Didier Reynders © BELGA

Kazakhgate: Reynders plus blanc que blanc

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Bien préparé et peu malmené, le ministre MR s’en est sorti sans encombre de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur la transaction pénale. Il a tout de même reconnu avoir vu l’avocat Catherine Degoul. Mais pas pour parler de Chodiev. Evocation.

Il est arrivé seul dans l’annexe du parlement qui abrite la commission Kazakhgate. Comme un grand. Sans doute pour montrer aux journalistes présents que son audition tant attendue n’était qu’une formalité. Dans la salle Marguerite Yourcenar, il a répondu sans grande conviction aux questions des députés. Beaucoup d’entre eux paraissaient d’ailleurs un peu tétanisés voire déférents, y compris les députés PS. Lui semblait ennuyé d’être là et surtout impatient que ça se termine. L’audition n’a duré qu’une heure quarante. Beaucoup moins long que prévu. C’est que Didier Reynders n’a rien vu rien entendu de ce Kazakhgate ou de l’Elysée qui a mis sur pied une équipe avec Armand De Decker pour défendre Chodiev devant la justice belge.

Le ministre MR a tout de même reconnu – c’est la seule révélation de cette audition – avoir vu le 2 février 2012 l’avocate française des Kazakhs, Catherine Degoul , au Sénat, dans le bureau du vice-président De Decker, comme l’indiquait la mention « ADD + DR » dans l’agenda de Degoul. Mais c’était à propos de l’ancien dirigeant congolais Jean-Pierre Bemba, inculpé par le tribunal pénal international. L’avocate lui a remis une lettre évoquant un éventuel accueil de la Belgique en cas de libération provisoire de Bemba, a raconté Reynders qui a dit avoir remis la lettre à la ministre de la Justice de l’époque, Annemie Turtelboom. Mais il n’a pas été question, selon lui, des problèmes de règlements d’honoraires avec Chodiev, que Degoul évoque pourtant dans plusieurs courriers, dont un mail adressé deux jours plus tard, le 4 février, au conseiller de l’Elysée Damien Loras. Dans ce mail, Degoul dit avoir été « entendue seule », le 2 février, « par les autorités du pays du Nord », de même que Jean-François Etienne des Rosaies, le fameux conseiller de l’ombre qui jouait la courroie de transmission entre l’Elysée et l’équipe d’avocats de Chodiev. Mais elle ne parle pas de Bemba, comme l’a fait remarquer le président de la commission, Dirk Van der Maelen (SP.A).

Sur Armand De Decker, Didier Reynders s’est montré d’une extrême prudence, alors que, ce vendredi matin, Stefaan De Clerck (CD&V), ministre de la Justice en 2011, a raconté comment l’ancien président MR du Sénat avait tenté d’obtenir son intervention dans le dossier Chodiev et comment il lui avait répondu que c’était « inacceptable ». A plusieurs reprises, Reynders s’est retranché derrière la séparation des pouvoirs et le dossier judiciaire en cours pour ne pas avoir à commenter l’attitude de son ami libéral, soulignant qu’il avait tout de même démissionné (le 17 juin dernier) de son poste de bourgmestre d’Uccle et renoncé à sa rémunération maïorale. Vrai, mais il en aura fallu des révélations pour en arriver là… Pour le reste, les deux hommes se sont vus à de multiples reprises avant et depuis la transaction pénale des Kazakhs, mais ils n’ont jamais évoqué ce dossier ni Chodiev ni l’opération mise en place par l’Elysée.

Rien vu rien entendu. Le privilège des grands quand l’orage gronde… Ce sont les collaborateurs qui se mouillent. Reynders n’a donc pas participé à la réunion du groupe de travail intercabinets de fin janvier 2011 où Rudy Volders, alors son chef de cabinet, a mis sur la table le fameux couplage des projets de levée du secret bancaire et de transaction pénale élargie aux délits financiers. Pas là non plus lorsque le projet de transaction a été examiné par la Commission des Finances de la Chambre le 2 mars 2011, puisqu’il était « informateur » dans un gouvernement en affaire courante et qu’il a du y envoyer son secrétaire d’Etat Bernard Clerfayt. Et il ne sait pas qui de son cabinet a approché la députée Carina Van Cauter (Open-VLD) pour introduire l’amendement de la loi fourre-tout qui élargissait fondamentalement la transaction. Il n’a jamais non plus cherché à le savoir.

Voilà donc une audition rondement menée et surtout soigneusement préparée, comme l’a souligné le député Vincent Van Quickenborne (Open-VLD). En ce compris ces attaques en règle contre Ecolo et le président SP.A de la commission. Mais aussi contre Le Vif/L’Express, qui a révélé les documents, issus du dossier judiciaire, impliquant Didier Reynders. Après avoir félicité son mentor pour ses « réponses limpides et précises », le député MR Damien Thiéry a osé sans rire : « Si la presse disait toute la vérité, on en serait plus loin dans nos travaux ». L’audition de Reynders, qui s’est révélé plus blanc que blanc, était donc aussi l’occasion de règlements de comptes. Il ne change décidément pas, Didier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire