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L’Eglise belge après le séisme

Moins de deux mois après le scandale Vangheluwe, les perquisitions du parquet de Bruxelles font trembler à nouveau l’épiscopat. Réactions au sein de l’Eglise.

« Ce qui pourrait arriver de pire à l’Eglise de Belgique, c’est l’éclatement, dans quelques semaines, d’une nouvelle bombe, comme celle provoquée par l’affaire Vangheluwe. Voilà pourquoi nous devons pratiquer la plus grande transparence, quel que soit le prix à payer. » Cette confidence, faite par un proche de Mgr Léonard au lendemain de la démission de l’évêque de Bruges – qui avait reconnu avoir abusé à de nombreuses reprises d’un mineur de sa famille -, prend une résonnance particulière après les événements du 24 juin.

La « nouvelle bombe » n’a, certes, pas été amorcée par des révélations inédites sur des abus sexuels commis par tel ou tel membre du clergé. Mais elle a tout de même fait un bruit assourdissant, entendu jusqu’au Vatican et au-delà. Car la justice a visé le coeur symbolique de l’Eglise belge en perquisitionnant le palais archiépiscopal de Malines en pleine assemblée des évêques, réunion à laquelle assistait le nonce apostolique, ambassadeur du Saint-Siège. Les enquêteurs ont aussi investi et fouillé le domicile du cardinal Danneels, ex-archevêque de Malines-Bruxelles, et les locaux de la Commission pour le traitement des abus sexuels dans l’Eglise.

L’onde de choc à l’étranger

« Les images d’une conférence épiscopale retenue une journée entière ont fait le tour du monde et engendré les récits les plus fous, raconte Eric de Beukelaer, porte-parole, pour quelques semaines encore, des évêques de Belgique. Jamais, en 9 années de mandat, je n’ai eu autant la presse internationale au téléphone : la BBC, CNN, le New-York Times, le Corriere della Sera… La presse de la péninsule s’est surtout focalisée sur l’intervention policière dans la crypte de la cathédrale de Malines, où des marteaux pneumatiques ont été utilisés. Faire des trous dans la tombe de cardinaux est perçu comme une violation de sépultures dans la culture italienne. »

Le réquisitoire du pape contre la justice belge et les propos véhéments du cardinal Bertone, secrétaire d’Etat du Vatican, sur la « séquestration » des évêques n’ont-ils pas jeté de l’huile sur le feu ? « Nous avons démenti une  »séquestration sans boire ni manger » et expliqué que l’Eglise ne se considère pas au-dessus des lois, assure l’abbé de Beukelaer. On peut néanmoins s’interroger sur les méthodes utilisées par les enquêteurs et sur la présence des caméras de télévision. Les images des perquisitions ont donné une vision négative de l’Eglise. Pour autant, nous ne savons toujours rien des raisons précises qui ont conduit à un tel déploiement de force et à la saisie des agendas des évêques, de dossiers et de matériel informatique. »

« Cela ressemble à du fishing » Le parquet de Bruxelles s’est limité à indiquer que le but était de « rassembler des éléments de preuve pour étayer des déclarations sur des faits possibles d’abus sexuels à l’égard de mineurs par plusieurs personnes au sein de l’Eglise ». Tommy Scholtès, directeur de l’information de l’agence Cathobel, commente : « Cela ressemble à du fishing, comme on dit en jargon judiciaire. Les enquêteurs sont partis à la pêche, sans poser de questions précises sur des dossiers. Je m’étonne aussi que les policiers aient choisi de frapper à Malines. C’est mal connaître le fonctionnement de l’Eglise belge que d’y situer son centre nerveux. Celui-ci se trouve plutôt au siège du secrétariat de la Conférence épiscopale, rue Guimard, à Bruxelles. Le palais archiépiscopal n’est pas le sommet de la structure et Malines-Bruxelles n’est qu’un diocèse parmi d’autres. »

Scholtès voit deux explications à l’indignation et à la colère du Vatican : « D’une part, la perquisition a eu un impact psychologique certain sur le nonce apostolique, naguère en poste au Nicaragua. Le déploiement policier lui a fait froid dans le dos. D’autre part, le Saint-Siège s’est inquiété de ne pouvoir entrer en communication avec les évêques, cloîtrés et privés de contacts pendant l »’opération Calice », comme le parquet a appelé cette perquisition. D’où la  »stupeur » de Rome. »

Très atteint par ce nouveau séisme, Mgr Danneels attend, lui aussi, les résultats de l’enquête. L’Eglise de Belgique paie-t-elle, aujourd’hui, l’immobilisme du prélat et la loi du silence qui régnait sous son long règne ? Le porte-parole de l’épiscopat rappelle que « la commission instituée au sein de l’Eglise pour traiter les plaintes a été mise en place dès 2000, donc sous Danneels ». Cette commission, présidée ces dernières années par le Pr Adriaenssens, pédopsychiatre, a collectivement démissionné cette semaine, faute de pouvoir continuer à travailler après la saisie de ses ordinateurs et documents. Qui prendra le relais pour s’occuper des 475 personnes qui lui ont confié leur histoire ? Le ministre sortant de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), qui déplore les conséquences du sabordage de la commission, projette de créer un groupe de travail constitué des procureurs généraux, chargés de plancher sur l’utilisation des témoignages de victimes et leur confidentialité. Rien de plus précis n’a été annoncé à ce jour.

« Nous sommes à quia » De même, l’épiscopat, encore sous le choc des perquisitions, ne sait comment réagir à la disparition de la commission Adriaenssens. « Nous sommes à quia », reconnaît de Beukelaer. La justice fera donc son oeuvre, tandis que la crise de confiance à l’égard de l’Eglise s’est encore aggravée, en dépit de la récente demande de pardon des évêques, qui ont reconnu avoir fait primer « la réputation de l’institution ecclésiale et de ses ministres par rapport à la dignité des jeunes victimes ».

OLIVIER ROGEAU

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