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« L’élite francophone voulait la perte de la Belgique »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

En 1831, Léopold Ier débarque en milieu hostile. Nobles, industriels, magistrats, officiers le traitent en usurpateur. Et travaillent pendant vingt ans à la perte de son nouveau royaume. L’historienne Els Witte (VUB) révèle la puissance des Belges orangistes, réprimés avec une violence insoupçonnée.

Le Vif/L’Express : Het verloren koninkrijk, le « Royaume perdu » : le titre de votre ouvrage respire la nostalgie… Els Witte : Il reflète ce que ressentaient les orangistes, qui voulaient garder le Royaume-Uni des Pays-Bas et son Roi Guillaume Ier. « Je rêve toujours de ce beau royaume », écrit un orangiste namurois. Leur histoire, méconnue, est celle des perdants.

Sont-ils nombreux, ceux que cette révolution belge de 1830 contrarie ?

L’élite, seule à avoir son mot à dire, ne représente qu’un faible pourcentage de la population masculine. Mais ce mouvement d’opposition n’a rien de marginal.

Pourquoi les élites restent-elles autant attachées au Royaume-Uni des Pays-Bas ? Aristocrates, magistrats, fonctionnaires fiscaux, de très nombreux officiers de l’armée belge se sentent tenus par leur serment de fidélité à Guillaume Ier. A côté de ces légitimistes, il y a la bourgeoisie économique, très satisfaite de la politique du Roi : il aide à financer l’industrie métallurgique, il améliore la navigation intérieure si importante pour la Wallonie. L’orangisme organisé est avant tout francophone et fortement implanté à Bruxelles et en Wallonie.

Qui souhaitait vraiment cette révolution belge ?

Un groupe minoritaire mais radical d’opposants, des journalistes essentiellement, réussit à capter les mécontents. Notamment les ouvriers, qui s’en prennent alors aux machines. Les révolutionnaires sont aidés par la révolution française de 1830, par une crise économique conjoncturelle, par un hiver rude et néfaste pour les moissons.

Et cela a suffi à fonder puis à sauver la Belgique ?

La France et l’Angleterre ont joué un rôle décisif. La France est hostile au Royaume-Uni des Pays-Bas, l’Angleterre estime qu’il ne mérite pas une guerre. Sans l’aide de la France, l’armée de Guillaume Ier aurait remporté la campagne des Dix-Jours menée en août 1831 dans le but de mettre fin à l’indépendance belge. Des officiers de l’armée belge ont alors retourné leur veste…

Le « miracle belge » a donc tenu à peu de chose…

Il doit aussi beaucoup au conflit personnel entre Guillaume Ier et son fils : le prince d’Orange ambitionne de devenir le premier Roi des Belges et se range du côté des révolutionnaires. En vain.

La menace orangiste aurait-elle pu être mortelle ?

Le mouvement orangiste allait très loin dans l’opposition et la provocation. Un coup d’Etat fomenté en mars 1831 a échoué de peu.

Les orangistes étaient traités en traîtres à la patrie belge ?

Les révolutionnaires belges ont usé de violence. Révocations et épuration des fonctionnaires et magistrats, pillages et destructions de maisons, incendies d’usines, agressions physiques et quelques lynchages : la répression a été sévère jusque 1834. La révolution belge a été bien plus violente que ce que les historiens n’ont osé l’avouer.

Comment l’Etat belge vient-il à bout des orangistes ?

Les Hollandais ne veulent plus entendre parler d’eux. Une fois Guillaume Ier lâché par les puissances européennes, l’élite économique et politique néerlandaise juge sa politique de ténacité coûteuse, parce que l’armée doit rester sur pied de guerre. Le mouvement orangiste s’éteint en Belgique vers 1850.

L’orangisme disparaît sans laisser de traces ?

Il se transforme en culte de la nostalgie pour le royaume perdu. L’orangisme sentimental semble avoir continué à agir pendant tout un temps encore.

Léopold Ier a dû se sentir bien seul au début de son règne, au milieu de cette élite hostile ?

Les orangistes le qualifiaient de « Monsieur Léopold », le traitaient en usurpateur. Le couple royal est boudé par l’aristocratie, n’est pas le bienvenu dans les salons orangistes. Léopold Ier fait alors un peu pitié.

Het verloren koninkrijk, par Els Witte, éd. De Bezige Bij. Uniquement en néerlandais.

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