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Le Samusocial hors de contrôle

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

A qui profitent donc les 60 000 euros de jetons de présence versés, en 2016, aux administrateurs du Samusocial ? En refusant de détailler la note, l’asbl alimente une opacité peu cohérente avec son action auprès des sans-abri.

Ils vous diront que la cause est noble, que le travail ne manque pas, que les mandats d’une asbl sont privés, et les faits leur donnent raison. Ils vous diront aussi qu’il n’y a aucun abus ni excès, que chaque jeton de présence est justifié, et vous devrez les croire sur parole, parce qu’ils estiment que cela ne regarde qu’eux. Même quand les montants interpellent. Tel est l’étrange paradoxe qui sous-tend le Samusocial, le principal interlocuteur bruxellois dans l’aide d’urgence aux personnes sans abri : très loquace sur son action de terrain, muet sur les rémunérations de ses administrateurs. D’ailleurs, son responsable communication n’est « pas habilité à répondre aux questions qui ne sont pas d’ordre opérationnel ». D’ailleurs, dans les remarques qu’il nous a fait parvenir, le président du conseil d’administration, Michel Degueldre, seul habilité à répondre à ces questions de transparence, a éludé celles du Vif/L’Express, envoyées par écrit.

Alain Maron, député Ecolo, dénonce l’opacité du Samusocial.

Depuis plusieurs années, le député Ecolo Alain Maron dénonce l’opacité de cette structure créée en 1999, avec l’appui du CPAS de Bruxelles-Ville, et phagocytée par le Parti socialiste. Il critique en outre la mainmise systématique du Samusocial sur les subsides publics du secteur, au détriment, selon lui, d’approches plus structurelles. En 2016, l’asbl a ainsi capté 9,6 millions d’euros dans l’enveloppe de 17 millions dédiée à l’aide aux personnes sans abri. Soit 56 % du budget disponible. C’est une priorité politique. Consacrée jusqu’en 2019, au moins, par un contrat de gestion liant le Samusocial et la Commission communautaire commune (Cocom) de la Région de Bruxelles-Capitale. Et portée conjointement par les ministres en charge de l’Aide aux personnes, Céline Fremault (CDH) et Pascal Smet (SP.A).

Mais la défiance vient de prendre une autre tournure, dans la lignée d’une polémique de 2013. A l’époque, la socialiste Pascale Peraita avait quitté la direction du Samusocial, peu de temps après des révélations sur son salaire jugé excessif – 197 705 euros brut par an. Cette fois, les griefs portent sur le montant des jetons de présence octroyés aux membres du conseil d’administration et du bureau de l’asbl : 56 000 euros en 2015 et 59 920 euros en 2016, comme l’a récemment confirmé Céline Fremault, à la suite d’une question écrite d’Alain Maron.

Une seule réunion du CA en 2016

D’où provient cette somme ? A qui profite-t-elle ? Interrogé par la RTBF le 8 mai, Michel Degueldre a affirmé que « pas un centime d’argent public ne sert à payer les membres du CA ou du bureau », sans pour autant détailler le calcul de ces rémunérations. « Il ne m’appartient pas de vous communiquer des détails qui ressortent exclusivement de la sphère privée des administrateurs », maintient-il. Or, en l’absence de telles informations, l’équation paraît insoluble. Michel Degueldre confirme que le montant correspondant à un jeton de présence s’élève à 140 euros brut par séance prestée au conseil d’administration ou au bureau. A bonne source, Le Vif/L’Express a par ailleurs appris que le conseil d’administration ne s’est réuni qu’une seule fois en 2016. Outre Michel Degueldre, celui-ci est composé de six mandataires PS ou étiquetés PS : l’administratrice déléguée Pascale Peraita (toujours elle), aujourd’hui présidente du CPAS de Bruxelles-Ville, Valérie Vierset, sa cheffe de cabinet, Yvan Mayeur, bourgmestre de Bruxelles, Christian Beozière, président du CPAS d’Evere, Isabelle Küntziger, directrice de l’école d’administration publique Wallonie-Bruxelles, et l’administrateur démissionnaire Jean Spinette, président du CPAS de Saint-Gilles.

Etonnamment, aucune information ne filtre sur la composition du bureau du Samusocial. Seule certitude : cette assemblée restreinte se réunit bien plus fréquemment que le conseil d’administration. De leur côté, les trois directeurs de l’asbl ne sont pas censés percevoir de jetons de présence. En partant de l’hypothèse de 24 réunions annuelles du bureau, composé de trois membres rémunérés de la sorte, le montant des dépenses totales s’élèverait à 11 060 euros pour 2016. Soit 10 080 euros pour le bureau et 980 euros pour le conseil d’administration. Rien ne permet d’expliquer le gouffre qui sépare ce calcul des 60 000 euros de jetons de présence effectivement versés l’année dernière. « Le budget prévoit certainement une marge pour des rémunérations particulières au profit d’un ou plusieurs administrateurs », en conclut Alain Maron. Dont Pascale Peraita ? Avant son arrivée dans le conseil d’administration, en 2014, les comptes de l’asbl ne faisaient état d’aucune dépense en jetons de présence…

Outre leur montant, ces émoluments interpellent pour trois raisons. D’abord parce qu’il est rare qu’une asbl à vocation humanitaire et sociale octroient des jetons de présence. « A ma connaissance, dans les autres associations du secteur, les administrateurs siègent à titre gratuit », poursuit Alain Maron. Ensuite parce que tous les administrateurs du Samusocial bénéficient par ailleurs d’une rémunération dans le cadre des autres mandats qu’ils exercent. Enfin, le statut d’asbl confère à ces mandats un caractère privé, ce qui leur permet d’échapper au plafond prévu dans l’ordonnance du 12 janvier 2006 sur la transparence des rémunérations et avantages des mandataires publics bruxellois.

Des jetons avec les dons ?

Un tiers des montants versés par les donateurs et destinés aux sans-abris vont-ils aux administrateurs ?

En précisant à la RTBF que l’argent des jetons de présence provenait des fonds propres de l’asbl, et non des subsides publics, Michel Degueldre soulève indirectement une hypothèse d’autant plus dérangeante, selon Ecolo. Le Samusocial utiliserait-il un tiers des montants versés par ses donateurs pour rémunérer ses administrateurs ? D’après les derniers comptes déposés à la Banque nationale de Belgique (ceux de 2015), les produits d’exploitation de l’asbl proviennent exclusivement de deux lignes budgétaires : d’une part les subsides en tout genre, pour un montant global de 11,9 millions d’euros en 2015, et d’autre part 183 477 euros de dons. Faute d’accès à la comptabilité analytique, la question ne trouve, là encore, aucune réponse.

L’actuel contrat de gestion conclu entre l’asbl et la Cocom, la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale, compétente dans les domaines de l’aide aux personnes et de la santé, porte uniquement sur « l’accueil d’urgence des sans-abri et sa coordination pendant la période hivernale ». De ce fait, le texte cadenasse le contrôle des commissaires du collège réuni de la Cocom aux seules réunions portant sur ces points précis.

Michel Degueldre n’aura répondu à aucune des questions précises du Vif/L’Express. Face à l’opacité persistante du Samusocial, Ecolo exige pour sa part que l’octroi des subsides futurs soit conditionné à une obligation de transparence et de pluralisme dans la gestion de l’asbl. Si le politique ose renverser un modèle obscur qu’il a (trop) longtemps toléré…

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