Vincent Gilles, président du SPLF Police. © Colin Delfosse pour Le Vif/L'Express

Le retour de la police unique

 » Les collègues souhaitent une police unique  » : Vincent Gilles, président du SLFP Police, inaugure l’année avec des positions fortes. En 2017, la commission d’enquête parlementaire sur les attentats va-t-elle amener une nouvelle réforme des services de police ?

En 2010, le syndicat libéral SLFP Police captait 10 700 des 50 000 membres du personnel de la police. A la fin du premier mandat de Vincent Gilles et Vincent Houssin, en 2016, ce chiffre avait bondi jusqu’à 22 300 personnes, soit la représentation de quasiment la moitié du secteur.  » Vincent et moi  » : la formule est magique car elle marche dans les deux sens. Le président et le vice-président du SLFP Police se partagent la francophonie et la Flandre mais ils forment un duo de choc dans les négociations sur la base d’une stratégie approuvée par 500 délégués. Leur mandat a été reconduit pour six ans.

Des rumeurs de régionalisation circulent depuis quelque temps à la police fédérale. Info ou intox ?

La première fois que j’en ai entendu parler, c’était en 2004 et cela venait du ministre wallon des Affaires intérieures, Philippe Courard (PS), mandaté par son président de parti. Le monde politique réagit à un traumatisme en cherchant la belle et grande idée, et il semble qu’il puisse y avoir une nouvelle réforme des services de police puisque la commission d’enquête parlementaire arrive à la conclusion qu’il y a eu des défaillances. Nous avons compris, Vincent et moi, que la N-VA veut réformer la police sur la base de  » bassins de vie  » ou  » terroirs  » plutôt que sur la base de régions linguistiquement et légalement déterminées. Pourquoi pas ? On peut parfaitement concevoir une structure nationale réellement implantée dans de vrais bassins de vie. Le problème est qu’en dehors du Limbourg, où des zones de police locale ont déjà fusionné, personne n’est intéressé.

Avant les attentats, on ne parlait que d' » optimaliser  » la police fédérale. Où en est-on aujourd’hui ?

Les hommes politiques ont perdu de vue cette réforme qui devait rendre la police fédérale plus cohérente. Il y a encore eu une lutte des chefs, comme lors de la grande réforme de 1998-2000. Ma conclusion est qu’il n’y a plus de grands commis de l’Etat. Quoi qu’il en soit, l’optimalisation n’est pas une réussite. La question demeure toujours des services centraux. On a trouvé une solution à la belge qui ne satisfait ni les tenants d’un maximum de capacité en province ni les partisans d’un service général spécialisé fort. Dans un premier temps, Madame Milquet (NDLR : ex-ministre de l’Intérieur) avait opté pour la centralisation avant de se raviser sous l’influence d’un entourage d’anciens péjistes qui souhaitaient des services provinciaux hyperforts, dans un schéma de police criminelle parallèle à la police générale tel que leur syndicat le voyait en 2000. A l’époque, nous étions dans un front commun syndical et nous défendions aussi cette idée.

Qu’est-ce qui vous a poussé à en changer ?

Le budget de la police ayant fondu depuis six ans, nous ne sommes pas loin de penser qu’un schéma envisageable serait une police unique. Travailler avec moins d’argent, cela veut obligatoirement dire raccourcir les lignes de commandement pour qu’un maximum de collègues soient sur le terrain.

N’est-ce pas le projet auquel travaille déjà Willy Bruggeman, l’expert  » police  » de la commission d’enquête parlementaire ?

En effet, il soutient l’idée d’une police qu’on peut qualifier d’unique dans le langage courant. Connaissant Bruggeman, je suis convaincu que c’est un démocrate profond. L’homme aura prévu des éléments garantissant la démocratie et la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Comme en 1998-2000, la question sera de savoir s’ils sont suffisants.

Des sociétés privées de consultance défilent au cabinet du ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) alors que la commission d’enquête n’a pas encore remis ses conclusions. Que se mijote-t-il là-bas ?

Jan Jambon mise sur plusieurs chevaux. A Bruggeman, par exemple, il aurait confié la restructuration de la police fédérale et à un opérateur privé l’ameublement de cette nouvelle structure. Quand vous voyez ce que les consultants privés montrent en PowerPoint, vous comprenez qu’ils essaient tout simplement de mettre au point un logiciel utilisable par tous les policiers au même moment. Je ne vois pas de contradiction entre le choix de Bruggeman pour la nouvelle structure policière et d’un opérateur privé pour les flux de communication. Jambon a besoin de marquer des points sur des éléments d’idéologie. Quels sont-ils ? Que la police coûte le moins cher possible et qu’elle rende le meilleur service. Quand le 22 décembre 2015, il vend ses 18 mesures de core business ou missions essentielles, il veut faire la démonstration que ça bouge. Pourtant, la seule mesure qui pourrait émerger est la Direction de protection et de sécurité, DAB, selon l’acronyme néerlandais. Elle serait constituée de presque 1 700 équivalents temps plein, natifs essentiellement du corps de sécurité  » justice « , de militaires et d’une quarantaine de personnes faisant des contrôles de sécurité sur le tarmac de Zaventem. Jambon a tenté de négocier avec nous à la mi-juin, ça a été le clash. On a boycotté toutes les négociations suivantes parce que nous voulons qu’il y ait au moins un aspect positif pour les policiers.

La suppression du comité P est-elle au programme ?

Oui, c’est très probablement l’un des enjeux des deux prochaines années. Certains jugent le comité P superfétatoire. Il a été créé pour satisfaire les parlementaires qui jugeaient que le ministre de l’Intérieur seul avec son Inspection générale des polices était potentiellement dangereux pour la démocratie. Les deux entités ont subsisté en parallèle. Certaines personnes raisonnables proposent de les fusionner. Un contrôle, c’est nécessaire, mais deux, c’est un luxe qu’on ne peut plus se permettre, surtout avec le train de vie qui est celui des comités de contrôle.

Cet organe de contrôle a pointé des dysfonctionnements bien réels dans la lutte contre le terrorisme.

On en revient au premier rapport du comité P contre la DR3, la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale de Bruxelles. J’ai eu l’occasion de le lire sous surveillance. C’est bardé de fautes en matière de respect des règles essentielles de gestion de l’information. On s’appuie sans recul sur le témoignage d’une seule personne pour faire passer une critique de la DR3.

Il n’en demeure pas moins que, pendant plusieurs mois, il y a eu une totale inactivité de ce service par rapport à une alerte sur les frères Abdeslam.

La non-exploitation est peut-être un fait avéré mais le contexte apporte des réponses sans qu’il eût fallu tirer à boulets rouges sur tout le travail de la DR3. C’est ça, la maladresse du comité P. En outre, il faut constater que depuis trois ans, des rapports du comité P sont donnés à la lecture ou diffusés vers la presse avant d’être présentés aux députés de la commission de suivi, tout cela sans réaction des députés en question. Et ce circuit passe par certains membres du comitéP, un élu N-VA et quelques titres de journaux, toujours les mêmes.

Le gouvernement ne pourra pas se contenter de fusionner quelques polices ou services. Quel changement faut-il apporter, selon vous, à l’organisation policière ?

On est en droit de s’interroger sur la pertinence de la philosophie policière du community policing. Constatons-le : hors quelques zones de police qui, soit en ont les moyens, soit sont dirigées par un chef de corps totalement imprégné de cette philosophie et qui y met les moyens, le travail de quartier, c’est du pipeau. L’état de Molenbeek au moment des faits est identique à celui de beaucoup d’autres zones urbaines. Il n’est pas dû uniquement au laisser-aller des édiles politiques, à l’incompétence ou à la loyauté servile de chefs de corps, non, c’est simplement que la police n’a pas les moyens d’assurer le travail de proximité.

Que propose votre organisation syndicale ?

Que la structure policière se développe sur deux axes : un bien meilleur service policier à la population et de meilleures conditions de travail pour le personnel. Plus ils seront confortables dans leur action journalière, plus les policiers rendront un bon service à la population. La question de la structure policière est posée depuis l’aube de notre second mandat. On a proposé une position. Depuis six mois, ce qui ressort de nos discussions à différents niveaux, c’est que les collègues souhaitent une police unique. Ce n’est pas le retour de la vieille gendarmerie. Parmi les demandeurs, il y avait peut-être des nostalgiques mais aussi des natifs de la police communale et même de la PJ. Ils penchent pour cette revendication parce que la structure actuelle ne fonctionne pas.

Exit le pilier judiciaire distinct au sein de la police fédérale ? La fusion de la police administrative et judiciaire, comme le souhaite Jan Jambon ?

C’est Madame Milquet et ses boys qui avaient imaginé cette structure de pilier judiciaire, alors que les concepteurs du projet  » optimalisation « , Willy Bruggeman et Catherine De Bolle, l’envisageaient tout autrement, d’où une grosse fâcherie entre le cabinet Milquet et la commissaire générale en février 2012. Je venais de passer dix ans en PJ nouveau modèle et je me suis rendu compte que le schéma d’une police criminelle extérieure à la police générale était une erreur. C’est se couper de tout et créer des jalousies. Chaque fois qu’on débarque quelque part, on est considéré comme des extraterrestres qui viennent manger dans l’assiette des gens et qui s’en vont quand l’assiette est vide. Pas bon, tout ça, pas bon ! Il faut vraiment que tous les policiers soient proches les uns des autres dans le cadre de leur travail. Maintenant, on n’évacuera jamais le petit fond de jalousie que cultive tout policier. Il faut aussi que la population comprenne que notre boulot, ce n’est pas zéro défaut. Six attentats évités cette année, je dis alléluia. La DR3 a peut-être des défauts et, vu de l’extérieur, une attitude d’Etat dans l’Etat, mais laissons-les bien travailler, ces gens ! Combien de personnes ont-ils neutralisées depuis neuf mois ? Six fois dix ?

Dans l’affaire du signalement raté d’Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de l’aéroport de Bruxelles National, Sébastien Joris a failli devenir le bouc émissaire. Votre réaction ?

Deux heures après la sortie de Jan Jambon accusant notre officier de liaison à Istanbul Joris d’avoir manqué de proactivité, nous disions que c’était inacceptable. Pour lui avoir parlé le lendemain, je sais que Sébastien Joris a été profondément choqué. Il me téléphonait pour nous remercier d’avoir été les premiers à prendre sa défense. J’ai entendu un homme sûr de lui, sûr des actes qu’il avait posés. J’ai fait sa connaissance dans les années 2005 quand il était directeur des opérations à la police fédérale de Neufchâteau. Je travaillais à Marche, on n’arrêtait pas de collaborer. Sortant de l’Ecole royale militaire, il savait construire une opération. Rien n’était laissé au hasard. Lui plus que d’autres. C’était une horlogerie suisse. Lorsque je l’ai à l’appareil, il a cette conviction intime, totale, du sans-faute et, même, d’avoir fait plus qu’il ne le devait. Rappelons quand même que le gaillard est dans ses grands congés et qu’il est à l’étranger, en contact périodique avec son unique collaboratrice qui recensait ce qu’elle avait trouvé au courrier. En l’occurrence, on parle d’un document qui arrive vendredi fin d’après-midi, qu’elle traite le lundi matin en lui donnant un coup de fil. Il lui dit de faire remonter l’information vers Bruxelles avec telle et telle question et d’en poser d’autres à la partie turque. Voilà ce qu’il me dit au téléphone. Il se voyait démissionné d’office. Quand un ministre s’exprime comme Jambon l’a fait, c’est qu’il estime avoir une forêt de bois à brûler…

Comment expliquez-vous cette faute du ministre ?

Jambon et Francken sont des idéologues. Ils réagissent au quart de tour quand ça touche à l’idée. Jambon s’est dit qu’il s’agissait d’une erreur humaine et que la seule personne qui ait pu la commettre était la source de l’information. Son entourage a pu l’entretenir dans cette idée. En effet, un membre de son cabinet pouvait être intéressé par un poste d’officier de liaison qui venait d’être attribué à un autre policier. L’incident allait permettre de geler cette affectation.

En clair, l’officier de liaison désigné pour New York, Eddy Greif, était aussi le responsable du service DGJSOC où l’information sur Ibrahim El Bakraoui a traîné. Dans ces conditions, il ne pouvait pas être envoyé à New York. Le ministre de l’Intérieur l’a envoyé à Rabat, où il a doublonné pendant trois mois avec Patrick Zanders, un policier en fin de carrière. Juste ?

Ce qui s’est passé avec Sébastien Joris ne serait que le fruit d’intérêts privés. Maintenant, le ministre est allé fort loin, que ce soit volontairement ou involontairement. Je ne vois pas comment il peut faire marche arrière.

Lors de la réunion insolite au cabinet Jambon à laquelle a participé Bart De Wever, la commissaire générale Catherine De Bolle a-t-elle laissé tomber son officier de liaison à Istanbul ?

Peut-être a-t-elle été estomaquée par la sortie du ministre de l’Intérieur. Elle avait le devoir de douter. Je lui donne un temps de latence légitime de vingt-quatre heures. Si elle était sortie plus vite, elle se serait montrée aussi imbécile que Jambon. Mon homologue, Vincent Houssin, lui a parlé le lendemain ou le surlendemain de mon propre contact avec Sébastien Joris. Elle soutenait notre sortie en sa faveur.

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