© capture d'écran:take eat easy

Les coulisses contestables de Take Eat Easy

Le Vif

Avec le développement de la start-up belge Take Eat Easy, le métier de coursier sur deux roues a le vent en poupe. Mais derrière la façade écologique et branchée que l’entreprise tente de véhiculer, se cachent des conditions de travail précaires.

Le modèle Take Eat Easy fait recette. C’est sans doute la start-up belge qui s’est le mieux exportée en 2015. En une année, la jeune société bruxelloise a réussi à lever 16 millions d’euros auprès d’investisseurs étrangers. Après Bruxelles, Paris, Lyon, Bordeaux et Lille, elle tente à présent l’aventure à Madrid, Londres et Berlin. Ecologique et rapide, c’est l’argument de vente de l’entreprise de livraison de plats choisis dans la carte de différents restaurants : 28 minutes en moyenne entre la commande passée par le client via l’application sur son téléphone et l’arrivée du repas. Répartis à différents points stratégiques de la ville, les coursiers rayonnent sur une distance de 4 km. En théorie. L’algorithme développé par Take Eat Easy fait le reste. Les livraisons sont gérées par informatique, avant d’être confirmées au coursier et au client via l’application. Ce dernier peut suivre sa commande, géolocalisée en permanence, en temps réel.

Coursier à vélo, un métier en pleine expansion ? Du côté des patrons, on confirme. En un an, le nombre aurait doublé dans les rues de Bruxelles. « Pour vous donner une idée, ce soir, sur la route, ils seront plus de 70. Il y a un an, ils devaient être une vingtaine », affirme Karim Slaoui, l’un des quatre fondateurs de la start-up.

Chez SMart (l’association professionnelle des métiers de la création), on connaît bien le phénomène. La plupart des coursiers passent par cette coopérative (la plus grande d’Europe) pour leurs contrats de travail et leurs cotisations. Mais en quelques mois, le phénomène a pris de l’ampleur. Au point qu’aujourd’hui, SMart s’inquiète du développement de ces plateformes qui joueraient sur la fibre sportive et « verte » de certains amoureux du vélo mais les exploiteraient sous couvert de leur garantir une flexibilité maximale.

La formule garantit aux coursiers, en théorie, deux livraisons par heure. Au prix de 8,5 euros la course, le calcul est vite fait. Et le résultat pas terrible. Il faut avoir de la chance et des mollets pour dépasser le salaire minimum. S’ajoutent les bonus : quelques euros en plus quand l’attente est vraiment trop longue ou si la livraison dépasse 4 km ou si le temps est trop mauvais. Sur le mois de décembre, l’application de l’un des livreurs que nous avons suivis a comptabilisé 122 courses pour un salaire de 1 100 euros bruts. Si on retire les impôts, les taxes, les cotisations sociales et la commission que prend SMart, il lui reste un revenu net de 550 euros pour cinq soirées de travail par semaine, avec des prestations le week-end.

Assurances et équipement sont à charge du coursier. Take Eat Easy aurait envisagé à ses débuts d’assurer elle-même ses coursiers avant de rétropédaler. « Le risque est que les coursiers soient considérés comme des employés et non comme des travailleurs indépendants. Ce qui n’est pas du tout notre modèle. » Pour la même raison, la société aurait renoncé à équiper ses coursiers. A l’exception du téléphone et du sac de livraison, pour lesquels le travailleur doit s’acquitter d’une caution directement déduite de ses premiers salaires : 75 euros pour le téléphone et 100 euros pour le sac.

Poursuivre l’aventure avec Take Eat Easy ? Smart dit oui mais pas à n’importe quel prix. L’association prépare une convention-cadre dans laquelle des plateformes comme celles du livreur bruxellois s’engageraient à respecter des conditions de travail décentes. Et notamment un salaire horaire minimum avec un montant de base garanti pour la soirée. « Les coursiers seraient rémunérés pour l’ensemble de leurs prestations y compris les temps d’attente ou de mise en disponibilité et pas uniquement le temps passé sur le vélo. » Ce texte imposerait aussi des exigences en matière d’assurances, de formation ainsi qu’un équipement de base à fournir.

Le dossier, dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– les témoignages de coursiers

– le « modèle Uber »

– la défense de Take Eat Easy

– les séances d’information

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