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Kazakhgate : Reynders, De Clerck et Vanackere savaient

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Un mail envoyé à Claude Guéant deux jours après la transaction pénale de Chodiev en 2011, que le journal Le Monde avait évoqué en juin 2015, implique les ministres belges des Finances, de la Justice et des Affaires étrangères d’alors. Lorsqu’on le lit in extenso, ce document, sur lequel Le Vif/L’Express a mis la main et que les policiers français ont saisi au cours de leur enquête, pose de lourdes questions sur l’implication du MR et du CD&V dans le scandale du Kazakhgate. Bien au-delà du rôle d’Armand De Decker donc.

Il s’agit d’un mail très officiel envoyé un dimanche soir par Jean-François Etienne des Rosaies, l’homme de l’ombre de l’Elysée, à l’assistante personnelle de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, pour information au « PR » soit le Président de la République qui était à l’époque Nicolas Sarkozy. Ce mail est daté du 19 juin 2011, soit deux jours très exactement après la transaction pénale conclue à Bruxelles entre le trio kazakh, poursuivi en Belgique dans le cadre d’une affaire de corruption avec Tractebel, et le parquet général. Il est surtout très explicite sur le rôle joué par Armand De Decker, mais aussi sur l’implication de trois ministres de l’époque, Didier Reynders, Stefaan De Clerck et Steven Vanackere. Dans le contexte actuel de l’audition du seul De Decker lundi par le MR, il prend un sens bien différent.

Dans sa missive, Etienne des Rosaies informe Guéant et donc le « PR » que les chefs d’inculpation ont été annulés à l’encontre de Patokh Chodiev et ses associés. Il rappelle que le président kazakh Nazarbaïev avait sollicité le « PR », deux ans auparavant, « pour trouver un soutien politique en Belgique en faveur de son ami (Ndlr : souligné en gras) et ses associés », alors qu’un marché de plusieurs centaines de millions d’euros, portant sur l’achat de 45 hélicoptères Eurocopter, était en voie de conclusion finale entre Paris et Astana.

Etienne des Rosaies poursuit en expliquant « avoir suivi cette affaire depuis 17 mois pour Damien Loras, alors conseiller diplomatique de l’Elysée, en mettant en place en Belgique un groupe de travail piloté par Catherine Degoul, avocate niçoise ». Et il ajoute : « En sollicitant mon parent le Ministre d’Etat Armand De Decker ». Ensuite, et c’est là que cela devient intéressant, il précise à Guéant et au « PR » : « Pour résoudre cette affaire, un texte de loi a été voté, il y a un mois, organisé et suscité par Armand De Decker qui a sensibilisé trois Ministres : Justice, Finances et Affaires Etrangères ». Soit De Clerck (CD&V), Reynders (MR) et Vanackere (CD&V). Que signifie précisément « sensibilisé » ? En tout cas, selon ce mail, les trois ministres étaient, pour le moins, au courant des démarches élyséennes.

Enfin, Etienne des Rosaies explique que « cet épilogue voit le rétablissement de la solvabilité bancaire du groupe de Mr Chodiev côté à la bourse de Londres et de Hong Kong (Ndlr : à nouveau souligné en gras) ». On lit également, dans le mail, que Chodiev est par ailleurs propriétaire de la seule usine d’Asie centrale d’entretien et de réparation d’hélicoptères. D’où l’importance du milliardaire kazakh dans ce marché… « A la veille du salon du Bourget, Mr Chodiev a une dette – je pèse mes mots – immense à l’égard de la France », conclut des Rosaies. C’est au salon du Bourget près de Paris, le 27 juin 2011 (soit dix jours après la transaction pénale), que le contrat franco-kazakh a été officiellement signé. A la lumière de cet élément, on comprend mieux le mobile de l’équipe élyséenne et l’urgence qu’il y avait à sortir les Kazakhs du bourbier judiciaire belge.

Détail important : dans ce mail envoyé directement à Guéant, via sa fidèle chef de cabinet Nathalie Gonzales-Prado (un temps placée en garde à vue dans le cadre de l’enquête française), des Rosaies renseigne les numéros de téléphone personnels (dont le GSM) d’Armand De Decker, en précisant entre parenthèse « aujourd’hui dimanche » pour le portable. De Decker et Guéant se sont-ils appelé, ce soir-là, un dimanche, pour se féliciter de la réussite de la mission Chodiev ? Tout le laisse penser à la lecture du mail.

Un mail qui décrit, de manière encore plus explicite et officielle, le contenu de la note de Jean-François Etienne des Rosaies, publiée par Le Canard Enchaîné, en 2012, et qui avait fait exploser l’affaire dans les médias. Armand De Decker avait qualifié, à l’époque, cette première note publiée par Le Canard de « farfelue ». Or l’enquête a, petit à petit, confirmé ce qu’elle révélait. Le mail adressé à Guéant et au PR le 19 juin 2011, retrouvé par les enquêteurs, n’a visiblement rien de farfelu. Au contraire. Il contient certes encore un mystère : des Rosaies qualifie De Decker de « parent ». Dans la note publiée en 2012, il l’appelait « mon cousin germain ». Certes, les deux hommes se connaissent de longue date, depuis l’enfance, mais n’ont a priori aucun lien de parenté. A moins que cela signifie autre chose.

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