Carte blanche

La géographie : une clé pour notre futur … mise à mal par le Pacte d’excellence

Contrairement à l’avis du Groupe de travail Géographie du Pacte pour un Enseignement d’excellence (GT GEO), le Projet d’avis n° 3 du Pacte de décembre 2016 confirme la scission en deux de la géographie dans deux domaines différents : la Géographie physique dans celui des Mathématiques et des Sciences, et la Géographie humaine dans celui des Sciences humaines. Ce choix nous paraît tout à la fois malheureux et anachronique.

1. Séparer la Géographie physique de la Géographie humaine, c’est conserver une vision étriquée et ancienne de la discipline

Premièrement, c’est nier la spécificité même de la discipline originelle qui est d’articuler les Sociétés et leurs environnements au travers de leurs interrelations dans un cadre spatial. Par ce fait, c’est empêcher les élèves de mesurer l’ampleur des défis qui nous attendent sur des questions telles que le réchauffement climatique, les risques naturels ou la juste utilisation des ressources, et leurs corollaires que sont les migrations, l’insécurité alimentaire et la géopolitique. À une époque où l’excès d’information – voire de désinformation – noie l’information, où les postulats philosophiques, religieux ou politiques se substituent à une démarche critique reposant sur des valeurs scientifiques, la dichotomie proposée freinera encore un peu plus la capacité des élèves à décoder les informations disponibles et à les mettre en relation, à rechercher les liens entre les composantes physiques, biologiques et humaines afin de comprendre la complexité du monde réel.

D’autre part, séparer Géographie physique et Géographie humaine fait référence à une distinction « académique » à visée strictement politique de la fin du XIXe siècle en France qui a été largement remise en cause depuis dans la plupart des pays. Si la distinction garde un sens dans les recherches les plus pointues (et, dans ce cas, la géographie se décline en bien plus de spécialités), elle est contreproductive dans l’enseignement jusqu’au niveau des Masters.

2. Une géogr@phie ouverte sur le monde et sur l’innovation technologique

Mais c’est ensuite et surtout ignorer le renouvellement complet des sciences géographiques depuis près d’un demi-siècle suite à l’émergence de l’information géographique sous forme numérique. Des images satellitaires aux systèmes de positionnement par satellites (tels GPS ou Galileo), des géo-portails aux globes virtuels, de la récolte volontaire de données (geo-crowdsourcing Open Street Map ou Google par exemple) au partage de données personnelles géo-localisées sur les réseaux sociaux, la géomatique a conduit le grand public en général, et les jeunes en particulier, à redécouvrir et à se réapproprier une certaine forme de géographie. Il paraîtrait inconcevable d’ignorer cette évolution, de ne pas profiter de l’attrait qu’elle suscite auprès des jeunes générations et du succès qu’elle rencontre en termes de débouchés professionnels.

Il convient donc de former les élèves à l’acquisition, la gestion et la visualisation des informations numériques spatialisées et surtout à leur intégration, que ces données relèvent de la nature ou de l’action de l’homme. Et c’est précisément grâce à cette capacité d’intégration et d’analyse des données dans un cadre spatialisé que la géographie est aujourd’hui au coeur des recherches et des applications multidisciplinaires. De l’archéologie à l’épidémiologie, du développement territorial à la climatologie, de l’analyse criminelle à la conduite des véhicules autonomes, les exemples ne manquent pas !

3. Plus d’excellence…ou moins de qualité

Le pacte envisage également, pour le tronc commun et surtout au-delà, la création d’un cours intégratif, pluridisciplinaire, composé de quatre disciplines – histoire, géographie, sociologie, économie politique. Si on peut certes objecter que la réalité n’est pas tronçonnée ou cloisonnée en disciplines, il est par contre nécessaire que chacune des disciplines apporte son expertise, son angle de vue et ses méthodes, et chaque enseignant la passion qu’il a pour sa discipline, qu’il pourra communiquer à ses élèves. Le cours de géographie ne peut dès lors se dissoudre dans un « cours de tout » comme le disent nos collègues historiens.

Il s’agit pour nous d’une condition indispensable pour susciter le plaisir d’apprendre et pour oeuvrer à un enseignement à visée émancipatrice consistant à armer les élèves (en particulier ceux qui ne peuvent les acquérir dans leur milieu familial) de savoirs diversifiés, précis, complexes qui leur permettront d’agir et de transformer le monde en un monde plus juste, plus égalitaire et plus respectueux de l’environnement …. et pas seulement former des jeunes « prêts à l’emploi ». Parallèlement, nous plaidons pour un volume horaire suffisant (deux périodes par semaine), notamment dans le secondaire supérieur car il est impossible d’accompagner ses élèves dans un réel apprentissage en classe ou sur le terrain avec une vingtaine d’heures par an…

Par contre, nous sommes favorables et même enthousiastes à une concertation et à la co-construction d’apprentissages avec d’autres disciplines (non seulement les Sciences et les Sciences humaines mais aussi les Mathématiques ou le Français) notamment dans le cadre de moments de pluri-multi-inter-disciplinarité et/ou à travers l’étude de thèmes communs travaillés parallèlement dans chacune des disciplines.

4. Une discipline unifiée, résolument tournée vers l’avenir

Aujourd’hui, dans un monde cartographié, photographié, recensé, inventorié, l’objectif d’un cours de géographie n’est plus de donner un nom à un sommet ou à un fleuve, de dresser une liste des capitales ou des pays. Il s’agit désormais de pouvoir analyser et critiquer les informations disponibles, de savoir utiliser en connaissance de cause tous les outils, de se doter d’une méthode d’analyse (la démarche géographique) afin de se forger une opinion la plus correcte possible, avant de prendre position, de poser des choix responsables et enfin de mener des actions. En outre, grâce aux outils qu’elle développe, la géographie peut préparer les élèves à la société du numérique, à mieux distinguer le virtuel du réel, à mieux appréhender les espaces dans lesquels ils vivent, se déplacent ou rêvent de voyager. Enfin, qu’il nous soit permis de rappeler l’importance, en géographie, de l’éducation par et pour l’environnement, de la place fondamentale qu’elle réserve aux relations entre nous et notre cadre de vie. À ce titre, la Géographie est directement impliquée par les relations qui touchent à l’identité territoriale et à l’ancrage de toute personne dans son environnement. La géographie est donc un vecteur fondamental pour former des citoyens responsables qui habitent véritablement les lieux qu’ils utilisent, qui se sentent concernés par leur devenir, tout autant que par les lieux distants qu’ils impactent du fait de leurs comportements.

Signataires

Jean-François Close, Président de la Fégépro

Jean Michel Decroly, Président du Département Géosciences, Environnement et Société ULB

Marie-Laurence De Keersmaecker, Prof. Didactique de la Géographie UCL

Anne Dubreucq, Prof. Didactique de la Géographie ULB et HE Francisco Ferrer

NataCha Duroisin, Chercheure postdoctorale lnstitut d’Administration scolaire UMons

Claudio Foschi, Membre du GT GEO du Pacte

Sabine Henry, Présidente du Département de Géographie de l’UNamur

Geoffrey Houbrechts, Vice-Président du Département de Géographie de l’ULg

Bernadette Mérenne-Schoumaker, Présidente du GT GEO du Pacte

Christine Partoune, Prof. Didactique de la Géographie ULg et HELMo Liège

Sophie Vanwambeke, Présidente du Département de Géographie de l’ULC

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