Thierry Fiorilli

Les hoquets honteux de notre seuil de tolérance

Thierry Fiorilli Journaliste

Ça s’installe, insidieusement. Comme un virus, à effets retardateurs. Un retournement des opinions, pas forcément planifié. Auto-activé, peut-être, même. Un changement de ton, d’approches et de réactions, qui se propage. Et qui enfle.

Et donc, ces seuils de tolérance deviennent tantôt de plus en plus infimes, tantôt de plus en plus élevés. Face à cette nouvelle oscillation, on peut légitiment éprouver un sentiment au mieux de malaise, au pire d’effarement. Parce qu’elle n’augure rien de très encourageant sur l’évolution de la nature humaine à laquelle on assiste.

Ainsi, et concrètement, pour une frange toujours plus large de l’opinion, apparaît-il, tout ce qui a trait « à l’étranger » est forcément suspect : leur présence, leur nombre, leur origine, les causes qui les ont poussés à l’exil, leur religion, leurs manières. Rien n’est acceptable, tout est discutable. Les événements de Cologne, le 31 décembre dernier, tels qu’initialement présentés, n’ont rien arrangé. Au vu de l’ampleur des agressions sexuelles commises durant la nuit de la Saint-Sylvestre, dans les rues de la ville allemande, sans la moindre tentative de discrétion, ils ont gonflé les rangs des convaincus que les immigrés, les Maghrébins et musulmans en tête, sont d’office une menace. L’épisode de la piscine de Coxyde – soudain interdite pour les migrants, par décision du bourgmestre, après « des attouchements » sur un mineur, puis à nouveau accessible à tous parce que les gestes n’étaient en fait que de secours, pour éviter la noyade – a illustré magistralement cette propension à condamner avant même d’avoir procédé à la plus élémentaire vérification des faits. En substance, le séquençage à l’oeuvre est le suivant : en septembre, on s’affole devant le nombre d’hommes fuyant la guerre et débarquant chez nous ; en novembre, les attentats de Paris confortent celles et ceux qui ne voient parmi ces milliers et ces milliers de migrants que terroristes, cachés ou en puissance ; en janvier, on a la preuve qu’en plus, ils s’attaquent à nos femmes et sont des prédateurs pour nos enfants. Tous. Par nature.

u003cstrongu003eLe seuil de tolérance diminuant toujours en défaveur des étrangers et des femmes confirme notre retour en arrière consternant. u003c/strongu003e

Résultat, flagrant : le seuil de tolérance face à l’allochtone flirte avec le zéro. Et c’est dit et assumé sans vergogne, à visage découvert, de plus en plus haut et fort.

A l’inverse, mais dans le même timing, et avec pareil aplomb, surgissent de plus en plus d’attitudes et d’argumentaires tendant à justifier la résurgence d’un sexisme qu’on croyait définitivement carbonisé. Ou à lui trouver des circonstances atténuantes. Ainsi, voilà que la notion-même de viol est à nouveau soumise à discussion. A nuances… Jusque selon un juge (gantois, en l’occurrence), un « non » pourrait à vrai dire signifier un « oui », parfois. Il faudrait aussi prendre en compte plus souvent la dimension « séduction ». Autrement dit, on en revient, en 2016, en Belgique, à considérer que, les filles et les femmes devraient davantage faire attention à leurs propres attitudes ; qu’elles l’ont peut-être quand même un peu chercher, ce viol ; donc, que c’est n’est pas un viol ; donc, qu’elles ne sont pas des victimes ; dès lors, que l’homme n’est pas toujours coupable. Presque par principe.

Bref, face au tout-pouvoir et aux tous-droits masculins, le seuil de tolérance grimpe, là, subitement très haut. Très vite.

Un marqueur supplémentaire du retour en arrière, ahurissant, de notre société. Toujours plus tranchée. Toujours moins éclairée. Et semblant s’en réjouir. Puisque c’est elle qui a la main sur les interrupteurs.

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