Carte blanche

Le 4ème paquet ferroviaire, ou l’anti COP21

Mercredi 14 décembre 2016 est à noter comme un jour noir pour le climat et ses défenseurs, les usagers de transports en commun et les cheminots. Lors de sa séance plénière, le Parlement européen a formellement approuvé le 4ème paquet ferroviaire qui prévoit une libéralisation du transport de passagers par train.

Ce 4ème paquet ferroviaire prévoit que l’attribution du service de transport de passagers sur le réseau intérieur devra être organisé par appel d’offres. Concrètement, l’Etat devra organiser la concurrence entre différentes compagnies ferroviaires qui désirent offrir leur service. Toutes les entreprises ferroviaires européennes pourront proposer des services sur les marchés ferroviaires européens de voyageurs dès le 14 décembre 2020. Cela deviendra la procédure standard (il y a une série d’exceptions) à partir de décembre 2023.

Anti-COP21

En Belgique comme dans d’autres pays, c’est l’opérateur historique (SNCB) qui est le fournisseur de service. Il n’empêche, une série de mesures ont déjà été prises en vue de préparer la libéralisation : scission entre gestionnaire de l’infrastructure (Infrabel) et transport de voyageurs (SNCB), réduction du personnel en vue d’être « compétitif », etc. Le one man car ou la volonté de la SNCB d’avoir une plus grande liberté tarifaire (en clair : pouvoir augmenter les tarifs) cadre aussi dans cette logique. Ces mesures ont déjà montré leur inefficacité : augmentation des retards, déshumanisation du rail, fermeture de gares non rentables, suppression de trains, etc. Faute d’entretien, plusieurs centaines de kilomètres de rail sont menacés.

Les dirigeants européens ont tous à la lèvre la COP21 (la conférence sur le climat qui a eu lieu à Paris) et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais c’est comme si ces mêmes dirigeants oubliaient que le train est le transport le moins polluant : jusqu’à 20 fois moins de gaz à effet de serre que la voiture. Si nous voulons sauver la planète, il n’y a pas 10.000 solutions, les Etats doivent investir et développer le rail. Or, avec la libéralisation, seules les lignes rentables resteront exploitées, les lignes moins rentables seront délaissées voire abandonnées. On n’y investira plus.

Si nous voulons sauver la planète, il n’y a pas 10.000 solutions, les Etats doivent investir et développer le rail.

La Suisse l’a montré a contrario : en investissant massivement de l’argent public, elle a ouvert ce week-end le plus long tunnel ferroviaire du monde, le Gothard Base Tunnel (GBT) : 57 km de rail à grande vitesse enfouis sous jusqu’à 2300 mètres de roches. Le GBT est prévu pour réaliser un transfert du trafic routier vers le rail. En Belgique par contre, suite aux coupes budgétaires, le RER est à l’arrêt. Les décisions de construire le RER et le GBT ont été prises pratiquement au même moment (fin des années 1990).

Libéralisation : la catastrophe dans les pays qui l’ont réalisée

Selon la Commission européenne, le 4ème paquet ferroviaire et la libéralisation permettraient de créer des emplois, de déplacer du trafic routier vers le rail, d’améliorer la qualité des services. Or, c’est exactement l’inverse qui s’est produit dans les pays qui ont libéralisé et privatisé.

Le privé investit dans le rail ? Une étude anglaise montre que les investissements sont excessivement bas, mais que la rentabilité pour les actionnaires est au contraire très élevée (147% !).

Prendre le train coûte moins cher quand il est géré par le privé ? Au contraire, les tarifs ont fortement augmenté dans les pays où le rail a été libéralisé et privatisé. En Angleterre, les tarifs ont augmenté de 27 % entre 2010 et 2015, pour un service moins bon. Alors que des tarifs attractifs sont une condition sine qua non pour attirer les usagers vers le rail.

Libéraliser le rail, c’est lui donner un second souffle ? Le volume de marchandises transportées par rail en France a baissé de 40 % depuis la libéralisation totale du fret en 2006 (selon l’Institution officiel français de statistiques INSEE). Selon Eurostat, la part du rail dans le transport de marchandises en Europe n’a pas augmenté en 10 ans de libéralisation. Le camion et l’avion ont (beaucoup plus polluant) ont la cote.

Le rail libéralisé serait plus efficace et coûterait moins cher à l’État ? En nationalisant 11 lignes au Royaume-Uni, on pourrait réaliser une économie de 856 millions d’euros entre 2015 et 2020 a montré une étude. Selon une autre, les dépenses publiques pour le rail au Royaume-Uni sont 6 fois plus élevées 20 ans après la libéralisation et la privatisation. Mais ce sont surtout les actionnaires qui se remplissent les poches (près de 200 millions de Livres de dividendes rien qu’en 2013).

Les voyageurs aiment avoir le choix et sont pour la libéralisation ? Aux Pays-Bas, une enquête montre que seulement 4 % des personnes interrogées pensent que la privatisation du rail a eu un effet positif sur les prix, 8 % sur la qualité et 10 % sur le service. Près de 6 Anglais sur 10 sont pour la renationalisation du rail.

Un recul social direct pour les travailleurs

La mise en concurrence via l’appel d’offres va aussi impliquer un dumping social. Comme on l’a vu dans les pays où le rail est déjà libéralisé, de très nombreux emplois ont été détruits. Dans les pays où le secteur ferroviaire n’est pas encore libéralisé comme en Belgique, le gouvernement et la direction préparent déjà la concurrence en supprimant des milliers d’emplois (près de 7.000 emplois en moins depuis 2004 à la SNCB). Mais le processus risque de s’accélérer, car ce ne sont pas les meilleurs compagnies qui obtiendront les appels d’offre, mais les moins chères. Donc celles qui vont notamment réduire leurs coûts salariaux.

Pire, le 4ème paquet prévoit que si un opérateur ferroviaire (une entreprise de transport) gagne un appel d’offre et prend la place d’une autre compagnie, il n’y aucune obligation de garder les travailleurs. C’est la voie ouverte à des licenciements massifs, une perte de savoir et de savoir-faire, et une manière d’expulser les travailleurs qui embêtent les directions (comme par exemple les délégués syndicaux).

PS et SPA votent pour la libéralisation

Une fois de plus, les dirigeants européens ont pu compter sur un certain soutien des socialistes. Sous la pression des syndicats, les socialistes européens (dont les eurodéputés socialistes belges) ont adopté une ligne de « moindre mal ». En effet, s’ils se sont opposés au fait que l’attribution se fasse par appel d’offres, les socialistes ont voté pour le principe de la mise en concurrence et de la libéralisation de nos transports ferroviaires nationaux. Marie Arena, Marc Tarabella et Hugues Bayet (PS), ainsi que Kathleen Van Brempt (SPA) ont donc tous les 4 voté pour la libéralisation. Pourtant, leurs confrères britanniques du Labour – qui savent à quel point la libéralisation et la privatisation peuvent mener à des catastrophes – ont voté pour le rejet.

Les partis de la majorité (NVA, VLD, CD&V et MR) ont pour leur part soutenu la procédure par appel d’offres.

Mais il n’est pas encore trop tard. Un large mouvement social et citoyen peut encore arrêter la libéralisation du rail. Et tout reste possible, car les dirigeants qui ont une foi aveugle dans le dogme du libre marché (concurrence et privatisation apporteraient plus d’efficacité, un meilleur service, moins cher, etc.) ont un problème majeur : les libéralisations et privatisations passées n’ont pas apporté les effets promis, loin de là. Le marché de l’énergie a été libéralisé et privatisé en Belgique, et cela n’a ni permis un transfert vers l’énergie renouvelable, ni fait baisser les prix. Que du contraire. La privatisation d’anciennes banques publiques (CGER, Crédit Communal) a également été une catastrophe. Et aujourd’hui, ils doivent essayer de vendre la libéralisation du rail comme étant bénéfique pour le climat, les usagers et les cheminots, alors que tout le monde a en tête l’exemple catastrophique de l’Angleterre.

Aux progressistes de ce pays maintenant de se mobiliser afin que le 4ème paquet ferroviaire ne soit pas mis en oeuvre en Belgique, ainsi que dans les autres pays européens. Il n’est pas encore trop tard.

Michaël Verbauwhede

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