Carte blanche

Les citoyens de « seconde zone » de Bruxelles

En Région Bruxelles capitale, un habitant sur trois est un citoyen de  » seconde zone « . Ce n’est pas acceptable pour la capitale de l’Union européenne ! Saisissons la chance de la réforme démocratique et de gouvernance à venir.

« Cela ne peut plus durer. Il faut changer la gouvernance« , « le besoin de renouvellement« , « il faut faire en sorte qu’un maximum de personnes participe à la démocratie ». Ces derniers temps, avec la multiplication des scandales en Belgique (Kazakhgate…), mais aussi en Régions wallonne et bruxelloise (Publifin, Samusocial…), où tous les grands partis traditionnels francophones semblent impliqués, la question de la réforme des entités fédérées est plus que jamais au coeur de l’actualité. Et il semble que ce soit en Région Bruxelles capitale, la plus récente des trois Régions, qu’elle soit la plus vive.

Les propositions se succèdent pour voir la fameuse lasagne institutionnelle se transformer, avec notamment une rationalisation des niveaux de pouvoir et, à Bruxelles, une possible refonte des 19 communes aux compétences très variées, accompagnées d’un nombre d’élus souvent pléthorique, et d’administrations tout aussi nombreuses et pas toujours efficaces.

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Cela étant dit, sur ce petit territoire de seulement 161 km² pour 1.180.500 habitants, on connait une spécificité presque unique au monde. Outre que la Région Bruxelles capitale soit le territoire le plus cosmopolite du monde après Dubaï – selon l’Office Mondial des Migrations, avec plus de 62% de Bruxellois qui ne sont pas nés dans l’une des 19 communes -, encore plus surprenant, en Région de Bruxelles-Capitale, plus de 35% des habitants ne sont pas belges, soit 411.075 personnes. Pour cette petite ville quatre fois capitale, pourtant si petite à l’échelle globale, la présence de ce tiers de non nationaux est exceptionnelle. Sur ce tiers d’habitants non belges, les ressortissants des pays de l’Union européenne constituent de loin le principal groupe de nationalité étrangère à Bruxelles. Ensemble, ils représentaient 273.255 personnes au 1er janvier 2016, soit près de 7 habitants bruxellois étrangers sur 10.

D’ailleurs, entre 2005 et 2016, les pays de l’Union européenne représentent à eux seuls plus de 60% de l’augmentation de la population à Bruxelles, témoignant donc d’une tendance lourde et régulière pour la dernière décennie qui voit les migrations intra-communautaires augmenter et toucher en premier lieu la ville-région Bruxelles. Tendance que rien ne semble infirmer pour les années à venir. Ce chiffre remarquable devrait donc continuer à croître significativement.

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Dans tout cela, il est surprenant de voir que ce tiers d’habitants de cette ville-région ne peut pas s’exprimer ni prendre part à la vie politique de son espace de vie. En effet, du fait du morcellement administratif unique en Europe de cette ville-région, les résidents européens comme non européens ne peuvent voter qu’à « l’échelle communale ». Soit à l’échelle de l’une des 19 communes de cette ville-région, dont la plus petite d’entre elles, Saint-Josse-Ten-Noode, ne fait qu’un peu plus d’un kilomètre carré ! Alors qu’ailleurs en Europe, à Londres, Manchester, Amsterdam, Paris, Lyon ou Madrid, quand les résidents européens votent ils s’expriment à l’échelle de la ville et non pas seulement à l’échelle d’une commune, d’un district, d’un arrondissement ou d’un quartier… Cette singularité bruxelloise l’est tout autant à l’intérieur même de la Belgique, dont les deux autres régions ne sont pas qu’une ville, mais un territoire dont le maillage territorial correspond bien aux réalités des bassins de vie. Ainsi, à Anvers, ville de 500.000 habitants, les Européens peuvent voter à l’échelle de la ville. On se demande dès lors, si la ville-région de Bruxelles ne devrait-elle pas être traitée par exemple la ville de Paris, qui est à la fois une ville et un département ? Autrement dit, aller vers une fusion des communes de la région ou, plus simplement, en donnant le droit de vote aux non-Belges bruxellois aux élections régionales.

Pour la méthode, nous proposons pragmatiquement d’inclure en premier lieu dès les élections de 2019, les électeurs européens, car ils sont plus nombreux (7 sur 10 de ces 35% de non belges en RBC), mais aussi parce que Bruxelles est la capitale de l’Europe. Cette même Europe qui a offert en 1992 par le Traité de Maastricht, avec la citoyenneté européenne, le droit de vote aux élections locales. Puis l’idée pourrait être avancée d’aller progressivement vers le vote des non européens à l’échelle de 5 ans en 2024, pour la prochaine mandature.

Certains répondront qu’il s’agit là d’une question institutionnelle qui concerne avant tout le fédéral et non pas les entités fédérées francophones. À ceux-là nous répondrons que l’enjeu vaut la chandelle d’impliquer le fédéral dans l’affaire afin d’assurer une meilleure légitimité démocratique aux autorités bruxelloises en élargissant le corps électoral et en y ajoutant donc un tiers de votant en plus. Ceci permettrait aussi de « faire monter » de nouveaux enjeux sur l’agenda politiques, moins communautaires par exemple et plus intrinsèquement bruxello-bruxellois. Cela permettrait aussi de lutter contre ce cas assez unique et préoccupant de « gap démocratique« . Par ailleurs, ne revient-il pas au niveau de pouvoir garant de l’avenir de la Belgique de s’assurer que l’ensemble de ses résidents, belges ou non, puissent s’y réaliser pleinement ? Nous rappellerons aussi que plusieurs membres éminents du parti du Premier ministre Charles Michel s’expriment depuis des années pour une telle inclusion du vote des Européens au niveau régional à Bruxelles. Il en est d’ailleurs de même pour des personnalités de premier plan du Parti socialiste francophone – le nouveau bourgmestre de Bruxelles-Ville Philippe Close ou Laurette Onkelinx -, mais aussi pour les représentants des autres formations francophones, notoirement la famille Ecolo dont la citoyenneté de résidence est dans l’ADN de l’écologie politique.

D’autres objecteront concernant ce tiers de résidents : « ils n’ont qu’à devenir belges !« . Mais alors donc, pourquoi ne le font-ils pas, en particulier ces 273.000 Européens ? Certainement parce qu’aujourd’hui ces derniers n’ont pas d’intérêt à se lancer dans un long et lourd processus de changement ou d’adoption d’une autre nationalité quand ils s’installent dans un autre pays que leur pays de naissance en Europe. Sans compter que certaines nationalités européennes ne permettent pas l’ajout d’une double nationalité. Qu’on le veuille ou non, c’est un des effets du processus d’intégration européenne qui offre d’année en année plus de droits aux citoyens européens, et notamment celui de bouger et vivre librement à travers l’espace de l’Union européenne, dont la devise est «  la diversité dans l’unité  » et dont la ville-Région bruxelloise est la capitale. Et réalisons bien que, bon gré mal gré, les enfants de ces familles européennes suivent le chemin de leurs parents, gardant leur(s) nationalité(s) héritée(s) sans adopter la nationalité de leur pays d’accueil.

Certains rappelleront que les taux de participation aux élections locales à Bruxelles sont catastrophiques, et ils auront raison ! Aux dernières élections communales de 2012 seulement 11,5% de résidents européens s’étaient déplacés pour voter alors qu’un peu plus de 12,4% de non européens l’avaient fait de leur côté. Sans rentrer dans des tentatives de compréhension ou d’explication de ces chiffres alarmants, on se contentera de répondre que la baisse tendancielle des taux de participation aux élections est une permanence qui touche l’ensemble de nos vieilles démocraties. Et ce en particulier quand elles concernent des niveaux de pouvoir ou des droits récemment institués, telles les élections européennes ou l’accès au vote aux élections locales dans un pays de résidence. Et puis ces chiffres démontrent surtout le travail qui reste à réaliser auprès de ces Bruxellois qui se disent réticents à s’inscrire par peur – certes exagérée et quelques fois malhonnête – des amendes encourues dans le cadre du vote obligatoire.

Alors oui, 100 fois oui, soyons ambitieux et visionnaires à l’échelle d’une génération pour notre ville-région qui, il y a un peu plus d’un an, connaissait la pire tragédie de sa courte histoire. Épreuve au cours de laquelle elle a vu ses propres enfants, pour la plupart vivant dans les quartiers les plus pauvres de la ville, se faire exploser dans son métro à quelques stations de là où ils ont grandi. Avec ces multiples crises, il est certainement temps de tout faire pour que l’ensemble de ses résidents – son tiers de Belges de naissance, son tiers de néo-Belges et son tiers de non-Belges qui ne le seront jamais -, se sentent et se voient comme des citoyens à part entière. Ce d’autant qu’en accédant à une telle avancée démocratique, cela aboutirait à la pleine réalisation de la libre circulation des personnes dans l’espace européen, pierre angulaire de la citoyenneté de l’Union européenne.

Mais, puisque les droits s’accompagnent aussi de devoirs, ce nouveau droit unique dans l’Union européenne pour une élection régionale devrait logiquement s’accompagner de nouveaux devoirs, particulièrement en ce qui concerne l’assiette de l’impôt. Ou dans la ligne du fameux slogan des révolutionnaires américains : « no taxation without representation« , « pas d’imposition sans représentation« , il pourrait être envisagé de revoir le système de répartition de la ponction à la source des employés des institutions européennes, travaillant et vivant sur Bruxelles. Cela afin que cette ville-région capte une part plus juste des impôts des employés des institutions dont le régime fiscal est spécifique et pas à l’égal des imposés du système belge. Partager la vie d’une communauté et attendre qu’elle prenne en compte nos avis, souhaits et rêves, c’est aussi devoir y contribuer. La solidarité est une valeur qui repose sur le partage et l’engagement mutuel de toutes les parties.

En tous les cas, entrer dans un tel débat aujourd’hui permettrait certainement de travailler à la vitalité de notre projet de société bruxelloise à sa vraie échelle, à l’échelle des 19 communes ensemble. Ouvrons les portes de notre démocratie et visons à véritablement inclure l’ensemble des Bruxellois sans distinctions dans ce grand projet de refonte de notre Région !

Brussels, sel, Elle est belle, elle She’s a lady A dirty beauty…

Arno « Brussels »

Bertrand Wert

Docteur en sciences politiques

Conseiller communal ECOLO à Ixelles et employés des institutions européennes

https://www.bertrandwert.eu

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