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La Justice censure la sortie du magazine belge « Médor »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Médor, magazine trimestriel d’enquêtes et de récits, devait officiellement sortir son premier numéro ce vendredi 20 novembre.

Alors que le magazine était en cours de distribution, la société Mithra Pharmaceuticals S.A. a introduit une requête unilatérale en référé visant à interdire la diffusion et la publication d’un article publié jeudi dernier par Médorsur son site internet, affirme le communiqué de presse publié sur le site du magazine.

La Justice censure la sortie du magazine belge
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Suite à cette requête, mercredi 18 novembre après-midi, le président du tribunal de première instance de Namur a interdit provisoirement à Médor« de publier et de diffuser (en ce compris de maintenir cette publication et cette diffusion) l’article « Le risque financier que Mithra n’a pas déclaré à la FSMA » et tout article ayant un contenu essentiellement similaire (…) ». Médor n’a donc pas été entendu. Une audience contradictoire en référé se tiendra mardi 24 novembre au tribunal de première instance de Namur à 14h.

Si Médor ne respectait pas l’interdiction, le magazine serait tenu de payer 12.000 euros par jour et par infraction constatée, ce qui signerait immédiatement son arrêt de mort. Cette sanction est plus sévère encore que celle (10.000€) dont Médiapart a écopé quand la diffusion des enregistrements de l’affaire Bettencourt a été interdite en France.

L’enquête de Médor porte sur la success-story wallonne Mithra, société pharmaceutique liégeoise bénéficiant d’importants subsides et aides publics. Cette investigation qui a duré plus de six mois, alimentée par des dizaines de sources et de très nombreux documents, a été menée par un journaliste chevronné et primé (David Leloup). Médor maintient avec force l’ensemble de ses informations.

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« La décision judiciaire scandaleuse qui frappe Médor est exceptionnellement rare dans les annales de la presse belge », dénonce le communiqué. « Prononcée au nom d’une soi-disant « extrême urgence et absolue nécessité », elle ne vise pas seulement l’article publié en ligne le 12 novembre et aujourd’hui retiré, mais aussi la sortie du numéro un du magazine papier en librairie ».

« Cela cause un préjudice énorme au magazine Médor, à ses collaborateurs et à la liberté de la presse. Il s’agit ni plus ni moins d’une volonté de museler un nouveau média d’investigation en Belgique« , déplore le magazine sur sa page Facebook.

L’AJP scandalisée par la censure de Médor

L’interdiction provisoire faite au magazine Médor d’être diffusé suite à une ordonnance en référé, rendue le 18/11 sur requête unilatérale de la société Mithra, scandalise l’Association des journalistes professionnels (AJP), qui a réagi via un communiqué.

« L’AJP ne peut admettre qu’un juge fasse droit à ce genre de requête qui exclut le débat contradictoire alors que sont en jeu les principes fondamentaux de la liberté de presse et du droit pour le public d’être informé sur des éléments d’intérêt général », poursuit l’Association.

Sur la base d’un article succinct diffusé sur le site de Médor, l’ordonnance interdit la parution d’une enquête complète dont le juge ignore la teneur, et elle fixe des montants d’astreinte scandaleusement élevés. Ce faisant, c’est tout le numéro 1 de ce nouveau magazine qui est censuré, mais aussi la survie même du projet qui est menacée si les astreintes devaient être payées en cas de non-respect de l’ordonnance.

L’AJP, qui a apporté son assistance juridique à l’auteur de l’enquête David Leloup, est confiante dans l’issue du débat contradictoire qui se tiendra en référé le 24 novembre. « Il n’est pas pensable qu’une firme pharmaceutique wallonne, soutenue depuis sa création par les pouvoirs publics, puisse activer à sa guise une censure de presse au terme d’une procédure expéditive jusqu’à présent très exceptionnelle dans notre pays. »

L’AJP rappelle que cette censure est contraire aux fondements de la liberté de la presse : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie » (art. 25 Constitution).

Mithra « n’a pas censuré Médor », se défend la firme

« Mithra Pharmaceuticals n’a pas censuré Médor », a réagi jeudi soir la firme liégeoise.

L’article contesté par Mithra « portait des accusations extrêmement graves et inexactes », conduisant le jour-même, soit jeudi dernier, l’entreprise à mettre Médor et l’auteur de l’article en demeure de le retirer du site internet où il avait été publié.

Le lendemain, le magazine a déclaré maintenir l’information sur son site internet, affirme Mithra qui assure avoir réitéré sa demande le 16 novembre. « Cette seconde mise en demeure n’a pas été suivie de réaction de la part de Médor. Mithra Pharmaceuticals a donc été contrainte d’introduire une requête unilatérale le 17 novembre en vue d’interdire d’urgence, temporairement et dans l’attente d’une décision contradictoire, la publication ou la diffusion de l’article litigieux, sous quelque forme que ce soit, sous peine d’une astreinte de 500 euros par heure de retard et par infraction », précise l’entreprise liégeoise.

« Le caractère extrêmement grave et inexact des accusations contenues dans l’article ainsi que ses conséquences particulièrement dommageables pour une entreprise cotée telle que Mithra Pharmaceuticals justifiaient une telle mesure, les cours et les tribunaux n’accordant d’ailleurs celle-ci qu’avec la plus grande circonspection », poursuit-elle en affirmant enfin « ne pas vouloir esquiver le débat contradictoire ».

Avec Belga

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