Nicolas De Decker

La rentrée du petit Benoît

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Après des vacances très agitées, c’est enfin la rentrée des classes pour Benoît, 47 ans, et pour tous ses petits camarades présidents de parti. Le Vif/L’Express a tenté d’imaginer ce que seraient ses confidences, recueillies au bord du bac à sable de la cour de récréation politique.

« Aujourd’hui, c’est la rentrée. J’ai passé de très chouettes vacances. Je me suis super bien amusé avec quelques copains. Et cette année, c’est sûr, je serai le roi de la cour de récréation. Au mois de juin, j’ai décidé de changer de meilleur ami. Avant, c’était Elio, un copain qui vient d’une famille très pauvre, mais qui est dans une bande très forte, qui était mon ami. C’est la cousine Joëlle, qui habite Bruxelles, une très grande ville, qui me l’avait présenté. Je ne sais pas si je vous ai déjà parlé d’elle, elle parle toujours beaucoup, mais moi je ne l’écoute jamais. Avant, je l’aimais bien, elle aussi, mais maintenant, bon. Aujourd’hui, mon meilleur ami, c’est Olivier. Son papa, un monsieur très grand et très chauve, avec un costume bleu et des lunettes, fait un métier très important, mais il ne m’aime pas beaucoup. Quand j’ai décidé de changer de meilleur ami, tous les autres ont dit de moi que j’étais bête. J’étais bien content de changer de meilleur ami, parce que depuis que je suis tout petit, tout le monde dit que si Elio ne m’aidait pas pour faire mes devoirs et s’il ne me donnait pas une de ses tartines de choco le midi, je serais resté dans la classe des petits. Mais moi je sais que ce n’est pas vrai, et maintenant que c’est la rentrée vous allez voir. Pendant toutes ces vacances, j’ai fait croire que c’était parce qu’il était malhonnête et qu’il ne faisait rien qu’imiter Raoul que j’avais décidé qu’Elio ne serait plus mon ami. C’est un gros mensonge, mais comme il y a plein de gens qui pensent comme moi je fais comme si je pensais comme eux. Le seul problème c’est l’autre Olivier -quel prétentieux, celui-là !. Il n’arrête pas de se moquer de moi. S’il continue à se moquer de moi, je lui mettrai un coup de poing sur le nez, comme celui que j’avais mis il y a trois ans au monsieur très gros qui est devenu très mince et qui parle une langue que je ne comprends pas. Et puis, je dirai à tout le monde que lui aussi est un malhonnête qui ne fait qu’imiter Raoul, et que c’est à cause de lui qu’Elio peut encore rester dans la cour de récréation. Tant pis si ce n’est pas vrai, tant que tout le monde le croit, c’est moi qui passerai pour le plus courageux de la classe : je suis sûr que ça se verra dans le prochain bulletin que nous donnera Dedicated Research ou IPSOS. Au fait, je vous ai déjà parlé de ma classe ? Il y a plein de copains dedans.

Cette année, c’est sûr, je serai le roi de la cour de récréation

Il y a Olivier, celui dont le papa est très riche, très grand, très chauve, et avec un costume très bleu. Il ne veut jamais travailler, Olivier, et ça a l’air de l’amuser quand je lui fais ses devoirs. D’ailleurs le papa d’Olivier, qui a un travail important à Bruxelles, mais qui ne m’aime pas beaucoup parce qu’avant j’avais été méchant (j’ai grandi depuis, mais il n’a pas l’air de me croire), eh bien le papa d’Olivier a voulu que je termine vite le devoir de vacances d’Olivier, et que je lui donne mes billes, mon pistolet à eau, le petit seau et le petit ballon orange que je prenais pour aller à la plage. Alors je lui ai tout donné parce que c’est mon nouveau meilleur ami, et aussi parce que j’ai un peu peur du papa d’Olivier. Puis Olivier est parti en vacances avec ses copains et mes jouets et un petit sourire méchant, et il m’a dit de m’occuper de l’autre Olivier, qui lui aussi était en vacances, pour préparer la rentrée. Parfois, je me dis que ça les amuse, Olivier et son papa, de voir que l’autre Olivier et moi on se dispute tout le temps. On dirait qu’ils sont contents de voir que je supplie l’autre Olivier de venir jouer avec nous, et encore plus contents de voir que l’autre Olivier ne veut pas. On dirait que ça les arrange que je m’humilie après leur avoir donné mes jouets. Bon, moi, je me dis que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, et qu’après ça, dans deux ans, je pourrai aller m’amuser avec Olivier, son papa, et surtout le monsieur qui était très gros, mais qui est devenu très mince et qui parle une langue que je ne comprends pas. En tout cas Olivier et son papa me l’ont promis. Mais je ne sais pas pourquoi je ne suis pas sûr que je peux vraiment les croire.

Il y a l’autre Olivier, celui qui habite dans une grande ville, je crois que c’est Bruxelles. Avant il était toujours avec le papa de mon Olivier, mais c’est un sale prétentieux, je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit. Il ne veut pas venir rigoler avec nous, et j’ai toujours envie de lui mettre un coup de poing sur le nez, je sais que le papa d’Olivier aussi, mais moi je crois que cette année je ne vais pas le rater et tant pis s’il ne me laisse plus jouer dans sa grande ville. De toute façon, je la connais bien, cette grande ville, c’est celle de ma cousine Joelle. Je ne sais pas si je vous ai déjà parlé d’elle, elle parle tout le temps, mais que je n’écoute jamais, et je l’aimais bien quand j’étais petit, mais là, bon. On voulait jouer avec lui, un peu parce qu’il nous faisait de la peine, et un peu aussi parce qu’on avait besoin d’être trois pour jouer au jeu auquel on voulait jouer. Mais lui il ne voulait pas jouer avec nous, alors il s’est arrêté de respirer, et il a dit qu’il ne se remettrait à respirer que quand on aurait laissé nos papas nous inscrire dans des écoles où il n’y a que des blonds, et tant qu’aucun avion ne volerait au-dessus de sa maison. Alors nous on ne savait pas trop quoi faire, sauf mon nouvel ami Olivier, qui est parti en vacances avec ses copains, mes jouets, et un petit sourire méchant en me disant de me débrouiller. Parfois je me dis que ça l’amuse, l’autre Olivier, de ne pas répondre quand je l’appelle. Il le fait exprès, je le vois bien. À chaque fois que je frappe à sa porte, il ouvre, il me dit « Zut ! », puis la claque, la porte, et j’entends des grands rires derrière. Il dit qu’il veut l’union des francophones, mais moi je sais qu’il veut que je reste devant sa porte sous la pluie pour que tout le monde rigole de moi pendant que lui s’amuse avec ses copains. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je m’en fous de rester sous la pluie à attendre qu’il m’ouvre. De toute façon, j’en ai marre de Bruxelles et de la cousine Joëlle. Et puis s’il continue à pleuvoir, on pourra toujours dire que c’est sa faute à lui.

Il y a Elio, celui qui vient d’une famille très pauvre et qui a des copains très forts alors il faut le respecter. Il était le chef de la plus grande bande de l’école. Quand j’étais plus petit, il me protégeait tout le temps dans la cour de récréation, c’était mon meilleur ami d’avant, quand ma cousine Joelle (je ne sais pas si je vous ai déjà parlé d’elle), celle qui parle tout le temps, mais que je n’écoute jamais et aujourd’hui je ne l’aime plus, me l’avait présenté. Je ne sais pas pourquoi il me regarde méchamment depuis que j’ai décidé d’aller jouer sans lui avec mon nouveau copain Olivier. Je crois qu’il veut se venger, et d’ailleurs il n’arrête pas de dire oui à tout ce que demandent l’autre Olivier et Zakia et Patrick. Parfois je me dis qu’il complote eux et qu’il va rester caché avec sa petite bande là où l’autre Olivier veut bien continuer à jouer avec lui. Et j’ai un peu peur que dans deux ans, après m’avoir laissé tout seul sous la pluie, mon nouveau meilleur ami Olivier aille jouer avec eux. Mais je sais que de toute façon la bande à Elio va se faire rosser par celle de Raoul, et Elio aussi il le sait. Enfin je crois. Parce que je ne comprends pas bien pourquoi il dit qu’Olivier et moi on ne joue à rien de nouveau, et qu’on ne fait que faire le même que ce qu’ils faisaient, ses copains et lui, quand ils étaient à notre place : ça arrange bien Raoul, qui peut dire qu’Elio et nous on est les mêmes, donc ça nous arrange bien, parce que plus Raoul est gros, plus Elio est petit. Et plus Elio est petit, plus c’est Olivier et moi qui décidons. Surtout Olivier, en fait.

Il y a Zakia et Patrick, qui sont un peu comme l’autre Olivier, mais en pire, parce que Zakia est une fille et qu’à elle on ne peut pas lui mettre de coup de poing sur le nez. Ils nous ont fait croire qu’ils allaient partir avec nous en colonie, alors on a fait semblant d’être d’accord avec toutes leurs idées, mais en fait leurs idées elles étaient bêtes comme tout : tout le monde allait devoir être sérieux, et même les amis très riches du papa très riche de mon nouveau meilleur ami Olivier allaient devenir très pauvres à cause de leurs bêtises. Parfois je me dis que j’aurais dû les accepter, leurs drôles d’idées. Au fond ils ont sûrement raison, et j’aime bien dire que je suis d’accord avec eux. Mais Olivier n’aurait jamais été d’accord, lui, qu’on s’amuse sérieusement avec eux. Je vois bien qu’aujourd’hui ils ne savent plus trop quoi dire pendant qu’Olivier et moi on les traite de lâches. Et je vois bien aussi qu’ils s’en fichent, parce qu’ils se sont fait passer pour plus honnêtes que nous.

Et puis il y a Raoul, qui a un accent très drôle. C’est bizarre, mais dès que l’année s’est finie, on ne l’a plus entendu de toutes les vacances. Pourtant il est toujours le plus fort à la récréation. En foot et en bagarre, il a toujours de bonnes idées pour embêter les professeurs ou le papa très riche d’Olivier, et même une fois en cours de gymnastique il a fait un luigi à Elio (un jour je vous expliquerai ce que c’est). Mais cet été alors que tout le monde disait qu’il allait faire de la bonne gouvernance partout – et surtout moi -, lui, on ne l’a pas entendu. Il dit que c’est parce qu’il est trop pauvre et qu’il a trop de choses à faire, mais moi je ne le crois pas, parce qu’avec tous ses nouveaux copains il pourrait en faire plein, de la bonne gouvernance. En fait c’est parce que ça ne l’intéresse pas. Parfois, je me dis qu’il s’en fiche de venir jouer avec nous ou pas, et que tout ce qui compte pour lui, c’est de s’amuser à nous insulter. Mais moi, tant qu’il continue à faire peur à Elio, ça m’arrange bien. Et ça arrange mon nouvel ami Olivier et son papa. »

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