Claude Demelenne

Le PS survivra-t-il jusqu’en l’an 2020 ?

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Le PS d’Elio Di Rupo traverse une crise existentielle. Une issue fatale est possible. Les prochaines élections pourraient envoyer à la casse la grosse machine socialiste. Pour au moins dix raisons.

En toile de fond, il y a certes le scandale Publifin, mais surtout le reflux historique de presque tous les partis socialistes ou sociaux-démocrates en Europe. Certains d’entre eux – en Grèce, aux Pays-Bas, demain peut-être en France – sont tombés sous la barre des 10 %. D’autres – en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne… – font pâle figure et ne voient pas le bout du tunnel. Le PS de Di Rupo est donc tout sauf une exception. Les causes de son mal-être sont multiples, ce qui ne simplifie pas la tâche des dirigeants socialistes, à 18 mois des élections communales.

1. Un social-libéralisme pas très sexy. Depuis l’époque des Blair, Schroder & Co, la conversion au social-libéralisme est la règle chez les gestionnaires de gauche. Au menu : dérégulation et privatisation de pans entiers de l’économie, protection sociale plus light, inégalités dopées. La gauche de gouvernement s’est amollie. Elle n’est plus conquérante. Le PS francophone est arc-bouté sur la défense vaille que vaille des acquis du siècle précédent. Une ligne pas très sexy – et trop peu socialiste – qui tourmente le peuple de gauche.

  • 2. La grande misère des partis-frères. Un temps, le PS de Di Rupo a limité les dégâts. Il a sauvegardé l’essentiel du modèle social belge. Puis, le parti socialiste « le plus à gauche du continent » (dixit Di Rupo) a approuvé des compromis de centre-droit. Il a visé notamment les sans-emplois, de plus en plus « activés » – lisez « harcelés » – et privés d’allocations. De longue date, les partis-frères (le pire fut le SPD allemand) ont mis la pression sur les plus faibles, sommés de devenir des « travailleurs pauvres ». Isolé, le PS a cédé, agitant le totem de « la seule politique possible ».
  • 3. Du Macron avant Macron. Dans le système proportionnel belge, le PS est condamné à gérer avec le centre et/ou la droite. Dans ces peu évidentes coalitions, les socialistes francophones occupent des positions toujours inconfortables. La faiblesse abyssale du socialisme flamand les fragilise encore davantage. Obligés de composer avec les élus d’une des régions les plus à droite d’Europe – la Flandre – le PS a fait du Macron avant Macron, dans des gouvernements ni à droite, ni à gauche. Au risque de perdre son âme.
  • 4. Le pouvoir, drogue dure. Indéboulonnable au gouvernement fédéral pendant un quart de siècle (un record européen), le PS dirige la plupart des grandes villes et des provinces wallonnes depuis des décennies. La gestion a évincé le débat d’idées. Les technocrates ont pris le pas sur les penseurs. La drogue dure du pouvoir a façonné la génération Di Rupo. Celle-ci est-elle usée ? Déstabilisée, à tout le moins, quand le pouvoir, inexorablement, lui glisse entre les doigts.
  • 5. Bourgeoisie « rouge » décomplexée. La permanence du PS au pouvoir a favorisé l’émergence, en son sein, d’une bourgeoisie sans limite éthique ni boussole idéologique. Le trio Moreau-Gilles-Mathot l’illustre jusqu’à la caricature : ces socialistes-là sont totalement décomplexés par rapport à l’argent, les (très) hautes rémunérations, les montages fiscaux… Sans gêne, ils dopent les inégalités : Moreau accorde généreusement à ses salariés une prime de Noël de 35 euros, mais se réserve un bonus de plusieurs centaines de milliers d’euros. L’électeur socialiste se sent mal… et va voir ailleurs.
  • 6. L’autonomie des Fédérations, un boulet. Séduisante en théorie pour éviter les écueils du centralisme, la large autonomie des « Fédés » socialistes pose problème quand celles-ci en profitent pour monter leurs petites combines à l’abri des regards indiscrets. Certains potentats locaux ont ainsi davantage de pouvoir – et gagnent beaucoup plus d’argent – que le patron du Boulevard de l’Empereur. Les exemples de Charleroi hier, Liège aujourd’hui, l’attestent : le « chacun chez soi » des Fédérations est un boulet au pied des rénovateurs socialistes.
  • 7. Fin du monopole à gauche. Longtemps, le PS a eu le monopole de la représentation de la gauche au parlement. En fait, un quasi-monopole : Écolo a parfois marché sur les plates-bandes socialistes, mais sans jamais sortir totalement de l’ambiguïté du « ni gauche, ni droite ». Le PTB, c’est autre chose. Les militants de ce parti partagent les mêmes codes que ceux du PS, chantent l’Internationale, agitent les drapeaux rouges, font des meetings le 1er mai. ; Pas habitué à être concurrencé sur sa gauche, le PS vit mal le boom de ce concurrent qui séduit une part croissante de sa base populaire.
  • 8. La gauche radicale la plus habile d’Europe. Le PTB est un OVNI dans le paysage de la gauche radicale européenne. Celle-ci est souvent fractionnée en chapelles (à la présidentielle française, deux candidats trotskystes se font concurrence) et vouée aux chamailleries internes (Podemos, en Espagne). Le PTB réussit à rassembler presque toutes les forces à gauche du PS. Grâce à un cocktail combinant travail de terrain (dans les usines, aux piquets de grève, dans ses maisons médicales…), rénovation programmatique ( abandon des références maoïstes, ouverture à l’écologie, soutien au mouvement LGBT…), insistance sur l’éthique de gauche (les élus PTB vivent avec un salaire d’ouvrier) et communication très professionnelle. On apprécie ou pas le PTB. Force est de constater qu’il n’est pas le parti du seul Raoul… et qu’il a tout pour durer face au PS.
  • 9. Où sont les ouvriers ? Le dernier ouvrier qui a joué un rôle au PS est… Gaston Onkelinx, le père de Laurette. Une anomalie pour un parti censé défendre le peuple dans toutes ses composantes. Ici aussi, le PTB chatouille le PS : les deux élus ptbistes au parlement wallon sont, l’un ouvrier sidérurgiste, l’autre, chauffagiste. La rénovation du PS passe par une place accrue pour la base ouvrière au sens large. C’est tout sauf gagné d’avance.
  • 10. Utopie, non merci. Les gestionnaires socialistes ont rangé l’utopie au placard. Ils fustigent les « doux rêveurs » qui, sur leur gauche, mobilisent autour de slogans « utopistes » et « populistes » (dénoncer les Traités européens néo-libéraux, diminuer le temps de travail, faire payer les riches…). Le procès en irréalisme adressé par le PS à la gauche radicale est un procès trop expéditif. Le PS oublie que son ancêtre, le Parti Ouvrier Belge (POB), était lui aussi traité de « démagogique » quand il militait pour le suffrage universel, la semaine de 40 heures, les congés payés… toutes revendications paraissant, à l’époque, aussi peu raisonnables que celles du PTB aujourd’hui. À l’origine, toutes les grandes revendications populaires semblaient utopiques. Les socialistes « pragmatiques » l’oublient trop souvent.

Le PS a longtemps mieux résisté que ses partis-frères à l’atonie de la social-démocratie. Épuisée, celle-ci ne fait plus rêver. Un peu partout en Europe, elle est devenue une redoutable machine à perdre. À l’horizon 2020, le PS n’évitera le plongeon électoral que s’il change son double rapport à l’argent et à l’utopie. Tout est lié. C’est parce qu’ils sont devenus des libéraux « socialistes » sans utopie que certains apparatchiks du PS trouvent normal d’accumuler des rémunérations indécentes. Sans aggiornamento éthique et idéologique, les électeurs de gauche trouveront normal, à leur tour, de sanctionner sèchement ce PS-là. Il survivra certes jusqu’en l’an 2020, mais plus comme parti dominant. Et sans garantie de pouvoir enrayer la spirale négative qui a marginalisé certains de ses partis-frères européens.

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