « dramatiques » pour les personnes en séjour irrégulier en Belgique. Celle-ci devrait être votée dans les prochaines heures à la Chambre.

Les règles sur l’assistance médicale d’urgence pour les sans-papiers sont en passe d’être réformées avec pour conséquence que les médecins qui administrent ces soins « non autorisés » devront peut-être rembourser leurs honoraires.

Jusqu’à présent, grâce à l’assistance médicale d’urgence, les sans-papiers pouvaient faire appel aux soins de santé. Mais le ministre fédéral de l’Intégration sociale, Denis Ducarme (MR) souhaite réformer ce système. Selon lui, celle-ci est trop souvent mal utilisée et se base pour cela sur un rapport de 2016 de l’AMU (aide médicale d’urgence) qui révèle 12 abus sur les 200 dossiers médicaux analysés.

Désormais, la Caisse Auxiliaire d’Assurance Maladie-Invalidité (CAAMI) pourra envoyer des médecins-contrôle qui vérifieront si des médecins soignent des sans-papiers qui ne relèvent pas des soins médicaux d’urgence.

S’il s’avère que c’est le cas, les médecins seront sanctionnés: on retiendra une partie de leurs honoraires ou ils devront les rembourser.

Pas de vraies économies

Une lettre ouverte signée par une centaine d’éminents médecins dénonce l’effet pervers de cette réforme. D’autant plus que les abus sont rares. L’organisation humanitaire remet en effet en cause l’étude sur laquelle le ministre appuie sa réforme. « Ce rapport parle de 12 cas, soit 6% du nombre de dossiers analysés: on peut difficilement considérer qu’il s’agit d’abus massif – rien n’a été trouvé concernant les autres 188 cas », estime Médecins du monde. Selon l’organisation, ce médecin-conseil a en outre utilisé une définition restrictive de l’AMU pour analyser les dossiers, biaisant ainsi les résultats.

Médecins du monde remet aussi en question une autre motivation de la réforme, à savoir la réalisation d’économies. « À l’heure actuelle, le budget de l’AMU représente 0,2% des coûts de l’Assurance Maladie Invalidité, pour un public qui représente environ 1% de la population sur le territoire belge. Par ailleurs, le coût individuel moyen pour les bénéficiaires AMU est de 24,5% plus bas que dans la population belge ‘normalement’ assurée », selon Médecins du monde.

Dilemme impossible

« Les médecins sont souvent déjà hésitants, et s’il y a un risque financier, cela ne va pas s’améliorer », explique Alexis Andries de Médecins du Monde. « Le diagnostic du médecin sera influencé par le fait qu’il court le risque de devoir payer les coûts de sa poche » selon l’association des médecins dans De Morgen. Selon Domus Medica, une association qui défend les intérêts des médecins généralistes, cette réforme propose aux médecins un « dilemme impossible et cela démontre aussi une méfiance du gouvernement envers ces médecins qui essaient de protéger les droits fondamentaux de ces personnes ».

« Sous prétexte de lutter contre certains abus, elle risque de restreindre plus encore l’accès aux soins – déjà dramatique – de cette population hautement fragilisée. » Cela peut sembler abstrait, mais les conséquences seront bien réelles. Par exemple pour cette femme enceinte qui s’est vu refuser des soins médicaux au motif que sa grossesse ne pouvait être considérée comme un danger vital, et qu’elle devait dès lors se débrouiller », dénonce encore Médecins du monde.

« Cette réforme va rendre encore plus difficile le travail des médecins et des organisations qui aident les personnes en situation précaire. Seule une vraie étude avec une méthodologie validée, et non le rapport d’un seul médecin ayant utilisé une définition restrictive de l’AMU, peut servir de base à une modification législative. Au risque d’être confrontés à des situations humaines dramatiques », conclut l’organisation.

Le porte-parole du ministre Ducarme balaie cette critique de la main dans De Morgen : « Nous ne touchons pas à la définition de l’aide médicale d’urgence, et donc pas au seuil ». De plus, souligne-t-on au cabinet de Ducarme, « de nombreuses organisations du secteur ont été consultées. »

Avec Belga

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