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Le risque de mourir sur la route déterminé par notre classe sociale

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le risque de mourir d’un accident de la route serait davantage lié à notre condition sociale qu’à notre comportement individuel. Un constat qui a de quoi bousculer les idées reçues et les promoteurs de campagnes de sensibilisation.

Lors des campagnes de prévention, les organismes nationaux de sécurité routière mettent l’accent sur le comportement individuel des conducteurs : ne pas boire, attacher sa ceinture, respecter les limitations de vitesse, etc.

Or, selon une analyse statistique du Monde diplomatique, les risques de mourir d’un accident de la route seraient davantage déterminés par notre classe sociale. Le mensuel constate que pour la première fois depuis les débuts des campagnes de sensibilisation (en 1972), la courbe des tués sur la route est repartie à la hausse en 2014 et 2015. Et les premiers chiffres de 2016 tendent à confirmer cette tendance.

En Belgique, le même constat peut être fait sur base des chiffres de l’Institut belge pour la Sécurité routière (IBSR). Entre 2014 et 2015, on constate une augmentation de 4,7 % des tués sur place. Si l’on compare les différentes régions du pays, le nombre de morts diminue uniquement en Flandre (-4 %), tandis qu’il augmente en Wallonie (+14,6 %) et encore plus à Bruxelles (+23,5 %). Des chiffres interpellants, même si les premiers chiffres de 2016 semblent repartir à la baisse.

En étudiant les statistiques françaises, Le Monde diplomatique a constaté des disparités entre les différentes classes sociales. Ainsi, les ouvriers sont surreprésentés parmi les tués sur la route. Alors qu’ils ne représentent que 13,8 % de la population française de plus de 15 ans, 22,1 % des tués et 19 % des blessés sur les routes en 2007 étaient des ouvriers. À l’inverse, les cadres supérieurs, professions libérales et chefs d’entreprise (8,4 % de la population) ne totalisaient que 2,9 % des morts et blessés.

Le constat est le même lorsque l’on se concentre sur les jeunes, principales victimes des routes. Au total, 38 % des accidentés morts avaient moins de 30 ans, mais dans le groupe des ouvriers ils étaient 50 %. Selon le mensuel, cela s’expliquerait par le fait que le groupe des ouvriers serait de loin le plus jeune.

Cela ne signifie pas pour autant que les cadres supérieurs et les professions libérales soient plus prudents au volant. De manière générale, les ouvriers ont tendance à se tuer seul sans impliquer un tiers et ce, davantage que le reste de la population.

Corrélation directe entre la richesse des inculpés et leur sentiment d’omnipotence dans l’espace public

À l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures ont tendance à être surreprésentés lors des comparutions pour homicide routier, tandis que les ouvriers sont sous-représentés. Les personnes aisées possèdent des voitures mieux équipées en airbags, systèmes de freinage performant, habitacle résistant, etc. Ces conducteurs sont donc plus susceptibles de survivre à un accident mortel et du coup de devenir justiciable.

« Plusieurs juges (…) établissent d’eux-mêmes une corrélation directe entre la richesse des inculpés, la puissance de leurs voitures et leur sentiment d’omnipotence dans l’espace public, qui les amène parfois à négliger les usagers plus vulnérables, petites voitures, piétons, cyclistes, etc. », affirme Le Monde diplomatique.

La disparité sociale des morts sur la route s’expliquerait aussi par les conditions de vies de la classe populaire. Ainsi, le nombre de morts sur les routes pourrait en partie être expliqué par l’étalement des villes.

En France, près de 80 % des accidents mortels ont lieu sur des routes de campagne. Or, vu l’augmentation de l’immobilier dans les centres urbains, la classe populaire est obligée de se loger toujours plus loin des bassins d’emploi.

En Wallonie, on constate également une grande disparité entre les différentes provinces. Entre 2014 et 2015, l’IBSR a enregistré une hausse de 24 % du nombre de tués sur place dans la province du Luxembourg (rurale) et une hausse de 20 % dans le Hainaut (bassin industriel). Dans une moindre mesure, la province de Liège accuse une augmentation de 5 % de victimes. Inversement, on constate une diminution dans le Brabant wallon (-4 %) et dans la province de Namur (-8 %).

En 2007, 28 % des ouvriers et 31 % des employés morts sur la route ont eu un accident sur le chemin du travail, alors que ce trajet n’est en cause que dans 16 % du total des décès. En France, les catégories populaires sont plus nombreuses à emprunter les routes secondaires (plus dangereuses), tandis que les classes élevées roulent surtout en villes et sur les autoroutes (payantes), mais plus sûres. En Belgique, les autoroutes étant gratuites, la situation est difficilement comparable.

« L’accident résulte donc de l’inégale exposition aux dangers de la vie, qui rend les plus démunis particulièrement vulnérables », conclut Le Monde diplomatique. « Le caractère juvénile et populaire de la mortalité routière en dit long sur la crise vécue par les jeunes ruraux issus des familles ouvrières. […]La précarisation et la paupérisation des couches populaires raccourcissent l’horizon temporel et accentuent l’impératif de profiter de la vie tant qu’on le peut, l’avenir n’étant pas ou plus assuré ; dès lors, elles ne peuvent qu’accroître le risque de mourir sur la route. »

Voilà donc matière à réflexion pour les promoteurs de campagnes de sensibilisation à la sécurité routière qui ciblent plus volontiers les citadins, les familles, les conducteurs en costumes chic, etc. que les célibataires précaires vivant en zone rurale, pourtant prêts à prendre beaucoup plus de risque que la moyenne.

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