La prison de Bruges. © BELGA

L’état de nos prisons critiqué par l’Europe

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les prisons belges à nouveau durement pointées du doigt par le CPT, l’organe du Conseil de l’Europe qui contrôle le respect des droits de l’homme notamment dans les lieux de détention. Sans surprise, l’établissement de Forest en particulier subit les foudres du comité européen. Etat des lieux préoccupant. Surtout à l’heure où le gouvernement s’apprête à revoir les conditions de libération conditionnelle, ce qui risque d’aggraver la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions de détention.

Dans le rapport qu’il vient de rendre public, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) note que, malgré le Masterplan fédéral qui prévoit l’ouverture de nouveaux lieux de détention, il existe toujours, dans notre pays, d’importants problèmes de surpopulation carcérale. Plus d’une prison sur trois avait un taux d’occupation supérieur à 140 % au moment de la visite par la délégation.

Dans les prisons observées, de nombreux détenus placés en cellule collective disposaient le plus souvent de 3 m2 chacun, voire moins. Or la norme minimale du CPT est de 4 m2. Des détenus sont même obligés de dormir sur des matelas à même le sol. Dans sa réponse au CPT, le gouvernement belge reconnaît que la situation n’est pas idéale, mais signale que le taux de surpopulation carcéral belge est passé de 20 à 10 %, entre 2013 et 2014. Vrai. Mais, il peut y avoir de fameuses différences entre les établissements et surtout entre maison de peine et maison d’arrêt. Dans ces dernières, la surpopulation peut atteindre 50 à 60 %.

Le Comité européen relève que, dans les prisons, les grèves et autres mouvements sociaux du personnel pénitentiaire ont des conséquences néfastes sur le quotidien des détenus (suppression des visites et des activités, limitation des soins de santé, etc.). Une constatation faite depuis 2005 déjà, souligne le Comité qui regrette que ses recommandations successives n’aient pas été suivies d’effet.

Lors de sa visite dans plusieurs établissements du pays (Forest, Anvers, Merksplas, Tournai), la délégation du CPT a reçu, pour Forest, un « nombre substantiel d’allégations crédibles d’insultes, notamment à caractère raciste, et également de mauvais traitements physiques de la part d’un petit groupe de surveillants de l’aile D ». Une aile particulièrement problématique et insalubre qui, depuis lors, a été fermée pour des travaux d’entretien. Dans les autres prisons, les relations entre personnel et détenus paraissent plus correctes, bien qu’il y ait eu aussi quelques allégations de propos insultants de certains gardiens.

Forest pointé du doigt

L’établissement de Forest, qui avait déjà fait l’objet en 2012 d’un rapport surprise accablant, est particulièrement pointé du doigt pour ses conditions d’hygiène (renouvellement du linge, nourriture périmée/avariée, présence de cafards et de rats) et de sécurité (incendie, produits toxiques). Le droit de visite n’y est pas non plus respecté, car la capacité de la salle de visite est trop restreinte par rapport à la population.

Par ailleurs, les conditions matérielles de certains établissements sont dénoncées dans le rapport. A Forest et Tournai, par exemple, les détenus sont obligés d’utiliser des seaux la nuit en l’absence de toilettes dans leur cellule. Préoccupant aussi : la majorité des détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés, n’ont accès à aucune activité motivante ni aucun travail. La plupart d’entre eux passent plus de 21 heures dans leur cellule. Concernant les services de santé, le CPT remarque qu’hormis les infirmières, la présence médicale est particulièrement lacunaire. Il faut dire que les médecins généralistes qui pratiquent en prison en ont ras-le-bol, car, depuis des années, ils sont systématiquement payés avec beaucoup de retard, parfois de plusieurs mois. Dans sa réponse, le gouvernement assure que des mesures budgétaires ont été prises pour régulariser la situation.

Enfin, le CPT condamne, une fois de plus, la situation des détenus internés dans les annexes psychiatriques des prisons. Depuis ses dernières visites, malgré ses recommandations et les condamnations de la Belgique par la Cour de Strasbourg, rien n’a changé en la matière. Comme si les détenus atteints de troubles mentaux, qui représentent tout de même 10 % de la population carcérale, n’intéressaient personne. Révélateur : à Merkplas, le CPT a observé que bon nombre de prescriptions médicamenteuses, notamment des psychotropes, se faisaient par téléphone sans examen préalable par un médecin… Soulignons que le troisième volet (Pot-pourri III) de la réforme de la justice du ministre Koen Geens (CD&V) prévoit un statut juridique et un trajet de soins adapté pour l’interné. C’est l’application de cette loi qui sera déterminante. Geens n’est pas le premier ministre de la Justice à tenter d’améliorer le sort des internés. Jusqu’ici, ce fut en vain.

Important: il est à noter que CPT a effectué sa visite dans des prisons belges en octobre 2013 et a remis son rapport au gouvernement en juillet 2014. Il aura donc fallu près de deux ans à l’équipe Michel pour y répondre et accepter de rendre ce rapport public. Un délai extrêmement long que seuls les Russes ont réussi à dépasser. La Belgique n’a, en outre, toujours pas ratifier le protocole à la convention internationale contre la torture prévoyant la création d’un mécanisme nationale de prévention. Il s’agirait de mettre sur pied un système de surveillance des prisons, indépendant et permanent, au sein du pays. Le CPT encourage vivement le gouvernement à le faire. Ce dernier a répondu que c’était compliqué car les entités fédérale et fédérées étaient concernées. Pratique, l’excuse institutionnelle. Ce protocole a été adopté en 2005 et la Belgique a marqué son intention de le ratifier en mai 2011. Il y a cinq ans… A moins qu’on ne veuille pas que nos prisons soient contrôlées de manière indépendante ?

Consultez la réponse des autorités belges au rapport du CPT

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