Benoît Hamon, Yvan Mayeur et Elio Di Rupo sont sur un bateau. Les deux premiers sont déjà tombés à l'eau. © Bert Van Den Broucke/PHOTO NEWS

Le PS, parti pour mourir ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ebranlé par les scandales, rongé par des tourments internes, fracassé par la concurrence du PTB, le Parti socialiste traverse une crise existentielle d’une ampleur inédite. Au point de bientôt disparaître, comme ses frères français et néerlandais ?

Partout où porte encore son regard fatigué, le capitaine ne voit plus que des flots déchaînés. Au nord, les camarades du PVDA ont coulé sous les polders. Au midi, le PS français n’est même plus un rafiot, c’est une épave. Les socialistes d’outre-Quiévrain sont, au premier tour des législatives, retombés à un niveau encore inférieur à celui du pire résultat de leur histoire, en… 1906.  » L’avenir le plus probable du PS semble être de vivoter en tant que force d’appoint au coeur d’un système partisan transformé, à moins de se dissoudre dans une ou plusieurs formations politiques plus larges « , écrivait, lundi 12 juin dans Mediapart, Fabien Escalona sur cet inédit naufrage. Collaborateur scientifique du Cevipol de l’ULB, Fabien Escalona appliquait au PS français la grille de lecture de Charles S. Mack, un politiste américain qui a étudié trois cas classiques de disparition de grands partis de gouvernement : les Whigs américains au xixe siècle, les libéraux britanniques au début du xxe siècle, et les progressistes conservateurs du Canada dans les années 1990. Charles Mack dégage deux critères déterminants pour enterrer un parti : primo, des dirigeants défaillants, en décalage avec leur base et les évolutions sociologiques ; secundo, l’existence de concurrents proches idéologiquement et  » pas trop usés par l’exercice du pouvoir « . C’est alors que le noyau vital de la formation est atteint, et qu’il n’y a plus rien à faire. Entre les renoncements de François Hollande et les entreprises d’Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, on a vite fait de caser la Vieille Maison érigée par Jaurès dans les dimensions de ce cercueil.

90 000 adhérents au PS : aujourd'hui ils sont résignés, révoltés ou... partis.
90 000 adhérents au PS : aujourd’hui ils sont résignés, révoltés ou… partis.© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

Le PS belge, qui traverserait la pire crise existentielle de sa vieille histoire si le regrettable Henri De Man n’avait, dans l’ignominie de la collaboration, dissous le POB en juin 1940, entrera-t-il bientôt, comme ses voisins du nord et du sud, dans le redouté palmarès de Charles Mack ? Voyons voir.

Le décalage des dirigeants

Il y a ceux qui se sont compromis dans l’argent, qu’ils en aient touché trop, qu’il n’ait pas correspondu à des prestations ou qu’ils aient trop laissé faire les uns et les autres. Il y a ceux qui se sont compromis dans les compromissions avec la droite, avec le capitalisme, avec le pouvoir. Et il y a ceux qui sont compromis tout court. Aujourd’hui, de la base au sommet et d’est en ouest, le Parti socialiste est traversé par deux mouvements telluriques.

D’est en ouest, d’abord, les rivalités interrégionales, qui recoupent pour partie des tensions interpersonnelles, ont accentué l’impact des récents scandales, tous très localisés : les Carolos et les Bruxellois, entre autres, reprochent aux Liégeois et à la direction nationale d’avoir été trop tendres avec les Liégeois sur Publifin, tandis que les Bruxellois et les Liégeois, entre autres, reprochent aux Carolos et à la direction nationale d’avoir été trop tendres avec les Carolos sur l’ISPPC, et que les Liégeois et les Carolos, entre autres, reprochent aux Bruxellois et à la direction nationale d’avoir été trop tendres avec les Bruxellois sur le Samusocial. Pour légitimes qu’ils fussent, ces reproches minent l’unité du parti, et donnent encore plus de résonance à des comportements bien assez répréhensibles pour se suffire à eux-mêmes, pour ce qui concerne leur publicité.

De bas en haut, ensuite, les militants se partagent entre résignés, très peu nombreux et taiseux, révoltés, plus nombreux et plus bruyants, et déserteurs, encore plus nombreux mais beaucoup plus silencieux. On a entendu les indignés s’indigner et, sur la question du décumul notamment, les jeunes du parti sont toujours plus vindicatifs. Mardi 13 juin, le président du Mouvement des jeunes socialistes, le Carolorégien Maxime Felon, lançait dans La DH un ultimatum à sa direction nationale : soit le décumul intégral et immédiat, soit la guerre… avant de se faire désavouer par son conseil d’administration. Un rang plus haut dans le cursus honorum socialiste, une strate de cadres intermédiaires estime ces mesures à la fois trop violentes et contre-productives. Leur portrait- robot : un parlementaire, plutôt fédéral, ni jeune ni vieux – quadra ou quinqua -, également mandataire local, plutôt d’une commune petite ou moyenne, et dont les perspectives ministérielles sont objectivement bouchées. Ceux-ci estiment que leur cumul est une force pour le parti, dès lors qu’il lui garantit une assise locale et un socle électoral, tandis que les premiers assurent que leur profil même rebute l’opinion. Encore un rang plus haut, le sommet du parti est divisé sur le sujet, prétexte à de déchirantes querelles personnelles. Laurette Onkelinx, solidement affaiblie par le scandale du Samusocial, s’est ainsi rapprochée de Paul Magnette, sur un thème qui ne semblait pourtant pas jusqu’à naguère leur être si cher, alors qu’Elio Di Rupo, personnellement concerné comme bourgmestre de Mons, député fédéral et président de parti, a récemment tendu la main à des parlementaires qui n’avaient auparavant guère attiré sa sympathie.  » Elio sait que des élus locaux sur les listes fédérales et régionales peuvent atténuer une défaite électorale, et il connaît aussi leur importance dans les structures du parti, au bureau, dans les fédérations ou dans un congrès « , nous explique un député pourtant favorable au décumul intégral. Les jeunes, conséquemment, s’éloignent du président, au profit de Paul Magnette, de la sortie de Maxime Felon au  » Elio Di Rupo doit partir maintenant « , lancé dans L’Avenir de ce mardi 13 juin, par Thibaud Smolders, 30 ans, échevin d’Awans et qui aurait pu, à quelques voix près, présider la fédération liégeoise du PS.

En résumé : la direction du PS n’est peut-être pas décalée, mais elle est en tout cas déchirée. Ça n’aide jamais à coller à une réalité sociologique, encore moins en période trouble.

La concurrence idéologique

Car les scandales et les cafouillages du Boulevard de l’Empereur ne seraient rien s’il n’y avait pas le PTB. Celui-ci correspond point par point à l’idéal type du nouveau parti dessiné pour en remplacer un ancien. Entre PS et PTB en effet, les connexions programmatiques sont aussi importantes (impôt sur la fortune, réduction du temps de travail) que la prétention au renouvellement est inversement crédible. Quel crédit encore donner à des costumes trois pièces dans des voitures avec chauffeur face à la concurrence de preux moines soldats aux pieds nus ? Quelle fraîcheur un parti au pouvoir partout ou presque depuis toujours peut-il afficher face à une formation qui ne l’a jamais exercé nulle part ? La réponse à ces questions laisse peu de place à l’incertitude : fin mars dernier, un sondage commandé par la RTBF plaçait le PTB devant le PS, et Paul Magnette lui-même ne trouvait pas la défaite surprenante.  » Cela ne m’a pas tellement heurté. Je m’y attendais. J’avais dit en bureau de parti : un jour, on sera à 20-20, et peut-être même à 25-15. C’est évident qu’on allait se prendre une gamelle lors de ce sondage-là. Tous les jours, on ne parlait que de Publifin dans les journaux télévisés « , explique-t-il dans une longue interview à lire dans le nouveau magazine Wilfried.

Très à gauche, mais sans concurrence dans l'opposition à la droite, Jeremy Corbyn a sauvé le vieux Labour. Un exemple ?
Très à gauche, mais sans concurrence dans l’opposition à la droite, Jeremy Corbyn a sauvé le vieux Labour. Un exemple ?© Christopher Furlong/Getty Images

Personne ne l’aurait imaginé il y a deux ans encore, mais le combat du scrutin de 2019 pourrait, pour le PS, ne pas même porter sur la place de premier parti francophone, mais bien sur celle de premier parti de gauche francophone. Certes, la N-VA comme le MR ont beau jeu de ricaner sur un PS en voie de radicalisation  » parce qu’à la remorque du PTB « . Mais au Boulevard de l’Empereur, malgré les tensions et les rancoeurs, chacun s’accorde sur un constat : les derniers résultats électoraux, en Europe, ont montré le parti du marxisant Jeremy Corbyn en bien meilleure santé – il compte désormais 800 000 membres – que les formations des libéralisants François Hollande et Lodewijk Asscher. Sauf que le premier, lui, n’a pas dû affronter la concurrence de socialistes au coeur plus pur ni l’oxydation du pouvoir.

Un noyau atteint

 » Afin de rester un grand parti de gouvernement, écrit encore Fabien Escalona, il faut disposer d’un coeur d’électeurs fidèles en toute occasion, et que ce coeur soit d’une taille suffisante pour rester « concurrentiel », même en cas de défaite « . Or, ce socle socialiste n’a eu de cesse, ces dernières décennies, de s’effriter. Ses militants sont encore 90 000 officiellement – contre 10 000 pour le PTB. Mais ils sont de moins en moins nombreux et de moins en moins actifs : la plupart des sections et des USC sont, hors campagne électorale, entre le sommeil et la mort. La force, proverbiale en Belgique, de l’encadrement socialiste,  » du berceau à la tombe « , s’est atténuée au rythme syncopé des destructions des maisons du peuple, des faillites de journaux, des fermetures de coopératives… et du succès des maisons médicales du PTB. Le lancement de groupes d’achat d’énergie ou de fournitures scolaires, engagé l’été dernier par le PS, doit renouer avec cette logique. Le pilier de l’action commune, sur lequel s’appuie encore le PS, n’a plus la même densité : le gros million de syndiqués de la FGTB ne vote plus systématiquement pour le PS, et leur proportion est importante, mais encore plus faible, parmi le million et demi d’affiliés de Solidaris.

Parce que la société a changé, et que les communautés, y compris politiques, ont faibli face à l’individualisme consumériste. Et aussi parce que certains secteurs du pilier sont eux aussi tentés par la concurrence. A la base de la FGTB, beaucoup de syndicalistes, dans la métallurgie ou les services publics particulièrement, sont des sympathisants ou des militants du PTB. Le PS tente encore d’en contrôler le sommet. Avec peine, et comme on mène un combat d’arrière-garde : le vieux parti séduit peu les jeunes militants syndicaux.

Pour résumer, en appliquant à la grille de Charles Mack une métaphore maritime : au Parti socialiste dans le grain, la rouille a déjà percé de gros trous dans la coque, le bateau d’à côté est plus neuf et plus rapide, et on se bagarre dans le poste de pilotage. Mais l’orchestre continue de jouer l’Internationale.

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