Gérald Papy

L’Europe au défi de l’extrême droite

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’impuissance du gouvernement français « repose sur deux piliers principaux : l’amateurisme et l’improvisation ». Ce jugement tranché n’émane ni d’un boutefeu de la droite UMP ni d’un pamphlétaire rabique de l’extrême droite mais de Matthieu Pigasse (1), directeur général délégué de la Banque Lazard et conseiller des ministres socialistes Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius dans les années 1990… C’est dire la déception, la désillusion que provoque, en France, la gouvernance Hollande. La défaite du Parti socialiste au scrutin municipal, première élection après la présidentielle de 2012, était donc annoncée. Seule l’adhésion, au second tour, à une dynamique locale éprouvée, à Lyon ou à Paris, lui évitera la débâcle. En attendant, le sort du Premier ministre est scellé et les Valls et Royal sont déjà en embuscade.

La vraie surprise vient du constat que la percée du Front national ait…surpris tant de commentateurs français. Car, d’évidence, tout convergeait pour servir les intérêts de Marine Le Pen. La crise économico-sociale d’abord, cet impondérable venu des Etats-Unis, si elle ne pouvait être imputée aux dirigeants européens, a sérieusement questionné la capacité de gestion et d’innovation de la droite sous Nicolas Sarkozy au premier chef, et de la gauche. Ensuite, les renoncements, les atermoiements et les revirements du pouvoir socialiste, son absence de vision, ont désespéré l’électorat de gauche et rebuté les militants centristes. Les luttes d’ego et les affaires, enfin, ont jeté la suspicion sur la capacité de l’UMP et de l’ex-président-futur-candidat Sarkozy de se mettre en ordre de bataille pour les échéances futures. Quel meilleur tremplin pour un succès d’un Front national policé que ce constat d’impuissance et cet environnement délétère ?

Pour Matthieu Pigasse, la responsabilité des partis traditionnels est lourde. « Depuis une dizaine d’années, les dirigeants français, de droite comme de gauche, produisent un discours de division et de rejet. […] La campagne menée (par Nicolas Sarkozy) contre les supposés « profiteurs » de la protection sociale n’était pas très éloignée de l’incantation caricaturale : « Salauds de pauvres ! ». La gauche s’applique à diviser dans l’autre sens. « Salauds de riches ! » s’exclame-t-elle sur tous les tons. » A cette aune, le FN de Marine le Pen a trouvé l’équation porteuse : fédérer autour d’un ennemi « pour se définir une identité, […] mesurer son système de valeurs et montrer sa bravoure », comme nous le rappelle Umberto Eco dans son dernier livre et dans l’interview qu’il a accordée au Vif/L’Express (voir en page 8). L’ennemi pour le FN, c’est l’immigré, l’Europe, la mondialisation libérale et… l’UMPS. Ainsi, le parti d’extrême droite renforce-t-il son implantation dans les milieux ouvriers particulièrement réceptifs à ces slogans. Ainsi s’interdit-il aussi de devenir une force de gouvernement en excluant une alliance avec la droite classique…

Juger populistes et simplistes, les réponses du FN ne devraient pourtant pas empêcher la droite et la gauche de se saisir de ces questions, au lieu de persister dans un certain déni. Mieux encadrer l’immigration, assumer et expliquer les décisions européennes (qui ne sont jamais que le résultat du choix des dirigeants des Etats membres), lutter contre les dérives de la mondialisation, tel est le défi démocratique face à la montée de l’extrême droite. Les élections européennes, les scrutins fédéraux et régionaux en Belgique lui donneront encore une autre dimension. Il y a donc urgence à (re) faire de la politique, celle de terrain et de résultats, pas la politique politicienne et de salon.

(1) Dans le livre qui vient de sortir, Eloge de l’anormalité, aux éditions Plon.

de Gérald Papy

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