Nicolas Baygert

La « guerre » de Sécession belge sera finalement une affaire francophone.

Nicolas Baygert Chargé de cours à l'IHECS et maître de conférences à l'ULB

De plus en plus, la sixième réforme de l’Etat défendue avec ardeur par la majorité papillon sortante se révèle être un fabuleux accélérateur de particules, cet instrument servant à charger des éléments pour les faire entrer en collision.

Une réforme qui se contenta d’acter une bizarrerie institutionnelle : l’absence de hiérarchie des normes. En Belgique, aucune entité ne peut dicter sa conduite à une autre. Un Premier ministre ne constitue pas un primus inter pares. Un bug systémique qui permet à « Paul » d’apostropher « Charles » d’égal à égal.

Or, l’actuel clash apporte également des précisions sur la conception que se font des acteurs de leur fonction. D’un côté, Charles Michel, le pacificateur, l' »anti-leader » aux commandes de la coalition suédoise ; le coach attentif ménageant ses cadres, dont l’action est saluée en interne par les partenaires – tous flamands – de la majorité, y compris la N-VA. « Charles Michel aurait pu me laisser tomber, mais il ne l’a pas fait. Cela fait de lui un grand Monsieur », affirmait ainsi Bart De Wever dans Het Laatste Nieuws. Là où un Elio Di Rupo – côtoyant folklore monarchique et pandas – avait largement présidentialisé, voire dépolitisé la fonction, le Wavrien se présente comme un manager de proximité, pragmatique et proactif, au service de l’entreprise politique BeGov.

Paul Magnette adopte, lui, un style davantage flamboyant. Contrairement à son discret prédécesseur, Rudy Demotte, le ministre-président wallon désire incarner ostensiblement la fonction. Adepte des keynote speeches, il prononce un « discours sur l’état de la Wallonie ». L’Etat wallon, c’est lui. En leader confédéré, l’ex-président « FF » du Parti socialiste dirige, donne un cap. Elio Di Rupo a beau retrouver les locaux épurés du Boulevard de l’Empereur, le leadership semble avoir pris le même chemin que les nouvelles compétences attribuées aux Régions. Un pouvoir niché à l’Elysette (en part-time à Charleroi).

Notons ici la différence entre un manager et un leader. Si le manager est avant tout un gestionnaire, le leader se doit d’être – anglicisme corporate oblige – « inspirationnel ». L’un privilégie la gestion, l’autre la stratégie. Le manager cherche la complicité (de préférence en « kern »). Il veillera à défendre ce en quoi il est plongé en permanence : son équipe. Moins complice, le leader prendra plus volontiers distance. Seule compte la vision – dans ce cas : le « Nation-Building  » francophone.

Cette opposition entre Premier gestionnaire et leader régional visionnaire renforce le sentiment de basculement du centre de gravité de l’Etat belge vers les entités fédérées (où le PS n’est pas perdant). Côté francophone, les majorités miroir (à l’exception du FDF à Bruxelles) émancipées corroborent déjà au rêve d’une nation wallo-bruxelloise formulé par Paul Magnette en 2013. S’érigerait donc à coté de « l’inacceptable joug d’ultradroite » du fédéral, un Etat wallo-bruxellois « progressiste » légitime, incarné par le bourgmestre carolo. Le fédéralisme de coopération qui se basait jusqu’ici sur l’entente cordiale entre fédéral et entités fédérées s’efface désormais au profit d’un « fédéralisme de répulsion ».

Rappelons que le leadership de Charles Michel ne fut jamais accepté par le camp socialiste. En témoignent les propos d’Elio Di Rupo en octobre 2014 : « Charles Michel n’aura pas le statut de Premier ministre de la Belgique tout entière. » Un pouvoir désormais moins contesté à Anvers qu’à Namur, Mons ou Charleroi. Entre fédérés et confédérés, la « guerre » de Sécession belge sera finalement une affaire francophone.

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