Michel Delwiche

Le blues des « fonctionnaires » sudistes

Michel Delwiche Journaliste

Ils sont 25.000 à être concernés par le mouvement de grève qui touche, aujourd’hui, la fonction publique wallonne et communautaire: 25.000 « fonctionnaires » qui demandent à être entendus par un gouvernement qui, selon eux, ne les écoute pas.

Les bus wallons roulent: c’est peut-être cela l’info aujourd’hui? En réalité, les chauffeurs de bus, tout comme les enseignants, ne participent pas au mouvement d’aujourd’hui qui ne touche que les agents des ministères et des OIP (Organismes d’Intérêt public, soit les para-régionaux). Le personnel du ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles peut se croiser les bras, mais ses revendications ne concernent pas les profs. Le personnel de l’enseignement à lui seul aurait d’ailleurs fait exploser le nombre, puisqu’il regroupe 130.000 équivalents temps-plein.

Par contre, les chauffeurs tout comme les enseignants seront couverts par leur syndicat s’ils désirent participer à la manifestation nationale organisée en front commun demain à Bruxelles. Mais, assure-t-on, les bus et les trains rouleront, et bien peu de profs vont sans doute bouleverser cette période d’examens.

Les revendications des « fonctionnaires » portent sur le mauvais fonctionnement selon eux de la hiérarchie de l’administration, une hiérarchie fort bousculée ces derniers temps puisque le SPW, par exemple, a connu le défilement de trois secrétaires généraux depuis le début de la législature. Le dernier de ceux-ci, en outre, est en quelque sorte intérimaire jusqu’à fin 2014. Difficile d’imprimer une ligne claire dans ces conditions.

Deuxième point: une prime de fin d’année alignée sur celle des fonctionnaires fédéraux, d’autant que des milliers d’entre eux seront appelés, dans la foulée de la régionalisation de certaines compétences (emploi, allocations familiales…) à rejoindre la fonction publique régionale.

Et surtout les « fonctionnaires » demandent une révision en profondeur de la politique d’engagements qui, dans sa forme actuelle, conduit à privilégier l’emploi contractuel, plus souple, à l’emploi statutaire. En 2012, pas moins de 96% des jeunes de moins de 30 ans (donc engagés récemment) travaillant dans les administrations wallonnes étaient des contractuels. Les statutaires sont devenus minoritaires, à peine 40% de l’emploi public wallon, en baisse constante. Dans les OIP, ce pourcentage tombe à moins de 20%. Voire même moins de 10% au Forem, à la Société wallonne de Crédit social, à l’Institut du Patrimoine, à l’Agence wallonne des Télécommunications, au Centre régional d’Aide aux Communes…

C’est énorme, et cela vide de son sens la notion même de « fonctionnaire ». Le contractuel, par définition, devrait être engagé, avec un contrat de type privé, pour faire face à une surcharge de travail momentanée, ou pour pallier temporairement un déficit de personnel statutaire. On en est loin, ce qui nuit à ce qu’on pourrait appeler « l’esprit de corps » de la fonction publique, qui a également été mis à mal par la multiplication des structures: 23 OIP et 37 autres organismes à gestion séparée en 2011, pour 12 OIP et 20 autres agences en 1995.

« D’une identité institutionnalisée stable, on est passé à une identité floue et moins consistante. Les fonctionnaires appartiennent dorénavant à une catégorie professionnelle en perte d’identité forte. » C’est le constat d’Alexandre Piraux, dans « La privatisation de l’éthique administrative », un article publié par la revue Pyramide du CERAP (Centre d’études et de Recherches en Administration publique de l’ULB).

Le redressement de la Wallonie, pourtant, devra aussi passer par des fonctionnaires (re)motivés. Et cela, le gouvernement wallon devrait l’entendre.

Les chiffres proviennent de l’IWEPS, Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, l’un des 23 OIP wallons.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire