Un rituel généreux qui s'invite au conseil des ministres. © Nicolas Maeterlinck/Belgaimage

Le gouvernement est aussi composé d’âmes charitables

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La coutume veut qu’ils aillent de leur poche pour alimenter une discrète cassette des gouvernements et faire oeuvre de charité. La vocation n’est pas perdue mais s’est étiolée.

On les croit peu réceptifs à la détresse humaine, mus par la logique comptable, prisonniers de l’austère devoir d’infliger des sacrifices au plus grand nombre. Faux procès. Un gouvernement, quel qu’il soit, n’est pas peuplé de coeurs de pierre mais d’âmes charitables. Que ses membres ne s’en vantent jamais ne fait qu’ajouter à la beauté du geste.

Chaque année, le rituel s’invite en séance de conseil des ministres. Le Premier ministre convie ses collègues à ouvrir leur portefeuille pour une bonne cause. Le tour de table garnissait une cagnotte baptisée  » Caisse commune de bienfaisance des membres du gouvernement « . L’acte fondateur remonte au conseil du 17 octobre 1947, sous le gouvernement Spaak III. Il est consigné que les dons personnels, seront versés sur un compte de chèques postaux.

Le pli de la générosité avait été pris dès la Libération. Les ministres culpabilisent, émus par le pénible sort de l’homme de la rue. Leurs bourses se délient : 500 francs pour la Saint-Nicolas des enfants juifs, 1 000 francs au profit des enfants de fusillés et de prisonniers politiques, etc.

Gaston Eyskens (CVP), en 1970, aboutit à un compromis sur la répartition des dons personnels des ministres.
Gaston Eyskens (CVP), en 1970, aboutit à un compromis sur la répartition des dons personnels des ministres.© Belgaimage

Formalisé, l’appel à la générosité cible les oeuvres sociales de la presse, alors très en vogue. Très vite, un bénéficiaire s’impose : vingt ans durant, le journal Le Soir et sa  » Saint-Nicolas des petits déshérités  » aura droit à 5 000 francs (8 000 à partir de 1968).

A la longue, cette sélectivité fait jaser entre ministres. Au début des années 1970, les langues se délient en séance :  » Le Soir n’a plus le caractère neutre qui était le sien au moment où on a commencé à faire des versements « ,  » son attitude à l’égard du gouvernement n’est pas de nature à encourager un geste « . Là où certains recommandent d’arrêter les frais, d’autres préconisent d’élargir le champ des largesses. A des journaux néerlandophones. Et même à une oeuvre sociale de tendance socialiste, non admise à cet élan de charité, alors que le journal Le Monde du travail frappait à la porte de la caisse de bienfaisance.

Gaston Eyskens (CVP), Premier ministre, flaire le piège à la belge :  » On risque d’aller très loin si l’on doit tenir compte, et de l’équilibre linguistique, et de l’équilibre idéologique, tout en y ajoutant une répartition géographique suffisante.  » S’ensuit le compromis : la cassette gouvernementale libérera 10 000 francs par an au profit du Soir, 5 000 en faveur du Standaard et du Laatste Nieuws et 3 000 pour Le Monde du travail. L’oeuvre royale Les invalides prévoyants complète la liste.

Sans trop bien savoir pourquoi, la Caisse de bienfaisance gouvernementale relookée en  » Fonds d’aide des membres du gouvernement  » a cessé de se porter au chevet des enfants nécessiteux à partir des années 1990. La vocation première s’est perdue mais le compte à La Poste reste ouvert et garni par bonté d’âme. De quoi offrir, au nom personnel des ministres, un cadeau lors de l’heureux événement qui touche un collègue. Ou une couronne lors des funérailles d’un prédécesseur dans la fonction. Qui fut aussi un généreux donateur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire