L’heure de la retraite décalée

Depuis deux ans, les réformes visant à prolonger la carrière des travailleurs se sont multipliées. Prépensions, pensions ou encore travail des retraités n’auront plus le même visage à l’avenir. Petit tour de la question.

Vous espériez prendre votre retraite anticipée bientôt ou bénéficier d’un crédit-temps fin de carrière ? Cela pourrait être plus compliqué que vous ne le pensiez. La plupart des règles concernant les fins de carrière et les retraites ont été revues. Et pour cause, la Belgique est sous pression pour maintenir ses citoyens belges plus longtemps dans la vie active. Les baby-boomers arrivent à l’âge de la retraite, le nombre de pensionnés est en hausse, leurs coûts en soins de santé, établissements d’accueil et allocations de retraite aussi alors que le nombre de jeunes en âge de cotiser pour leurs aînés diminue. Le principe de solidarité, fondement de notre régime, s’étiole doucement et le trou se creuse dans les finances publiques.

La stratégie Europe 2020 visant à stimuler la croissance est venue apporter une pression supplémentaire. Elle exige des Etats qu’ils assainissent leurs finances publiques et, pour leur volet emploi, qu’ils atteignent notamment un taux d’emploi de 75 % parmi les 20-64 ans. Pour la Belgique, qui connaît un des taux d’inoccupation des 55 à 64 ans les plus élevés d’Europe, il y a du boulot. « Il y a chez nous une diminution structurelle et systématique du taux d’emploi des aînés, explique Sophie Berg, avocate au sein du cabinet CMS DeBacker. Même si 74 % des 50-54 ans sont encore sur le marché du travail, ils ne sont qu’un peu plus de 20 % pour la catégorie des 60-64 ans. On doit donc faire passer le taux d’emploi des 55-64 ans de 38,7 % aujourd’hui à 50 % en 2020. »

Bref, le gouvernement a du pain sur la planche. Pour atteindre ces objectifs, il s’est attaqué à trois grands domaines : l’assurance chômage des aînés, les pensions et les aides aux employeurs.

Des bâtons dans les roues pour la prépension…

Le système de prépension a été modifié en profondeur. Outre l’avoir rebaptisé « chômage avec complément d’entreprise », ce qui reflète plus la réalité des choses, les conditions d’accès ont été durcies. Les conditions minimales d’âge et de carrière ont été revues à la hausse. Avant, il fallait avoir 60 ans – voire 58 dans certains cas – et 26 (pour les femmes) ou 30 (pour les hommes) années de carrière.

Aujourd’hui, pour pouvoir être chômeur avec complément d’entreprise, il faut avoir au moins 60 ans et 40 années de carrière. Pour le reste, le travailleur qui bénéficie de la prépension continue de recevoir une allocation de chômage de l’Onem et une indemnité (50 % de la différence entre une rémunération nette de référence et le montant des allocations de chômage) à charge de l’employeur.

Ça, c’est la théorie. En pratique, c’est plus compliqué. Des conventions collectives de travail permettent de déroger à la condition de carrière. De nombreux salariés peuvent encore pour le moment ne justifier que de 28 (pour les femmes) ou 35 (pour les hommes) années d’expérience professionnelle pour bénéficier du statut de chômeur avec complément d’entreprise. Pour eux, l’adaptation se fera progressivement : 31 ans de carrière pour les femmes et 40 ans pour les hommes en 2015, et 40 ans pour tout le monde en 2024.

La condition d’âge pourrait aussi changer. Le gouvernement s’est réservé le droit de la faire passer à 62 ans dès 2014 si le taux d’emploi des travailleurs âgés le justifie.

Enfin, les dérogations qui prévoyaient des conditions plus basses pour certaines catégories de travailleurs subsistent, comme pour ceux qui travaillent la nuit, qui font des travaux lourds ou qui sont dans une entreprise reconnue en difficulté ou en restructuration. Mais ici aussi, les conditions ont été revues à la hausse. Pour les travailleurs d’entreprises re-connues en difficulté ou en restructuration, par exemple, leur employeur pourra toujours demander l’abaissement de l’âge, mais l’âge minimum sera porté, selon les cas, de 50 ou 52 ans à 55 ans.

… et le retour de bâton

Le gouvernement ne s’est pas contenté de durcir les conditions d’accès au système. Il a aussi essayé d’en décourager le recours en en augmentant le coût. Les cotisations sociales versées par l’employeur à l’ONSS ont ainsi augmenté en flèche. « Pour les travailleurs de 60 ans, les cotisations patronales correspondaient à 6,36 % de l’indemnité versée par l’employeur pour les prépensions ayant débuté avant le 1er avril 2010. Elles ont été portées à 10,60 % après cette date et à 25 % depuis le 1er avril 2012 », précise Sophie Berg. Pour les 55-60 ans, la cotisation est passée de 20 ou 32 %, selon les cas, à 50 % de l’indemnité. Un employeur qui donnerait 500 euros bruts par mois à son ancien travailleur âgé de 56 ans devrait donc aussi débourser 250 euros de plus par mois pour l’ONSS au lieu de 100 ou 160 euros jusqu’il y a peu. Bref, l’addition est salée.

Le problème est que les entreprises reconnues en difficulté ou en restructuration sont également concernées par ces hausses de taux. « De nombreuses entreprises qui ont reçu ce statut refusent aujourd’hui de demander l’abaissement de l’âge d’accès au régime car cela leur coûte trop cher. Elles ne peuvent plus se le permettre », explique Michaël De Leersnyder, avocat chez CMS DeBacker. Et de poursuivre : « La réforme s’applique en outre aux prépensions en cours. Les restructurations ont été clôturées, les entreprises ou les fonds ont commencé à verser l’indemnité à d’anciens travailleurs et elles se retrouvent aujourd’hui avec des coûts inattendus. L’une d’elles a calculé qu’elle devra payer, à cause de la réforme, 1,5 million d’euros supplémentaires pour les travailleurs prépensionnés licenciés dans le cadre de la dernière restructuration. Un plan de restructuration est destiné à assurer la survie de l’entreprise mais ici, la société devra probablement procéder à de nouveaux licenciements. »

Le chômage avec complément d’entreprise n’est pas le seul à avoir subi un lifting. Le crédit-temps fin de carrière, système qui permet de passer à mi-temps ou à 4/5e temps jusqu’à l’âge de la pension, est également concerné. L’âge minimum pour en bénéficier n’est dorénavant plus de 50 mais de 55 ans et il faut pouvoir justifier de 25 années de travail salarié ainsi que de deux années dans l’entreprise.

Une chaise ergonomique pour les aînés ?

Depuis cette année, les entreprises de plus de 20 travailleurs doivent aussi arrêter un « plan emploi ». Objectif : adopter au moins une mesure destinée à maintenir au travail les 45 ans et plus, voire en augmenter le nombre.

L’avantage est que le texte imposant cette obligation, la convention collective de travail n° 104, laisse beaucoup de flexibilité aux entreprises. Elles peuvent donc choisir les mesures qui leur semblent les plus appropriées. « On peut espérer que ces dispositions toucheront tous les travailleurs et pas uniquement nos aînés, confie Herman Fonck, responsable du service entreprises de la CSC. Le but de la convention collective est d’augmenter l’emploi des 45 ans et plus, mais les dispositions peuvent s’étaler tout au long de la carrière. Ce sont surtout les conditions de travail qui nous vieillissent prématurément. Elles doivent donc être améliorées si nous voulons que demain, les travailleurs n’aient plus le sentiment d’être usés à l’approche de la cinquantaine, voire bien avant. »

L’inconvénient est que le texte risque de rester lettre morte. Les employeurs peuvent prendre un engagement minimum. Rien ne les oblige à être plus généreux. Ils pourraient se contenter de donner une chaise ergonomique aux plus de 55 ans pour satisfaire à leurs devoirs. « Les sociétés sont pour le moment en train d’élaborer, en concertation avec les travailleurs, leur premier plan emploi. Il est donc un peu tôt pour évaluer l’efficacité de cette obligation, explique Sophie Berg. Sur le terrain, on constate cependant que la manière dont elle est reçue varie d’une entreprise à l’autre. Pour celles qui s’étaient déjà engagées à améliorer les conditions de travail des plus âgés, cela ne change pas grand-chose. Pour les autres, par contre, il y a des risques qu’elles n’adoptent que des engagements de façade. Elles ont déjà tellement d’obligations à respecter… »

Réduire le gouffre des pensions

Pour maintenir les travailleurs dans la vie active et diminuer les dépenses publiques, l’Etat ne pouvait faire autrement que de s’intéresser également aux pensions. L’uniformisation de l’âge légal de la retraite pour hommes et femmes est chose faite. Dorénavant, et sauf exception, tant les hommes que les femmes doivent avoir 65 ans et 45 ans de carrière pour avoir droit à une pension complète.

Le gouvernement s’est donc attelé au mode de calcul des années de carrière à prendre en compte pour déterminer le montant de la pension. Pour faire court, le système est moins avantageux pour les périodes dites assimilées, à savoir celles pendant lesquelles le travailleur a été inactif (crédit-temps, maladie) mais qui sont néanmoins prises en compte pour l’obtention de certains droits.

Un autre chantier est le relèvement de l’âge de la retraite anticipée. Les conditions minimum de 60 ans et de 35 années de carrière vont progressivement augmenter pour atteindre 62 ans et 40 ans de carrière en 2015. Ceux qui ont une longue carrière professionnelle derrière eux, soit 40 ou 42 ans d’expérience professionnelle, pourront cependant encore prendre une pension anticipée dès l’âge de 60 ans.

Carotte pour les travailleurs…

Il y a le bâton, mais aussi la carotte. Le bonus pension, destiné à encourager les travailleurs à rester plus longtemps dans la vie active, devrait ainsi devenir plus attractif dès 2014 « L’idée serait d’octroyer un montant forfaitaire par jour effectivement presté à temps plein pour ceux qui continueront à travailler au-delà du moment où ils auraient pu prendre leur pension anticipée. Plus tard ils partiraient, plus ce montant augmenterait », explique Michaël De Leersnyder, avocat au sein du cabinet CMS DeBacker. Sont concernés : les travailleurs ayant 62 ans ou 40 années de carrière et qui ont prolongé leur présence dans la vie professionnelle d’au moins 12 mois. Le système sera progressif et illimité dans le temps : il continuera donc à augmenter au-delà de 65 ans. « Quelqu’un qui prolongerait sa carrière de 62 à 65 ans et dont le salaire brut mensuel est de 3.500 euros recevra, par exemple, 223,20 euros en plus, soit 140 euros de pension et 83,20 euros de bonus », résume sa collègue Sophie Berg.

Les pensionnés qui souhaitent poursuivre une activité professionnelle ne seront en outre plus pénalisés. Alors que précédemment, ils ne pouvaient pas dépasser un certain revenu, dorénavant ils peuvent continuer à travailler sans limite, pour autant qu’ils aient plus de 65 ans et 42 ans de carrière. Ceux qui ne rentrent pas dans ces conditions ne pourront par contre toujours pas gagner plus d’un certain montant, en fonction du statut — indépendant, salarié ou fonctionnaire — et de la composition familiale, sous peine de voir leur pension réduite ou suspendue.

Tout est donc fait pour encourager les citoyens à rester actifs le plus longtemps possible. Une petite exception à cette tendance générale : le « malus pension » qui pénalisait les indépendants prenant leur retraite avant 65 ans, disparaîtra totalement au 1er janvier 2014.

…et pour les employeurs Les patrons n’ont pas été oubliés non plus. Des systèmes de subventions ou de diminutions de cotisations sociales visent à les pousser à engager du personnel âgé. Au niveau national, par exemple, les cotisations sociales sont réduites de 1.600 euros par an pour tout travailleur de minimum 57 ans dont le salaire mensuel brut est supérieur à 4.000 euros. Des mesures similaires existent pour les travailleurs de 50 ans minimum dont le salaire mensuel brut est inférieur à 4.000 euros ou lorsque l’employeur embauche quelqu’un d’au moins 45 ans au chômage depuis plus de six mois.

Bref, ce ne sont pas les mesures qui manquent. Un autre projet encore à l’étude est, par exemple, l’obligation pour les entreprises de respecter une pyramide des âges en cas de licenciements : la composition du personnel en fonction de l’âge doit se refléter dans le choix des personnes licenciées.

Le problème est que ces réformes ne prennent pas en compte ceux qui ont fait de longues études, comme les médecins, qui auront beaucoup de mal à atteindre les 42 ou 45 années de carrière exigées dans certains cas. Mais surtout, ces réformes restent superficielles. Comme le souligne Pierre Devolder, professeur à l’Institut de statistique de l’UCL, « ces changements doivent s’accompagner d’une réflexion approfondie sur le maintien au travail des seniors. Il ne sert à rien de rendre, par exemple, l’accès à la prépension plus difficile si c’est pour que ceux qui en auraient bénéficié se retrouvent simplement plus longtemps au chômage. Il faut revoir le système des retraites de fond en comble, et le temps presse ».

Le plan emploi pourrait être l’occasion d’encourager les entreprises à améliorer les conditions de travail de leurs salariés. La faiblesse des sanctions prévues et la grande flexibilité du système risquent cependant de réduire le projet à néant. Il manque pour l’instant une vision à long terme et approfondie sur les pensions, et sur le travail. Sans elles, les réformes ne seront qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

Géraldine Vessière

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire