Manifestation du FDF dans les rues de Bruxelles en février 1967. © Belga

Les coulisses secrètes de la rupture MR – FDF

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les procès-verbaux inédits des bureaux du FDF, dévoilés en marge d’un livre consacré aux cinquante ans du parti, témoignent de l’animosité qui régnait dès le début à l’égard de la fédération avec le MR. Plus d’une fois, la rupture a été évoquée. Le Vif-L’Express a pu consulter ces archives exceptionnelles.

A l’heure où le MR prend les rênes du pays à la tête de la Suédoise, le FDF fête ses cinquante ans d’existence, autonome, gouvernant la Région bruxelloise avec le PS et le CDH. Il fut un temps, pourtant, où MR et FDF s’étaient fédérés pour défendre la cause francophone. Le mariage, scellé en 1993 par Jean Gol et Antoinette Spaak, a duré dix-huit ans, mais il fut loin d’être une partie de plaisir. C’est ce que confirment et révèlent par moments les procès-verbaux des bureaux du FDF, dévoilés en marge d’un livre consacré à l’histoire du FDF, coordonné par l’historien de l’UCL Vincent Dujardin (1).

Dès la genèse de la fédération PRL-FDF, en 1993, des dents grincent au sein du parti communautaire bruxellois. Certains, dont le père fondateur Lucien Outers, étaient plus partisans d’une fédération avec le PSC (actuel CDH). Lors du bureau fondateur de l’alliance, l’actuel ministre bruxellois Didier Gosuin admet qu’il éprouve des difficultés à cette perspective, « en tant qu’homme de gauche », mais il se dit prêt à prendre le risque, ayant constaté que le PRL était peut-être le mieux à même de l’aider à défendre la cause francophone. Bernard Clerfayt, fils du président de l’époque Georges Clerfayt et actuel bourgmestre de Schaerbeek, ne cache pas ses réticences: il croit que « les militants ne suivront pas et que la structure du parti en sortira fragilisée ».

En 2002, la fédération PRL-FDF-MCC, qui a accueilli depuis en son sein le mouvement créé par l’ancien président du PSC Gérard Deprez, change de nom pour devenir le Mouvement réformateur (MR) actuel. Il y a pourtant de l’eau dans le gaz. Un an avant, le FDF a déjà fait des siennes en se prononçant vivement contre la 5e réforme de l’Etat, les accords du Lambermont ou de la Saint-Polycarpe. « Un poste de ministre est proposé à Olivier Maingain (devenu président du parti), mais cela n’est pas de nature à influencer sa détermination », précise un PV de bureau. En 2004, la fronde trouve une autre cible: lors d’un bureau de parti, certains attaquent violemment le président de l’époque, Daniel Ducarme, accusé d’avoir contribué à la défaite électorale parce qu’il a « oublié de pays ses impôts », une référence à ses démêlées avec le fisc.

A partir de 2007, les tensions sont régulières dans un contexte politique houleux, avec les négociations de l’Orange bleue, les tentatives avortées de réformes de l’Etat et les crises à répétition. Les procès-verbaux sont éloquents à cet égard.

Le 18 juin 2007, déjà, le FDF s’inquiète de l’attitude de son partenaire libéral, alors que le jeu politique reste flou après les élections: « Il ne faut pas perdre de vue qu’au sein du MR la perspective de l’attrait du pouvoir est prioritaire par rapport au refus d’avancées en matière institutionnelle », lit-on. Trois mois plus tard, l’inquiétude croit, mais la modération l’emporte tandis que Didier Reynders mène sa mission d’information: « Sur le plan tactique, il ne faut pas encore s’exprimer publiquement sur la constitution d’une fédération Wallonie-Bruxelles en cas de scission. … Le FDF ne peut apparaître comme le responsable de l’échec des négociations : pour cette raison, notre discours doit rester mesuré et constructif. » L’élargissement de la Région bruxelloise est le leitmotiv du FDF face aux exigences flamandes, mais le MR est partagé sur la question, Gérard Deprez et Louis Michel y étant défavorables.

En décembre 2007, le FDF est exaspéré par l’attitude du MR qui a répondu positivement à une question du formateur, Yves Leterme (CD&V), au sujet d’une éventuelle régionalisation partielle de l’impôt sur les sociétés. Il est décidé de publier un communiqué de presse pour s’en inquiéter. « Philosophie : il s’agit de gérer notre communication : ne pas apparaître comme étant les « casseurs » de la négociation et obliger le MR à répondre à notre communiqué ; se reprofiler comme étant le parti de Bruxelles dans la perspective des élections régionales ; il s’agit également de ne pas « charger » le CDH, cette tactique n’étant assurément pas payante. » Or, le MR ne cesse de charger le CDH…

Le temps passe, tendu, mais en mars 2008, un gouvernement Leterme Ier s’apprête finalement à voir le jour. Nouvelle source de tension: le MR ne prévoit qu’un secrétaire d’Etat pour Olivier Chastel. La rupture n’est pas loin. « Le FDF refuse de devoir être sacrifié au niveau de la présence au Gouvernement au motif que le NVA n’y est pas représenté », lit-on dans un PV du bureau du 24 mars 2008. « Source du problème : déclarations télévisées de D Reynders annonçant que le MR n’aurait qu’un seul secrétariat d’Etat pour O Chastel. Le président a donc exigé qu’un secrétaire d’Etat FDF soit désigné ; dans le contraire, cela constitue une gifle pour les francophones, car le FDF a remporté les élections. Dans l’hypothèse où le parti ne serait pas représenté au gouvernement, le président postule la méfiance au Gouvernement, ce qui signifie la rupture avec le MR. » Ironie de l’histoire: Bernard Clerfayt, l’un des opposants de la première heure à la fédération avec les libéraux, deviendra secrétaire d’Etat.

Dans les premiers mois du gouvernement Leterme, le FDF salue « l’extrême correction de Didier Reynders » au sujet de la revendication d’un élargissement de la région bruxelloise. Une tension récurrente concerne toutefois l’attitude jugée trop positive du MR à l’égard de l’Open VLD, « qui n’est pas bonne pour notre électorat ». En septembre 2008, une mise au point est demandée à Didier Reynders.

Le 2 février 2009, nouvelle pomme de discorde et nouvelle rupture annoncée: le FDF s’oppose avec virulence à la tentation du MR d’intégrer Rudy Aernoudt, furtif fondateur d’un mouvement nommé Lidé. Constat: « Il est par inacceptable que Rudy Aernoudt compare le FDF à la NVA. Il est patent que les relations entre le MR et le FDF vont actuellement dans le sens d’un effilochage. » Il est question d’un « risque de rupture idéologique » en raison du programme très droitier de Rudy Aernoudt. Le FDF finira par s’abstenir au moment du ralliement individuel de Rudy Aernoudt au MR et pense sortir renforcé de l’aventure.

La suite est toutefois corsée. L’opération de déstabilisation du groupe Renaissance de Charles Michel à l’égard du président Didier Reynders, la « volonté manifeste de plaire » à l’égard de la N-VA, les critiques à l’encontre du poids trop important du FDF au sein du MR à Bruxelles ou encore le déblocage institutionnel progressif termine de creuser le fossé entre le MR et le FDF. Le divorce sera consommé à l’issue d’une réunion, le 4 septembre 2011, entre Olivier Maingain, Elio Di Rupo et Charles Michel au cours de laquelle les présidents du MR et du ¨PS tentent de convaincre le président du FDF, qui a été écarté de la négociation institutionnelle, que la sixième réforme de l’Etat a des vertus. Lors du bureau scellant la rupture, le 19 septembre 2011, Didier Gosuin affirme que le MR s’est écart de l’acte fondateur de la fédération. L’élargissement de la Région bruxelloise est mort avec la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde. Ainsi en est-il également d’une alliance politique qui aura duré dix-huit ans.

« 1964-2014. FDF, 50 ans d’engagement politique », éd. racine, 520 pp, 29,95 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire